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3,92

sur 577 notes
J'ai abandonné la lecture de ce livre. J'ai résisté jusqu'à la centième page, barrière psychologique faisant que, si je m'ennuie ou si je ne comprends rien (les deux ici mon Général !), je jette le gant comme on le disait au Moyen Âge. Alors je n'accuse personne... surtout pas Faulkner (pas envie de me faire lyncher en place publique !!! ) et je me dis qu'il faudra peut-être attendre le dég... euh, déclic (ceci dit, j'attends toujours celui pour Joyce mais il ne veut pas arriver ) pour apprécier à sa juste valeur (ou pas) ce bouquin !
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Avec Faulkner, je dois y aller doucement. On a tous des auteurs qui font peur, dont on redoute de ne pas pouvoir pénétrer l'univers et Faulkner en est un pour moi, malgré un très grand appétit pour la littérature américaine.
Voilà donc un grand pas de franchi avec la lecture de Sanctuaire, après une première lecture de nouvelles et quelques tentatives avortées.
La bonne surprise, c'est de ne pas m'être retrouvée confrontée à l'univers hermétique et la langue abscons auquel je m'attendais. Autant j'ai du mal à saisir la dimension universelle de cette histoire poisseuse et glauque de viol quasi libérateur et de frustrations noyées dans l'alcool frelaté, autant j'ai pu ressentir à chaque ligne l'atmosphère délétère d'un vieux Sud en décomposition et percevoir tout ce que l'auteur a apporté à toute une génération d'écrivains après lui, de Case à Donald Ray Pollock. C'est immoral, ça pue l'enfer et c'est d'une noirceur étouffante, mais sans l'ombre d'un doute c'est de la littérature.
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A la cent-trentième page, je suis toujours incapable de savoir combien de personnages interviennent dans l'histoire. Combien d'hommes, chacun plus effrayant que les autres, partagent cette maison perdue et ruinée. Quel est celui, s'il existe, qui a une autorité sur les autres.
Je ne suis pas certaine d'avoir compris comment la jeune fille est arrivée dans ce lieu et pourquoi il lui est impossible d'en partir.
Je constate surtout que cette lecture demande un effort non récompensé : dois-je vraiment m'immerger dans cette ambiance glauque, m'imposer la lecture de ces échanges abrupts et informes entre brutes avinées, de leurs coups et de leurs rixes, de leurs menaces grossières, de leurs comportements primaires, et tout cela dans une confusion qui fait que j'ignore souvent de qui il est question, et quelles sont ses intentions ?
Le plaisir de lire n'y est pas. Mais si on porte Faulkner aux nues, il doit bien y avoir une raison…

Et puis l'histoire quitte la maison pour la ville avoisinante et j'identifie mieux la place et le rôle de chacun. Alors la fascination s'installe, avec la connaissance des personnages qui s'approfondit. Ces silhouettes presque caricaturales deviennent des femmes et des hommes dont on aperçoit le passé, dont on découvre la capacité à affronter la vie, ses heures médiocres ou terribles. Terriblement médiocres ou médiocrement terribles, le choix se limite à peu près à ça.

De ce tout de mélange misérable, deux ou trois figures émergent pourtant, et tentent de sauver la dignité et la droiture. Tommy, à la tête simple et au coeur bon, voudrait protéger la jeune fille. Cela lui coûte la vie. Malgré l'opposition de sa soeur et l'opinion publique impitoyable, Horace Benbow, avocat, prend la défense de Lee Goodwin accusé du meurtre de Tommy. Et la femme De Lee reste aux côtés de son homme, éprise et obstinée, leur bébé toujours dans ses bras ou sur ses genoux.

Tout se passe dans l'état du Mississipi, entre Jefferson et Memphis, dans les années 1920 ou 1930 je suppose.

Ce livre est celui de la sauvagerie. Celle d'hommes qui n'ont que leurs instincts pour mener leur vie. Celle, à peine plus policée, d'une société puritaine et aveugle qui condamne avant même de juger. Aux excès tragiques et aux crimes des premiers, elle n'oppose que des carcans, des préjugés, une étroitesse d'esprit et une intolérance qui comptent pour rien son incapacité à offrir à ses membres des conditions de vie décentes.

Ce roman est parfaitement désespéré.

L'écriture de Faulkner, je ne vais pas prétendre la qualifier. J'en retiens que si sa puissance brutale ne laisse pas d'échappatoire quand elle parle du pire de l'homme, elle suscite d'autant plus l'émotion quand elle se trouve confrontée à la bonté, l'amour fou, le sens de l'honneur.

PS : j'aime beaucoup trouver des personnages d'avocats lumineux dans mes lectures. Ce n'est pas si fréquent. Mais j'ai pensé souvent à Atticus Finch (Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur) en admirant l'obstination courageuse d'Horace Benbow. Horace, grand frère d'Atticus, de 30 ans son aîné, si je me fie aux dates d'édition des deux livres.
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Il en va du roman noir comme du chocolat... on doit pouvoir en mesurer le % de cacao ou de noir... Hammett et son Faucon maltais gravitent aux alentours de 30%. Stout ou Cheyney aussi. Irish et sa mariée en noir vers 50%. McBain un peu au-dessus. Goodis, Thompson ou Ellroy atteignent sans trop de mal les 80%. Voire davantage.

