Selon son propre aveu, Johnny, son épouse
Alice et leur fillette mènent une vie de calme désespérance. Il se voyait grand architecte, il est l'un des innombrables dessinateurs exploités par une officine réputée où il gagne moins qu'un plombier ou un électricien mais il n'a été formé pour aucune profession rentable. Cette constatation intime n'est pas teintée de fausse modestie ou de philosophie mais de lucidité, il sait que sa vie n'appelle pas de définition plus approfondie. Il considère souffrir peu dans un monde où la plupart des êtres souffre beaucoup, mais cette absence de douleur ne guérit pas le mal existentiel insidieux qui le ronge. Sa femme reste au foyer pour s'occuper de leur adorable enfant, et après avoir trimé jour et nuit depuis sa plus tendre jeunesse pour s'extraire de la misère, cette situation est pour elle la marque d'un ascenseur social efficace. le rêve américain, peut-être pas, faut pas pousser non plus !
Seul un événement fortuit pouvait modifier cet ordonnancement gravé dans le marbre du déterminisme social. Comme
Howard Fast est aux manettes, il fait le nécessaire pour plonger ce quidam ordinaire dans une situation extraordinaire mais simple et crédible, dans laquelle chaque protagoniste révèle sa personnalité. Johnny bien sûr, qui tout en ayant été toujours correct avec sa femme et méprise les hommes qui traitent les leurs comme des esclaves, ne s'est jamais informé des goûts d'
Alice, de ses aspirations, ne l'a jamais écoutée, ni même seulement entendue, peut-être vue. Tout juste se souvient-il qu'ils ont formé un couple pour mettre fin à leurs solitudes. Il regrette maintenant, découvrant sa femme devenir une lionne pour défendre les siens contre un danger non ou mal identifié, de l'avoir toujours considérée comme une canne, un soutien, un lieu pour s'épancher.
Alice n'a même pas peur d'affronter Lenny, une femme d'une beauté bouleversante, mariée à un homme doté d'un triple menton et d'une double vie, qui tourne autour de son Johnny.
Alice s'inscrit avec bonheur dans la série des douze romans d'
Howard Fast portant des prénoms féminins en titre. Comme d'habitude, on retrouve des personnages touchants, humains, loyaux, pétris de valeurs ; des monsieur-madame tout le monde se trouvant mêlés à leur corps défendant sans oublier leurs origines à des histoires bien trop grandes pour leur modestie sociale ou physique. Comme d'habitude le style est incisif, parfois cassant, ne livrant que les éléments indispensables à la parfaite compréhension de l'histoire sans s'encombrer de gras inutile. Comme d'habitude, j'ai adoré !