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EAN : 9782707142818
311 pages
La Découverte (01/10/2002)
4.2/5   142 notes
Résumé :
Publié en 1961, à une époque où la violence coloniale se déchaîne avec la guerre d'Algérie, saisi à de nombreuses reprises lors de sa parution aux Editions François Maspero, le livre Les Damnés de la terre, préfacé par Jean-Paul Sartre, a connu un destin exceptionnel.

Il a servi - et sert encore aujourd'hui - d'inspiration et de référence à des générations de militants anticolonialistes.

Son analyse du traumatisme du colonisé dans le ca... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (19) Voir plus Ajouter une critique
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Le livre les Damnés de la terre paraît en octobre 1961 aux Editions François Maspero, alors que Frantz Fanon est mourant et que la violence coloniale se déchaîne avec la guerre d'Algérie. le livre est interdit dès sa diffusion sous le chef d'inculpation d' « atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat ».
Ce livre fut rédigé en un an par un homme qui se savait condamné par une leucémie dont il n'ignorait pas, en tant que médecin, qu'elle était incurable.
Mort « algérien », Frantz Fanon est né « français » en 1925, à Fort de France en Martinique. Il a été un élève d'Aimé Césaire, poète et père du nationalisme antillais. Psychiatre, militant de l'indépendance algérienne au sein de FLN. Il est aussi l'auteur de Peau noire, masques blancs qui est en fait sa thèse de médecine.

Les Damnés de la terre développe deux thèmes majeurs : celui de la violence nécessaire et spontanée et les conditions de la naissance d'une nouvelle nation. Il note au passage les pièges dans lesquels celle-ci doit éviter de tomber.
Pour Alice Cherki, Fanon écrit à partir de son expérience singulière, et l'écriture même de l'ouvrage suit ce mouvement.

le livre est divisé en cinq chapitres :

I de la violence
II Grandeur et faiblesses de la spontanéité
III Mésaventures de la conscience coloniale
IV Sur la culture nationale
V Guerre coloniale et troubles mentaux

Les cinq chapitres du livre sont disposés comme les strophes d'un poème comprenant des analyses rigoureuses. Son écriture est appuyée sur son propre vécu de médecin psychiatre au contact direct des déshérités. Il cherche à produire une compréhension qui aille au-delà d'une argumentation.

Thématique de l'ouvrage

La Violence

• Dès la première phrase du livre, « libération nationale, renaissance nationale, restitution de la Nation au Peuple, Commonwealth, quelles que soient les rubriques utilisées ou les formules nouvelles introduites, la décolonisation est toujours un phénomène violent. » La violence est la clé du succès de la décolonisation. Celle-ci est un processus de désordre absolu, la seule réalité révolutionnaire. le titre, Les damnés de la terre est d'ailleurs tiré du chant révolutionnaire l'Internationale. « Debout les damnés de la terre, debout les forçats de la faim » le colonisé doit redécouvrir le réel « mitraillette au poing ».

« L'homme colonisé ne se libère que dans et par la violence » (chapitre1)

Frantz Fanon rappelle à la fin du chapitre de la violence, l'une des pages les plus violentes et les plus décisives selon lui, d'Aimé Césaire. Dans les Armes miraculeuses, le rebelle explique :

(…) c'était le maître…J'entrai. C'est toi, me dit-il, très calme…C'était moi, c'était bien moi, lui disais-je, le bon esclave, le fidèle esclave, l'esclave esclave, et soudain ses yeux furent deux ravets apeurés les jours de pluie… je frappai, le sang gicla : c'est le seul baptême dont je me souvienne aujourd'hui.

Le combat que mène Fanon est d'abord dirigé contre l'Europe : « le bien –être et le progrès de l'Europe ont été bâtis avec la sueur et les cadavres de Nègres, des Arabes, des Indiens et des Jaunes ». Il préconise une nouvelle redistribution des richesses et demande aux impérialistes de rendre ce qu'ils ont pris. Mais cette lutte contre le colonisateur souligne également les faiblesses des partis nationalistes.


