L'homme doit agir ; à la longue, l'inaction devient monotone.
C'était Noël à Rocklin, Colorado. La tempête de neige redoublait et son père vivait avec une femme nommée Effie Hildegarde. Les ongles de sa mère avaient lacéré le visage de son père et en cet instant il savait que sa mère priait, que ses frères pleuraient, et qu'un peu plus tôt les cendres du poêle avaient valu plus de cent dollars.
Joyeux Noël, Arturo !
Il avançait en donnant des coups de pied dans la neige épaisse. Un homme dégouté. Il s'appelait Svevo Bandini et habitait à trois blocs de là. Il avait froid, ses chaussures étaient trouées. Ce matin-là, il avait bouché les trous avec des bouts de carton déchirés dans une boîte de macaroni. Les macaronis de la boîte n'étaient pas payés. Il y avait pensé en plaçant les bouts de carton dans ses chaussures.
Il détestait la neige. Il était maçon, et la neige figeait le mortier entre les briques qu'il posait. Il rentrait chez lui en se disant que c'était absurde.
Il détestait Gertie. Il l'avait toujours détestée, elle et son pâle menton pointu qui montait et descendait sans cesse, entraîné par le chewing-gum. Grâce à Rosa qui l'aidait, Gertie obtenait toujours des B. Mais Gertie était tellement transparente qu'en la regardant dans le blanc des yeux on apercevait le fond de son crâne sans rencontrer le moindre obstacle, (...)
Le fracas du charbon percutant le fer-blanc des seaux réveilla les poules de Maria qui somnolaient dans le poulailler. [...] Il les entendit, puis, se relevant, leur lança un regard haineux.
"Des œufs, dit-il. Des œufs au petit déjeuner, des œufs au déjeuner, des œufs au dîner."
"Noël sera bientôt là, Svevo, dit-elle. Fait une prière. Demande à dieu de nous accorder un joyeux Noël."
Elle s’appelait Maria, et elle répétait sans arrêt les choses qu'il connaissait déjà. Na savait-il pas à l'évidence que Noël approchait? A quoi bon le lui rappeler? C'était la nuit du 5 décembre. Quand un homme s'endort à côté de sa femme un jeudi soir, doit-elle vraiment lui rappeler que demain sera un vendredi? Et ce salopard d'Arturo - pourquoi était-il affligé d'un fils qui aimait la luge? Ah povera America! Et il devrait prier pour avoir un joyeux Noël! Bah!
Après tout, la Vierge Marie lui avait déjà accordé un mari splendide, trois beaux enfants, un bon foyer, une santé durable et la foi en la compassion de Dieu. Mais la paix entre Svevo et sa belle-mère, eh bien il y avait des requêtes qui outrepassaient même la générosité du Tout-Puissant et de la Sainte Vierge Marie.
Les livres, très peu pour lui. Les soucis de son existence ne lui avaient laissé aucun loisir pour les livres. Mais il avait pénétré le langage de la vie plus à fond qu’elle, malgré ses livres omniprésents. Son esprit débordait d’expériences dignes d’être racontées.