Il y a un autre endroit où j'oublie que je suis la fille, sa fille, leur fille. Un endroit où ils n'auront jamais leur place. Et c'est d'abord pour ça que j'aime l'école.
Quand j'y vais, j'ai envie de voler au-dessus du monde pour apercevoir les rêves qui traînent par terre. (...)
C'est le bonheur du rire facile, la douceur des larmes enfantines.
On peut survivre à tout, quand on survit à sa mère.
Sur le bateau, dans les yeux épuisés de Vendredi, les bottes françaises, les tirailleurs français, les soldats de la pacification ; dans ceux de son mari silencieux, la traîtrise d’avoir manqué à son pays pour survivre en France ; tous deux voguent vers le pays des bourreaux, vers le pays des assassins de leurs frères et de leurs pères, ils voguent vers leurs sauveurs, vers leurs employeurs et ils vomissent. Ils sont vivants et veulent être heureux là-bas, là-bas d’où viennent ceux qui les ont mis à genoux au pied des Aurès.
Vendredi le sait confusément et ne comprend pas ce qu’elle a fait pour en arriver là.
J'ai envie de l'embrasser, tellement elle est belle dans cette joie folle. Mais je suis bien élevée, je n'ai aucune envie de recevoir une baffe ; je l'aime de loin.
L’amour maternel s’exprime chez elle comme chez certaines espèces animales qui laissent leur progéniture trouver elle-même un mode de survie. Et elle a ses raisons. Elle refuse le rôle inepte que la nature tyrannique impose aux femelles humaines parturientes.
A mesure que je deviens la fille de ma mère, je commence à la quitter. Cela m'émeut, m’étreint, me terrifie.
Mais cela, elle ne le raconte pas, ma mère a sa dignité berbère ; on ne dit pas n'importe quoi quand on boit du thé, même lorsque le miel colle aux dents.
Des années à penser que je n’étais pas de son ventre, d'autres à espérer que l'on m'arrache à elle, d'autres encore à m'agiter pour ne pas lui ressembler, et enfin je comprends que Vendredi m'a faite à son image: je viens de son nombril. Que je le veuille ou non ,Vendredi sommeille en moi.
Outre un islam contondant et désordonné, Vendredi adore un Dieu dont elle est la meilleure pratiquante : la propreté.
Tous deux voguent vers le pays des bourreaux, vers le pays des assassins de leurs frères et de leurs pères, ils voguent vers leurs sauveurs, vers leurs employeurs et ils vomissent. Ils sont vivants et veulent être heureux là-bas, là-bas d’où viennent ceux qui les ont mis à genoux au pied des Aurès.
En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.