Les difficultés potentielles de l'indépendance

Frantz Fanon perçoit un décalage entre les cadres de la révolution et les masses. Les élites nationalistes accordent une trop grande importance à l'organisation. Elles s'adressent en priorité au prolétariat des villes, aux artisans, aux petits fonctionnaires et négligent la paysannerie qu'elles laissent entre les mains des cadres féodaux. Or comme le souligne l'auteur, les masses rurales ont déjà joué un rôle moteur, notamment, lors des jacqueries de Madagascar en 1947. Les partis nationalistes ne préparent pas les masses paysannes à une action structurée. Ils font simplement confiance à leur spontanéité. Les dirigeants révolutionnaires se doivent donc de maîtriser la spontanéité du peuple sans la brider car elle est la source finale du succès.

• Les deux premiers chapitres sont empreints d'un certain optimisme. En revanche, les deux chapitres suivants sur la conscience et la culture nationales soulignent les freins les plus importants au développement d'une indépendance harmonieuse.

• La constitution d'une vraie culture nationale est essentielle. Elle est difficile à acquérir car le colonialisme a en partie détruit le passé. Les élites se sont souvent jetées « avec avidité dans la culture occidentale ».

• La lutte de libération est indissociable de la culture nationale. Les conteurs peuvent introduire dans l'actualité des guerres anti-coloniales des héros du passé ( Behanzin en Afrique noire – Abd el Kader en Algérie). Un retour pur et simple aux sources indigènes de la culture serait trop passéiste, il faut valoriser la nouvelle nation composée d'hommes nouveaux.


Critiques de l'ouvrage

Les damnés de la terre sont préfacés par Jean-Paul Sartre dont c'est la grande époque de succès politique ». La préface est plus violente que le livre de Fanon, souvent à la limite de l'insulte. « L'Europe est un continent gras et blême ». « Abattre un européen, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre »Elle est à la fois excessive et datée.

• le livre de Frantz Fanon est un cri. Traversé par un extraordinaire lyrisme, il est comme le dit son autre préfacier G. Challiand « un chantier de la damnation » ; celui de la colonisation qui a aliéné l'homme. Les mots sont parfois très crus. Pour Jean-Claude Bibas il est « un révolutionnaire pur, la fois utopique et réaliste ». Il se dégage de ses phrases une grande poésie, une puissance d'évocation:

« Retrouver son peuple, c'est quelquefois dans cette période vouloir être nègre, non pas un nègre comme les autres mais un véritable nègre, un chien de nègre tel que le veut le blanc. Retrouver son peuple, c'est se faire « bicot », c'est se couper les ailes qu'on avait laissé pousser » (chapitre 4)

• le FLN dont il est membre est idéalisé. Il sacralise les campagnes en affirmant que les Harkis « collaborateurs » des Français sont exclusivement originaires des villes, ce qui n'est guère exact. Enfin, il faut convenir que rien de ce que préconise Frantz Fanon n'a été mis en oeuvre par les « Révolutionnaires » du FLN. L'armée de H. Boumédienne a pris le pouvoir en éliminant le pouvoir civil, le Code de la nationalité a été fondé sur l'Islam, les femmes algériennes sont retournées à un statut traditionnel et la polygamie autorisée par le président Chadli. Pour Jean-Claude Bibas, les responsables algériens n'ont d'ailleurs guère reconnu « la grandeur réelle et la noblesse de coeur d'un homme qui leur a beaucoup apporté »

• Sa conception de la culture nationale n'est pas fermée car elle est toujours associée à l'internationalisme. Pour lui, la culture et la nation ne doivent pas se fossiliser en puisant exclusivement dans le passé. Il décrit ce qui se passe encore aujourd'hui dans beaucoup de pays en développement : coups d'Etat militaires multiples, absence de démocratie, baisse du niveau de vie, urbanisation forcenée, pillage des ressources par une minorité de privilégiés.





Portée de l'ouvrage

2. A court terme

Les damnés de la terre ont été un immense succès au moment de leur parution J.Daniel écrivait dans l'Express « Les damnés de la terre, ce sont évidemment tous les hommes du monde sous-développé, du tiers monde, tous ceux qui ont transporté à l'échelle nationale la lutte des classes de la vieille Europe. Ce livre est une oeuvre implacable, parfois irritante, toujours passionnante, exceptionnellement précieuse »

Ses écrits font de Frantz Fanon l'unique théoricien de la révolution algérienne. H Boumédienne, président de la république d'Algérie s'inspirera de Frantz Fanon pour établir le socle tiers-mondiste de l'action internationale de son pays.

