"L'idée que seule Keraël existait sous le soleil, et rien d'autre, était fortement ancrée dans tous les esprits. J'avais la certitude qu'il n'en était rien. le monde était vaste. Des villes, des gens devaient subsister quelque part."
A la lecture de
Lunerr, le premier tome de cette série qui en comptera trois, j'étais, comme d'autres lecteurs, restée un peu sur ma faim. L'auteur ayant réussi à éveiller ma curiosité par une histoire présentant un société du futur ayant tout oublié de son passé ! Une société au mode de vie quasi similaire à nos premières sociétés sédentarisées. de très nombreuses interrogations subsistaient : pourquoi et comment Keraël, la cité des anges, avait-elle vu le jour ? pourquoi ses habitants s'étaient-ils repliés sur eux-mêmes interdisant jusqu'à l'emploi du mot Ailleurs ? pourquoi s'étaient-ils organisés en castes inégalitaires ? d'où venaient leurs petits animaux de compagnie doués de parole ? ...
Ce deuxième tome apporte son lot de réponses mais pose aussi d'inévitables nouvelles questions, principalement sur l'importance du héros,
Lunerr, dans cette redécouverte d'un passé (notre présent ou futur proche ?) perdu. Ainsi, si dans le premier tome,
Lunerr découvre l'existence des livres ; dans ce second volet, il est confronté au pendant numérique, la tablette, et à une foule d'informations qu'une seule vie ne pourrait lui permettre d'emmagasiner. Pour quelle raison est-il le dépositaire de ce savoir oublié ? Encore une question non totalement élucidée !
Peu avant la sortie de ce deuxième tome, j'ai eu la chance d'avoir un échange avec l'auteur, Frédéric Farargorn, où il s'explique notamment sur tout ce mystère :
"J'ai souhaité sur toute la narration avoir le regard de
Lunerr sur les événements. le lecteur est logé à la même enseigne. Il ne verra rien d'autre que ce que voit
Lunerr, il ne comprendra ni plus ni moins, n'obtiendra pas de réponses supplémentaires aux questions soulevées et les découvertes de
Lunerr seront aussi les siennes. A l'image de la vie, des choses demeurent obscures, hors de portée. Bien évidemment, elles véhiculent du sens, ont des origines, des causes, mais seules les conséquences parfois nous apparaissent.
Lunerr et le lecteur devront choisir : croire ou ne pas croire, admettre ou ne pas admettre, en fonction des éléments que je glisse dans l'histoire."
S'il espère que le 3e tome comblera la soif de réponses du lecteur, il ajoute, un peu espiègle, que l'écriture de
Lunerr l'amuse beaucoup :
"J'ai inventé cette histoire il y a longtemps, l'ai toute structurée, l'ai laissé reposer, puis je l'ai retournée comme un gant pour la raconter suivant un autre point de vue. En écrivant, je pense à ce peintre zen qui un jour à Paris avait peint un paysage avec une grande minutie puis, une fois la peinture apparemment achevée, avait peint le brouillard faisant quasiment tout disparaître..."
Heureusement, rassurez-vous, ici, tout ne disparaît pas, loin de là. Et, comme pour compenser ces zones d'ombre, l'auteur nous prévient à plusieurs reprises dans son récit, à mots couverts bien sûr, de ce qui se passera par la suite.
Ce tome nous permet aussi de nous attacher davantage au héros, tiraillé entre son envie d'aller plus loin dans son exploration de l'Ailleurs et son sentiment de responsabilité envers les enfants qui l'ont choisi comme guide. Avec la centaine de jeunes rescapés du cataclysme qui a englouti leur cité, il installe un nouveau village. Mais les fléaux ne les épargnent pas, qu'ils soient d'ordre naturel, animal ou humain ! A ça s'ajoute l'éternel conflit entre les partisans d'un nouveau départ et ceux qui rêvent de reproduire un schéma ancestral.
Lunerr peut néanmoins compter sur le soutien de ses amis proches - Morgan, sa fidèle amie toujours de bon conseil en tête - pour tenter d'instaurer ses idées progressistes et humanistes et pour éviter qu'ils ne se replient une fois de plus sur eux-mêmes.
"J'avais, sans me l'avouer, imaginé ou tout au moins espéré un monde meilleur, libéré des contraintes du passé. Quel fou ! le voyageur emporte avec lui la poussière de chez lui ; dès qu'il s'arrête, elle se redépose."
Mine de rien, l'auteur aborde donc de nombreuses questions de politique et de société. Son personnage ne veut pas reproduire les erreurs du passé et rêve d' instaurer une société plus juste, plus égalitaire où chacun agit non dans son intérêt propre mais dans celui du groupe. Il se heurte bien évidemment aux croyances du passé et aux propos démagogiques de ceux qui désirent conserver leurs privilèges d'antan. Au gré des péripéties, de nombreuses sujets essentiels sont soulevés et mènent le lecteur à la réflexion : la responsabilité de leader, l'égalité sociale, l'égalité homme-femme, la justice, les droits de l'homme, la place du spirituel, ...
L'auteur fait également la part belle aux relations humaines : amicales et amoureuses. Dans ce cadre, le tome 3 devrait nous offrir une apothéose. En ce qui concerne la relation qu'entretient
Lunerr avec son pitwak, son petit animal de compagnie, Mourf, elle évolue aussi dans un sens qui amène, là encore, pas mal de réflexions.
Bref, ce tome vient renforcer mon intérêt déjà vif pour la série. Après cet intermède nécessaire de maturation où les personnages découvrent ce qu'ils veulent et, surtout, ce qu'ils ne veulent plus,
Lunerr et les siens sont prêts à se lancer dans l'inconnu. Je le suis aussi !
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