Si je te dis
D'occase, tu penses tout de suite à Louis la brocante. Ou à Guillaume et son fameux rasoir. Par association d'idées, tu vas imaginer un bouquin barbant. À quoi je te réponds “que nenni, mon brave”, parce que j'ai pris XVe siècle LV2 au collège.
L'histoire d'un écrivain qui vient de sortir son premier roman. Il découvre le monde merveilleux de la prostitution littéraire. Il n'a aucune idée de ce qu'il est censé faire. C'est pas la joie.
Commençons par enfoncer les portes ouvertes. Quand un auteur met en scène un personnage écrivain, faut pas s'étonner si le récit a des accents autobiographiques (expression un peu bête, je te l'accorde, vu qu'autobiographique s'écrit sans accent). Certaines scènes, je pense en premier lieu à la dédicace en supermarché, sentent le vécu.
D'occase pourrait être rangé avec les témoignages de guerre, entre les tranchées de papier et le Vietnam des espaces culturels.
Si tu es auteur en herbe et que tu cherches des conseils d'écriture, je te renvoie au bien nommé Écriture de
Stephen King. Et si tu veux savoir ce qui t'attend une fois ton bouquin sorti des presses,
D'occase t'en donnera un aperçu édifiant. Comme mon intro mais en mieux, parce que
Marc Falvo écrit bien, lui. Mine de rien (festival des expressions à la gomme…), ce roman a valeur de guide de survie en milieu littéraire. Un manuel, une bible. Loin de l'image éthérée de l'écrivain, du côté glamour, gloire et beauté, il dépeint l'envers peu reluisant du décor. L'auteur qui rame, les séances de dédicace où tu t'ennuies à crever, les compromissions alimentaires, les doutes, la solitude.
Ah, la solitude de l'écrivain… Non, pas “ah” en fait, c'est un putain de lieu commun. Sauf qu'entre les mimines de Falvo, le cliché dépasse le stade du Wanderer über dem Nebelmeer (que j'ai toujours imaginé en train de pisser dans l'eau).
D'occase ne se limite pas à une autobio pleine de moi-je et d'auto-apitoiement. Comme avec Céline, on serait bien en peine de démêler la réalité de la fiction. Pour quoi faire de toute façon ?… Et comme avec Céline (bis), le je déborde sur le nous.
Cet auteur paumé, dichotomisé entre l'envie d'être unique et certaines aspirations à la normalité, pourrait être n'importe qui. Il rêve de bonheur, comme tout le monde. Il a envie de profiter des bons moments en famille, entre potes, avec sa nana, rien d'extravagant. Mais il foire souvent le coup. Soit parce que l'écriture l'obnubile au point qu'il loupe le coche. Soit parce qu'il n'a aucune idée de ce qu'il doit faire. Un cercle vicieux, puisque faute d'avoir le mode d'emploi de la vie, il se réfugie dans l'écriture, bonne justification pour se poser à l'écart, bonne excuse pour être à côté de la plaque. Et bon plan pour passer à côté de l'existence.
“Un auteur peut pas toujours écrire, faut aussi vivre quelquefois.” Une phrase qui résume bien la quête du personnage. Et tu noteras qu'elle fonctionne avec n'importe quelle forme d'aliénation (surtout le travail en fait). Les questions que se pose ce “jeune mec dont le nom ne nous dira rien”, on se les pose tous. Ou en tout cas on devrait. Ce gus ne se résume pas à une version romancée d'un Falvo jouant les Narcisse. Il y a en lui quelque chose de commun à tous les lecteurs : les doutes, l'improvisation constante, les désillusions, les réussites qui te pètent au nez, les échecs qui te font rebondir…
Falvo peut se permettre de déblatérer de la grande phrase sur la condition humaine sans avoir l'air de pontifier comme un vieux con. Parce que son (anti)héros, c'est tout le monde et n'importe qui. Raison pour laquelle on l'aime bien, même quand il se comporte comme un trou du cul (et ça, c'est narcissique).
“Et est-ce qu'il existait en fait, ce fameux coin tranquille qu'on cherchait tous ? (…) Est-ce qu'au fond, ce monde n'était-il pas un vaste coin tranquille peuplé d'anxieux et de jaloux ?” Bon ben, si ça c'est pas de la phrase à portée universelle, je ne sais pas ce qu'il te faut.
D'occase te raconte une vie bien spécifique et en même temps la vie de monsieur tout le monde.
Tout ça pour lever une gonzesse… En temps normal, les quêtes du bonheur et les amourettes ont tendance à m'endormir au bout de quatre lignes. Falvo, lui, avec cette romance célinienne teintée de Djian, a su me maintenir éveillé, des questions plein la tête. Entre “l'ennui, le désespoir, le mépris, et l'infinie désillusion” que je repique de la quatrième de Crocodiles, le cynisme, la dérision, l'humour,
D'occase a beaucoup de choses à raconter.
En vrac souvent.
Le gars Falvo te raconte une histoire, tu l'écoutes. Tu ne sais pas où il t'emmène, tu n'es pas sûr qu'il le sache lui-même.
D'occase sonne juste, c'est tout ce qui importe. Une justesse qui doit beaucoup à la spontanéité du style, très oral et décontracté (cf. ce que j'en disais sur Série B, ça m'évitera de me copier/coller).
Le récit peut donner l'impression d'un foutoir qui part dans tous les sens. Un coup une dédicace, un coup du bricolage entre potes, une autre fois une virée à la montagne. Succession de saynètes avec de l'ellipse à foison entre deux, qui d'ordinaire vaudrait une belle gueulante sur le côté décousu.
Pour l'occase, non. Déjà, parce que suivre le personnage minute par minute deviendrait vite chiant. On s'en fout de savoir qu'entre telle et telle scène il a vu Machin, lavé ses caleçons, écrit trois pages… On le devine au chapitre suivant sans avoir besoin de le raconter. Ensuite, parce que cette déstructuration reflète le quotidien du personnage. Paumé dans sa vie en particulier et l'existence en général. Qui voit son petit monde bouleversé (sa soeur entre dans l'âge adulte, ses rêves d'auteur face à la réalité, son premier vrai grand amour…). Et qu'avait de toute manière pas une vie structurée à mort. Enfin, parce que Falvo te raconte l'histoire d'un mec. Et sa vie comme la tienne, c'est juste un enchaînement de journées, d'anecdotes, de périodes sans transitions chiadées comme dans une dissertation.
D'occase, un bouquin à ne pas rater et qu'en est une,
d'occase. Il vaut le coup qu'on y mette le prix du neuf (vanne que Falvo a dû entendre 2672 fois, mais je n'ai honte de rien).
Lien :
https://unkapart.fr/d-occase..