3. Frantz Fanon actuel

• Considéré comme un livre phare des années soixante-dix, essentiellement lié au tiers-mondisme, Les Damnés de la terre tomba ensuite dans l'oubli. Il semble que l'auteur ait sur-estimé la force des masses paysannes et sous-estimé la force du religieux. La préface de Sartre que Fanon avait souhaitée fut, semble t-il d'avantage lue au cours des années que le corps du texte.

• Pourtant Alice Cherki dans la préface de la réédition de 2002, présente Frantz Fanon comme d'une grande actualité car « il aide à comprendre ce qui se produit quand des êtres humains sont maintenus dans le registre de la privation : violences, recours aux régressions ethniques ou identitaires.
Frantz Fanon « a tenté de mettre en place une nouvelle construction du savoir introduisant le corps, la langue et l'altérité comme expérience subjective du politique »

La pensée de Frantz Fanon est révolutionnaire, tiers-mondiste mais aussi humaniste. Son combat ne visait pas seulement la libération de l'homme noir ou du colonisé. Il cherchait essentiellement à libérer l'homme. le racisme lui est étranger « Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur de rechercher en quoi ma race est supérieur ou inférieure à une autre race » « il n'y a pas de mission nègre, il n'y a pas de fardeau blanc : un seul devoir, celui de ne pas renier ma liberté au travers de mes choix » (Peau noire, masques blancs).

Frantz Fanon est un homme qui s'interroge, il ne cesse jamais de penser à un « vivre ensemble ». Il souhaite que le colonisé « décolonise l'être » et pas seulement les structures administratives ou politiques. Pour Frantz Fanon, l'être humain accède à l'universel à partir de sa différence et non de son particularisme. La mort du colonisé est celle du colonisateur naissent d'une seule logique, celle de la création d'un homme nouveau.


Le livre s'achève sur cette phrase :

« Pour l'Europe, pour nous-même et pour l'humanité, camarades, il faut faire peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf. »

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Ayant ce livre bien longtemps et il m ' a plus par son analyse et comme critique , je vais prenfre un extrait expressif du livre lui-même :"Le colianisme et
l ' impérialisme ne sont pas quittes avec nous quand ils ont retiré de nos territoires leurs drapeaux et leurs forces de police . Pendant des siècles les capitalistes se sont comportés dans le monde sous-développé comme de véritables criminels de guerre . Les déportations
les massacres , le travail forcé , l ' esclavagisme ont été les principaux moyens utilisés par le capitalisme pour augmenter ses réserves d ' or et de diamants ,
ses richesses et pour établir sa puissance . IL a peu de temps , le nazisme a transformé la totalité de l 'Europe en véritable colonie .
Les gouvernements des différentes nations européennes ont éxigé des réparations et demandé la restitution en argent et en nature des richesses qui leur avaient été
volées . Pareillement nous disons que les états impérialistes commettraient une grave erreur et une injustice inqualifiable s ' ils se contentaient de retirer de notre sol les cohortes militaires , les services administratifs et d ' intendance dont c' était la fonction de découvrir des richesses , de les extraire et de les expédier vers les métropoles . La réparation morale de l ' indépendance nationale ne nous aveugle pas , ne nous nourrit pas . La richesse des pays impérialistes est aussi notre richesse . l'' Europe est littéralement la création du tiers monde . "
Le colonialisme n ' est pas une machine à penser , n ' est pas un corps doué de raison . IL est la violence à l ' état de nature et ne peut s' incliner que devant une plus grande violence ." Frantz FANON
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10 … 9 … 8 … 7 … 6 … 5 … 4 …
Spécisme et Eugénisme
Racisme et Capitalisme
3 … 2 … 1 …
La guerre éclate.

C'est le comble de la damnation puisqu'on est prêt à mourir pour se libérer d'une machine infernale.

Aujourd'hui, je suis le rouage de quelle machine ? Suis-je autre chose qu'un rouage ?

Laissons le questionnement se développer. Tiens ! Nous venons de passer du Je au Nous. Ce “nous” à la fois simple et complexe. Simple, quasi-substantiel, mobilisateur par magie, polarisé comme une machine. Complexe, recouvrant des motifs d'une diversité quasi-infinie, laissant ouvertes toutes les questions, et qui donne l'impression que les choses arrivent par hazard.

