Attention, critique "faulknérienne" donc longue (désolé..) ! (mais c'est que cet auteur m"inspire)
Requiem pour une nonne, écrit en 1951, était à l'origine un "roman dialogué" avant de devenir un livre en partie en prose en partie en actes théâtraux, d'où son côté "coupé en 2" mais sa structure est bien explicitée par Camus (Albert) dans sa préface.
Les parties théâtre sont un peu la suite de l'
histoire de
Sanctuaire (à lire donc avant, dans l'idéal), écrit 20 ans plus tôt.
Dans les parties prose j'ai retrouvé le
Faulkner de ses romans aux phrases longues car sans cesse suspendues par des tirets puis par des parenthèses (pas toujours refermées dans mon édition de 1980) car je crois que l'écrivain essayait de dire des choses (pensées des personnages) difficiles à exprimer "justement" et puis cela crée aussi l'attente du lecteur (où veut-il en venir, qu'a-t-il à révéler ?) et un travail d'attention et de réflexion de sa part (il vaut mieux parfois prendre des notes dans certains de ses romans, sur les personnages, sinon on s'y perd).
Je comprends que ce style peut dérouter, fatiguer, décourager. Moi j'apprécie, comme j'apprécie
Claude Simon auquel j'ai souvent songé au cours de cette lecture en me disant qu'il était "l'héritier" de
Faulkner, ou sa version française, ou en tous cas dans la même veine (car il avait déjà eu 3 livres publiés quand Requiem sortait en France).
Faulkner sortait d'un sac (son esprit) des cordelettes (des phrases) qui sont enrichies de précisions, de rectifications - comme si on assistait en direct aux tâtonnements de l'écrivain - qui s'enroulent autour du lecteur sans qu'il s'en aperçoive, qui tournent autour de la vérité (des faits, des pensées, des sensations..) à dire. Il y a des lecteurs qui se délectent de ce quasi-envoûtement, d'autres qui y résistent et y étouffent.
Faulkner distend, étire, dilate le temps : des dizaines de pages pour tenter de dire à sa façon le commencement de ce Sud blanc américain au détriment des Indiens en choisissant comme élément principal.. un "cadenas de 15 livres"..
Il décortique, tente de formuler, les pensées cachées, balbutiantes, derrière les rares paroles des uns et des autres, les faux-semblants, les implicites, les bluffs, les mensonges dont ceux qui les prononcent et ceux qui les entendent ne sont pas dupes.. Dans les parties théâtrales, c'est plutôt l'inverse : certains personnages sont "bavards", parlent un peu comme leur créateur écrit en prose.. d'autres sont des modèles de sobriété et de brièveté..
Ce que j'admire chez
Faulkner - notamment dans ce livre qui fait partie de la seconde moitié, chronologiquement parlant, de son oeuvre (et qui vient après ses romans les plus célèbres) - c'est qu'il y confirme qu'il est bien un écrivain du mystère et de la création (je n'ose mettre des majuscules) : pris, ensorcelé par les lianes de ses phrases à tiroirs (tiroirs-parenthèses, tiroirs-tirets), le lecteur avance dans une végétation relativement dense, se doute que l'auteur lui parle d'une création (il a créé un comté fictif que l'on retrouve dans la plupart de ses livres), d'un commencement, d'une origine, ici d'une ville à partir d'un cadenas volé, ailleurs d'une faute, d'un péché (crime, viol, inceste, trahison, échec..) qui bouleverse le fragile équilibre des groupes humains, des familles, des villes, commencement qu'il aborde à partir de ses suites et conséquences, d'où le fait qu'on n'y comprend pas grand-chose au début, mais quelle recherche, quelle justesse, quelle exigence dans l'écriture !
En parlant avec emphase on pourrait dire que
Faulkner est un écrivain de la genèse des choses.
J'ai songé à
Claude Simon, donc, mais aussi, brièvement à
Marcel Proust (dont on trouve ici un équivalent de la madeleine) et (2 ou 3 pages) au Cauchemar Climatisé d'
Henry Miller.
Dans les parties théâtre, intenses, riches (et mystérieuses aussi), j'ai parfois pensé à des personnages tourmentés, douloureux de chez
Marguerite Duras.
Avant d'entrer dans le puissant univers de
Faulkner et en profiter il faut peut-être lire quelques explications sur lui et je ne conseille pas de commencer par celui-ci.