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Critique de Woland


Woland
25 décembre 2013
Pylon
Traduction : R. N. Raimbault & G. L. Rousselet
Préface : Roger Grenier

ISBN : 9782070375318

Extraits
Personnages


"Pylône" est un roman déconcertant. Peut-être parce que, pour une fois, Faulkner abandonne le comté dont il s'affirmait avec panache le "seul propriétaire" et qu'il avait créé en se fondant sur ses souvenirs d'enfance dans le Mississippi, à savoir le comté de Yoknapatawpha. Pour autant, nous ne quittons pas le Sud des Etats-Unis car la ville de New-Valois n'est autre que La Nouvelle-Orleans. Mais si l'on excepte cette localisation, rien, dans "Pylon" ne se rattache aux grands mythes et traditions sudistes - ce qui explique pourquoi son auteur le tenait pour "anti-faulknerien". William Faulkner, qui s'inventa sans vergogne un glorieux passé de pilote de guerre alors qu'il ne fut - et pour cause, la Grande guerre s'acheva quelques mois avant que lui-même eût terminé sa formation - jamais envoyé au front, rend ici hommage aux pilotes professionnels, aux "fous volants" à une époque où, rappelons-le, l'aviation était encore une activité des plus dangereuses. Rappelons aussi au passage que, avec les droits d'auteur qu'il reçut pour "Sanctuaire", Faulkner, en qui on retrouve beaucoup du jeune Bayard Sartoris et de sa passion de la vitesse, s'offrit un petit avion qu'il donna ensuite à son frère Dean. Or, celui-ci devait y trouver la mort l'année même de la parution de "Pylône", en 1935.

L'intrigue est pour ainsi dire minimaliste même si, comme d'habitude chez Faulkner, le lecteur retrouve ce style incomparable, que la traduction ne peut entamer et qui se perd si souvent dans un véritable labyrinthe de phrases qui se croisent, s'entrecroisent et sinuent à travers tout le texte, un peu à la façon d'un Proust qui aurait lu Joyce. Un journaliste - dont on ne saura jamais le nom, nom qui semble pourtant assez connu toutes les fois qu'il le révèle mais jamais au lecteur, hélas ! toujours à tel ou tel personnage qui, à son tour, ne le reprend pas, se contentant de s'étonner - se rend à une manifestation aéronautique. Là, il tombe sur un trio qui le fascine d'emblée : Roger Shumann, pilote aussi habile que téméraire, son épouse, Laverne, mécanicienne et parachutiste quand il le faut, et Jack Holmes, un parachutiste professionnel. Etrange triangle amoureux (ou simplement sexuel ?), presque toujours sur les nerfs, qui prend cependant grand soin de l'enfant que Laverne a eu officiellement de Shumann même si, en réalité - on ne le saura qu'à la toute fin du livre - Holmes en est le vrai père.

C'est cette histoire pour le moins embrouillée et assez glauque, qui en choque plus d'un dans le milieu pourtant assez libre où évolue le trio, que Jiggs, mécanicien qui travaille avec le trio, raconte au journaliste, déjà largement sous le charme de Laverne et de ses deux chevaliers servants. le coup de foudre ressenti par le journaliste s'applique aussi bien à l'ambiguïté sexuelle de l'affaire qu'à cet ensemble en apparence si parfait, si fluide, si étranger à sa propre condition personnelle que forment le trio, l'enfant, le mécanicien alcoolique et le mode de vie à risques qu'ils semblent avoir choisi sans aucune hésitation. Il se lie avec eux ou disons qu'il s'impose à eux et va leur permettre, après un accident qui les prive de leur vieux coucou, de se procurer un autre avion, de façon à ce que Shumann puisse concourir une nouvelle fois et remporter un prix substantiel qui permettra au trio - et à leur enfant - de vivre jusqu'au prochain meeting sans problème financier.

On s'en doutait depuis le début, le Destin en décidera tout autrement.

Livre tragique une fois encore, "Pylône" raconte l'errance complètement folle et abondamment alcoolisée - le journaliste sans nom et Jiggs sont des ivrognes invétérés - de quelques personnages résolument marginaux, pour qui l'existence ne se conçoit pas sans qu'ils puissent la vivre comme ils l'entendent. Tous, sans exception, ont ce grain de folie, cette obsession fatale qui accablent les héros faulkneriens. le thème de l'homosexualité latente, inhérent à un monde qui s'affiche comme strictement viril, et qui perce par ailleurs chez des personnages comme le Joe Christmas de "Lumière d'Août" ou encore dans la relation entre Charles Bon et le fils Sutpen d'"Absalon ! Absalon !", affleure avec plus ou moins de netteté, uni à cette vision souvent trop négative que Faulkner avait de la Femme. Esquissée d'un trait plus fantastique que réaliste, et pourtant très présente, la ville de New-Valois prête à l'histoire la moiteur paresseuse de ses nuits tièdes où, parmi les senteurs des magnolias, déambulent, se poursuivent et se déchirent nos personnages, plongés dans une quête mal définie et qui n'est sans doute que celle de ce qu'ils sont vraiment. de temps à autre, les avions ronflent, s'élèvent, atterrissent mais aussi s'écrasent ... La vie, on le sait bien, ne fait pas de cadeaux. Surtout pas chez Faulkner.

Un roman assez court, ramassé et puissant. Une oeuvre peut-être mineure diront certains mais alors mineure comme le sont ces textes sur lesquels l'écrivain, quel qu'il soit, se repose, au sein d'un vaste cycle, avant de plonger à nouveau dans sa "grande oeuvre." "Pylône" fut, dit-on, d'ailleurs conçu alors que son auteur se trouvait en panne d'inspiration pour "Absalon ! Absalon !" Et précisons aussi, à tous les traumatisés du "Bruit et la Fureur", que le style de "Pylône", malgré certaines déviances aussi poétiques que fortement éthyliques, respecte pour une fois la linéarité du récit. Nous espérons que cela les encouragera à persévérer dans leur découverte de celui qui fut, peut-être, le plus grand écrivain américain du XXème siècle. ;o)
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