1952.Franz Fanon décrit, dans « Peau noire, masques blancs », un homme noir, qui, depuis 3 générations, « s'achemine par reptation » dans un monde eugéniste, raciste, colonialiste ; un homme qui pense à liquider les déterminations du passé, à devenir imprévisible, et être seulement son propre fondement.
Il entend bien les voix des poètes de la « Negritude », ou celles des jazz men&women. Elles sont en effet entraînantes, mais pas certaines, semble-t-il, de vouloir une lutte face à face pour l'auto-détermination.

Aujourd'hui, je me souviens quand les anciens évoquaient ce monde colonial. La guerre d'Algérie était terminée. Je ne devais évidemment rien savoir des atrocités de cette guerre, mais le peu qui filtrait me laissait deviner confusément. Il m'était seulement donné d'imaginer la beauté exotique des colonies. Des paradis terrestres pour les européens, un enfer pour “les damnés de la terre”.

1961.La guerre a éclaté. Franz Fanon s'adresse exclusivement à ces « damnés de la terre ». Celles et ceux à qui le régime colonialiste ne promettait même pas le ruissellement économique. Pas même un biscuit jeté au peuple, pour faire taire un début de révolte. Il suffisait de poster un gendarme ou un policier. Au nom de la très célèbre « violence légitime ». le colonialisme c'est « la tentation de compromis d'un monde sans hommes ».
Le livre que nous avons aujourd'hui entre les mains, n'était pas destiné aux européens, mais uniquement à celles et ceux qui étaient engagés dans les luttes pour l'indépendance et la décolonisation. Seule la préface de Sartre s'adresse aux européens, en leur révélant la pensée de Fanon.

Aujourd'hui, où en sommes nous de l'eugénisme, ou plus généralement des politiques de régulation des populations, des bio-politiques ? Un conseiller des grands patrons de l'industrie - ca pourrait être n'importe lequel - un chantre décomplexé du capitalisme, associe la sobriété d'actualité avec ses propres fantasmes purificatoires. Écoutons le attentivement : Les prisonniers deviendraient des bouches à nourrir, inutiles. Les personnes âgées de +65 ans devraient se faire interdire toute greffe médicale.

1961.Le « nous » des colonisés a pris une nouvelle allure, en particulier en Algérie. Il affirme maintenant : c'est eux ou c'est nous ! Mais ce « nous », simple en apparence, qu'on nommerait simplement instinct de survie, reste toujours complexe en réalité. «  0 mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge! ».
Rien ne va de soi, ni dans le moment de la lutte armée, ni dans la perspective post-coloniale. Déjà, sur une question d'échelle territoriale, le « nous » s'éparpille, il mute.
A tous les combattants pour l'indépendance, ce livre est un manuel pour éveiller « la conscience nationale », ou disons, plus précisément, pour comprendre les enjeux politiques et lutter efficacement pour la décolonisation.

Aujourd'hui, l'éditeur, dans sa préface, se trouve face à un problème de conscience assez commun. C'est qu'après avoir publié ce livre, il ne faudrait pas donner l'impression d'une “incitation à la criminalité”.
Or, ce que Fanon et Sartre font ensemble, c'est précisément mettre à nue la violence.
Il est donc dramatique de voir l'éditeur se débarrasser du problème en dressant simplement une ligne manichéenne entre Fanon et Sartre. Ce faisant, il rejoint une opinion commune déjà habituée à condamner Sartre, en tronquant ses textes tout en faisant semblant de ne pas comprendre . C'est de bonne guerre et de mauvaise foi. Mais quelle est cette opinion commune, sinon celle qu'on retrouve prompte à innocenter la “violence légitime” étatique ?
Lire Fanon puis Sartre est la seule manière de se faire sa propre opinion. Dans cet ordre, la préface après le texte, je ne vois pas l'une excédant l'autre. Ensemble, ils débordent les déterminismes.
Nous sommes condamnés à être libre, et c'est un rapport charnel. Les personnes ne seront jamais domestiquées. Les muscles bandés, elles vous sauteront à la gorge à la première occasion, dans tous les sens possibles.
Au premier temps de la révolte, le paysan qui prenait un fusil pour tuer un européen, faisait mourir la machine coloniale pour faire vivre l'homme. Cette violence irrépressible, “c'est l'homme se recombinant”. *

1961.Dans une perspective post-coloniale, le « nous », citoyens nationaux des anciens pays colonisés, devait être surpris, en voyant la bourgeoisie nationale prendre pratiquement la place des européens pour continuer l'exploitation du peuple. de même, il devait paraître étonnant de voir un parti nationaliste servir cette bourgeoisie nationale plutôt que se tourner vers le peuple. Dans les pays colonisés, Fanon observe la lâcheté des partis nationalistes au moment du combat, puis leur inévitable évolution vers le chauvinisme et le racisme envers leurs voisins africains.

Aujourd'hui, il est tout aussi choquant d'entendre les partis nationalistes qualifier de « crises épileptiques » les grands mouvements syndicaux et les manifestations populaires de ces dernières années. Lâcheté, racisme et compromissions, on retrouve le tableau décrit par Fanon.

1961.Fanon était psychiatre à l'hôpital de Blida en Algérie, avant de se déterminer à lutter politiquement pour l'auto-determination des peuples colonisés.
En lien direct avec les atrocités commises pendant la guerre, sa description des cas psychiatriques est absolument glaçante - comme une répétition de « La colonie pénitentiaire » de Kafka.
Que dire, sinon que les remèdes réellement efficaces étaient avant tout politiques?

Aujourd'hui, certains médecins ont la main leste pour prescrire des anti-psychotiques à une grande partie des résidents en Ehpad. Comment faire autrement pour calmer les résidents, demande le.la médecin?
Allons plus loin : à quand le moment où les biopolitiques néolibérales, prescriront massivement du risperdal aux manifestants, bonnets rouges, gilets jaunes, wokes, etc… sans oublier les agriculteurs ?

Sérieusement, le “nous”, pour Fanon, ne devait être que le peuple exprimant ses problèmes et ses aspirations, gouverné par le peuple proposant et expérimentant les solutions, sans intermédiaire.
Il est vrai que ce ne sont que des mots, mais qui ne se réduisent pas à prescrire ou décrire. le style de Fanon entre l'impeccable et le sensitif, cette vibration subtile, fait que le discours produit un questionnement intense en le lisant.

* (Sartre dans la préface) Cette violence irrépressible, Fanon le montre parfaitement, n'est pas une absurde tempête ni la résurrection d'instincts sauvages ni même un effet du ressentiment: c'est l'homme lui-même se recomposant.
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Sommes-nous sortis du colonialisme? A l'époque où ce livre est écrit, on est en pleine décolonisation et Frantz Fanon montre à la fois à quel point l'homme colonisé a été opprimé, nié, déshumanisé par le colonisateur et à quel point le réveil de sa conscience est un réveil - violent, certes - de son humanité, de sa liberté, de sa vie mise entre parenthèses pendant un siècle. Il montre que le colonisé, l'Africain en particulier, ne se libèrera pas en imitant le colonisateur, que quand la petite bourgeoisie locale à l'esprit européanisée prend le pouvoir, elle devient pire que le colons, que c'est au peuple des campagnes de se saisir de sa liberté et de lutter pour son indépendance. Cinquante ans plus tard, le combat semble s'être enlisé: les petits bourgeois corrompus accaparent toujours le pouvoir, les firmes européennes (et, plus discrètement, les Etats) ont pignon sur rue, les pauvres courbent l'échine, ils ont juste changé d'esclavagistes. Frantz Fanon avait compris qu'il fallait plus que remplacer l'élite ancienne par une élite nouvelle pour changer véritablement un système qui, hier comme aujourd'hui, se base sur l'exploitation des faibles par les puissants.
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Les "damnés de la Terre", ce sont ces peuples dominés du Tiers-Monde (terme polémique qui renvoie à la notion de tiers-état dans l'essai de Sieyès, partie majoritaire qui ne veut plus être rien ; remplacé aujourd'hui par l'appellation très courageuse de "Pays Moins Avancés"), peuples condamnés à un enfer sur Terre, peuples esclavagisés puis/ou colonisés, infériorisés, dépossédés de l'usage de leur terre, démentis dans leur culture, maintenus sous la dépendance, astreints à la charité, fouettés de bonnes valeurs et de bons sentiments progressistes... Fanon est trop souvent caricaturé en apôtre de la violence, d'une vengeance exagérée contre des colonisateurs certes fautifs mais pas si mal intentionnés, enragé traître à la France engagé au F.L.N. et demi converti au barbarisme. J.-P. Sartre explique dans sa préface que l'essai s'adresse directement aux damnés, et non aux occidentaux, néglige donc toute précaution oratoire. Non. Fanon propose tant aux uns qu'aux autres une vision zéro concession du colonialisme, sans rôle positif aucun, vision inconcevable alors, toujours difficile à accepter malgré le poids des recherches historiques s'accumulant. La culture du pays colonisateur, avec son image ethnocentrique de progrès, implicitement présentée comme supérieure à une autre négligeable, sert de cache-canines, de voile d'innocence à une propagande fasciste défendant le droit à dominer humainement et à jouir de privilèges d'exploitation...

Référence des mouvements tiers-mondistes comme les non-alignés ou la Tricontinentale de Mehdi Ben Barka, Fanon se méfie de toute simplification et de tout manichéisme : nord-sud, blanc-noir, musulmans-chrétiens, éduqués et incultes, les gentils les méchants... Paradigme piège qui est justement celui promu par le pouvoir colonial ou impérialiste. Il ne s'agit pas d'expulser le colon, d'opposer l'arabe et le français, mais d'anéantir une machine administrative de domination et d'exploitation, qu'elle soit tenue par des originaires du pays colonisateur ou par des locaux. À l'instar d'Étienne de la Boétie dans son Discours sur la servitude volontaire - talents précoces et destinées d'ailleurs très comparables - Fanon dénonce la collaboration de l'intérieur, l'importance de la classe administrative, les petites mains exécutantes, serviteurs modèles qui par leur travail décomposé, déresponsabilisés assurent la bonne marche du système colonial, contre avantages (privilège d'être moins exploité ; position moins basse dans la hiérarchie sociale ; miettes d'exploitation...). Important également de se méfier des élites intellectuelles colonisées (ce qu'il est lui-même), hommes politiques et écrivains, assimilés ou révolutionnaires, bons élèves du maître, parlant la langue du négoce, moralistes moins dans l'urgence de voir changer un système où ils réussissent plutôt bien, tergiverseurs ayant peur de perdre leur titre de révoltés en phrases (cf. l'analyse de Baudrillard sur le parti socialiste qui, élu sur le mécontentement du système, n'a pas d'intérêt à trop le changer...). Une caste qui, passée l'indépendance, sera tentée de reprendre les rênes du pouvoir, clamant que tout a changé grâce à elle sans rien modifier un système injuste reposant sur l'exploitation des uns par les autres.

Manuel du parfait révolutionnaire décolonisateur donc, mais pas que, Fanon anticipe clairement le "néocolonialisme", domination pilotage à distance de gouvernements dans une dépendance aux mêmes circuits économiques de l'ancien maître (comme dans La Ferme des animaux d'Orwell)... Sous le racisme et la violence coloniale, se dissimule la prédation économique (La raison économique apparaissait déjà chez Montesquieu dans de l'esclavage des nègres, comme la raison profonde et atrocement simple de la traite). Ethnographie psychiatrique d'une terre en guerre de décolonisation. Langue claire, vibrante et incisive ; prose philosophique et poétique à la fois, déjà allégée du maniérisme complexé des poètes de la négritude qui cherchaient encore à briller ; langue du corps douloureux, du corps qui s'auto-mutile, s'auto-opère, se saigne, pour se séparer du corps étranger, de cellules cancéreuses comme autant de balles de fusil qui gangrènent et aliènent jusqu'à l'intimité, jusqu'à l'inconscient. Langue exhibant ses blessures comme le dos de "Peter le fouetté" mais déterminée et fière. On entre dans le corps de l'oppressé, derrière ce regard où se mêlent peur et défi, et où la lutte ne commence qu'après renoncement total à soi, homme trois fois mort se dressant encore parmi les manifestants gisant comme dans le Cadavre encerclé de Kateb Yacine (cet autre mis au ban du panthéon littéraire français). Parce que, comme l'exprime Albert Camus dans L'Homme révolté, l'esclave fait front contre son maître armé lorsque la défense de sa vie, tant et tant dévalorisée, devient anecdotique en comparaison de celle d'une valeur qui le dépasse en tant qu'individu. Dans cette perspective, Fanon donne un vrai rôle, noble et quasi féerique, aux rejetés, aux marginaux, criminels, prostituées, mendiants... qui n'ont rien à perdre mais une chance dans l'action révolutionnaire de se racheter à leurs yeux et à ceux de leurs pairs, de passer du statut de moins que rien à celui de héros. Leur aptitude à sacrifier totalement leur personne pour une révolution, constitue sans doute la lame de fond de celle-ci.
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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critiques presse (1)
Bibliobs
07 décembre 2011
«Les Damnés de la Terre» confirme la puissance d’écriture de Frantz Fanon et l’acuité de son regard.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (63) Voir plus Ajouter une citation
Ne payons pas de tribut à l’Europe en créant des états, des institutions et des sociétés qui s'en inspirent.
L'humanité attend autre chose que cette imitation caricaturale et dans l'ensemble obscène.
Si nous voulons transformer l'Afrique en une nouvelle Europe, l'Amérique en une nouvelle Europe, alors confions à des Européens les destinées de nos pays. Ils sauront mieux faire que les mieux doués d'entre nous.
Mais si nous voulons que l'humanité avance d'un cran, si nous voulons la porter à un niveau différent de celui où l'Europe l'a manifestée, alors il faut inventer, il faut découvrir.
Si nous voulons répondre à l'attente de nos peuples, il faut chercher ailleurs qu'en Europe.
Davantage, si nous voulons répondre à l'attente des Européens, il ne faut pas leur renvoyer une image, même idéale, de leur société et de leur pensée pour lesquelles ils éprouvent épisodiquement une immense nausée.
Pour l'Europe, pour nous mêmes et pour l'humanité, camarade, il faut faire peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf.
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Les ministres, les chefs de cabinets, les ambassadeurs, les préfets sont choisis dans l’ethnie du leader, quelquefois même directement dans sa famille. Ces régimes de type familial semblent reprendre les vieilles lois de l’endogamie et on éprouve non de la colère mais de la honte en face de cette bêtise, de cette imposture, de cette misère intellectuelle et spirituelle. Ces chefs de gouvernement sont les véritables traîtres à l’Afrique car ils la vendent au plus terrible de ses ennemis : la bêtise. Cette tribalisation du pouvoir entraîne, on s’en doute, l’esprit régionaliste, le séparatisme. Les tendances décentralisatrices surgissent et triomphent, la nation se disloque, se démembre.
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Le racisme, la haine, le ressentiment, « le désir légitime de vengeance » ne peuvent alimenter une guerre de libération. Ces éclairs dans la conscience qui jettent le corps dans des chemins tumultueux, qui le lancent dans un onirisme quasi pathologique où la face de l’autre m’invite au vertige, où mon sang appelle le sang de l’autre, où ma mort par simple inertie appelle la mort de l’autre, cette grande passion des premières heures se disloque si elle entend se nourrir de sa propre substance.
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Au niveau des individus, on assiste à une véritable négation du bon
sens. Alors que le colon ou le policier peuvent, à longueur de journée,
frapper le colonisé, l'insulter, le faire mettre à genoux, on verra le
colonisé sortir son couteau au moindre regard hostile ou agressif d'un
autre colonisé. Car la dernière ressource du colonisé est de défendre
sa personnalité face à son congénère. Les luttes tribales ne font que
perpétuer de vieilles rancunes enfoncées dans les mémoires. En se lançant à muscles perdus dans ses vengeances, le colonisé tente de se
persuader que le colonialisme n'existe pas, que tout se passe comme
avant, que l'histoire continue. Nous saisissons là en pleine clarté, au
niveau des collectivités, ces fameuses conduites d'évitement, comme
si la plongée dans ce sang fraternel permettait de ne pas voir l'obstacle, de renvoyer à plus tard l'option pourtant inévitable, celle qui débouche sur la lutte armée contre le colonialisme
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Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir.
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Videos de Frantz Fanon (18) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Frantz Fanon
De l'anticolonialisme à la désaliénation, l'oeuvre-vie de Frantz Fanon est d'une actualité brûlante. Edwy Plenel la revisite avec l'essayiste Adam Shatz, qui publie « Frantz Fanon. Une vie en révolutions » (La Découverte).
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