Faulkner avec Sanctuaire culmine à 99%.

Il m'a bluffé avec cette histoire de paumés. C'est indescriptible. Il nous fait prendre des vessies pour des lanternes et dépeint des personnages, des tronches... mais à la seule fin de raconter une histoire. le tout est découpé avec un étrange emporte-pièce, les digressions abondent, la chronologie s'étiole.

Le récit est lent, mesuré, structuré mais maîtrisé. Tout vient à point à qui sait attendre semble nous dire Faulkner. Il nous fait languir longuement pour enfin distiller l'information que nous souhaitons... et il nous surprend car s'il répond à nos interrogations ce n'est certainement pas en donnant l'information. Il faut aller la chercher, la deviner entre les lignes. Même au bout de plus de 350 pages, il arrive par un tour de passe-passe à faire basculer le récit. Nous arrivons pile à l'endroit choisi par Faulkner. C'est (je me répète) indescriptible de maîtrise. Une chape de plomb sur un univers bouché, voilà ce que nous offre Faulkner. Meurtres, lynchage d'un innocent, amoralité des personnages, viol, déshérance... la panoplie des paumés et du roman noir est complète. N'en jetez plus. Faulkzer offre un indicible cadeau que je vais mûrir longtemps en moi.

Et en prime, que dire de cette poésie noire, glauque... ?Longtemps je garderai à l'esprit l'image d'un steak glapissant au fond de la poêle... Glapir... Ce n'est qu'un exemple parmi des dizaines.

Avec Sanctuaire, mon premier Faulkner, je viens de combler un trou béant dans ma culture. Je viens aussi de découvrir un auteur.
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Bonjour, aujourd'hui voici une histoire un peu glauque (je vous aurais prévenus!)…

Temple, une jeune fille de bonne famille, passe la soirée avec Gowan ; ils quittent la fête du collège et vont faire un tour en voiture. Mais voilà, Gowan a déjà pris trois cuites, et il s'en prendrait bien une quatrième ! Alors direction une bicoque dans les bois, où des contrebandiers vendent de l'alcool ! Là, c'est la tuile, parce que Gowan plante la voiture dans un arbre. du coup, ils se retrouvent dans la cabane ; Gowan en train de descendre tout ce qu'il peut cul sec, Temple à courir de tous les côtés, complètement affolée ! Vous suivez ?

Dans la bicoque, il y a une femme avec son gamin, et une flopée de contrebandiers ; l'arrivée d'une jeune fille n'est pas une excellente idée et présente quelques dangers ! Après une nuit plus que chaotique, Temple va partir avec Popeye, l'un des contrebandiers !

C'est là que ça devient glauque ! En fait, Faulkner n'explique jamais totalement ce qui se passe. On se retrouve avec une jeune fille qui a disparu (Temple) et qui aurait été abusée, un cadavre (un des contrebandiers) et un procès (d'un innocent, ce n'est pas lui le tueur!).

Mais c'est au fil des pages et des récits de chacun que l'histoire va se mettre en place et que le jour va se faire sur ce qu'il s'est réellement passé. La fin est surprenante, car on s'aperçoit que la petite oie blanche n'est pas si innocente que ça !

Bref, un bon roman mais qu'il faut prendre le temps d'appréhender, car l'intrigue ne se dévoile que par petites touches. Il y a la misère, les moeurs, la masculinité, la bien-pensance ! Chaque personnage est une étude psychologique à lui seul !

À lire confortablement installé(e) dans une vieille bicoque près d'un fût en chêne, en descendant quelques verres de bon Whisky avec des biscuits apéro ! Bonne lecture !

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Une lecture dure pour moi... tant dans le fond que dans la forme. J'ai eu du mal avec tous les personnages au début. Je me suis perdue. Mais j'ai persisté. Et puis une histoire sordide : viol, meurtre, intimidation. Une Amérique noire, de terres reculées, bien profonde. Je suis passé au travers, mais pas indemne. Malaise du début à la fin de ce roman. Faulkner, c'est dense, c'est lourd, mais c'est un Grand. Je le conseille, dans un moment de votre vie où les choses vont bien. Mais surtout, ayez à portée de main un roman léger, pour la suite. Parce que vous aurez envie de voir le soleil briller après la dernière page, vous aurez besoin de lumière, pour reprendre le dessus.
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Il m'aura fallu une lecture commune, une vraie (celle que l'on choisi ensemble, sans se cacher, que l'on lit en même temps à son rythme, et pour laquelle on accepte d'échanger en temps direct ses impressions, ses doutes, ses incompréhensions pour mieux progresser et aborder une lecture délicate), pour qu'enfin j'ose aborder Faulkner .
Seule dans mon coin, j'aurais probablement abandonné ce livre sans l'intelligence d'autres lecteurs qui n'ont pas peur, eux d'être influencés……
Cela faisait longtemps que je voulais régler un « petit compte » comprenne qui voudra…..

Faulkner, c'est de la littérature de haute volée, une littérature qui vous prend à la gorge. Ce n'est pas une petite lecture facile, ou comme disent certains, « une lecture détente ».
Faulkner a bien un style, une patte. Il a une manière bien à lui d'emmener son lecteur et les racoins de l'âme humaine. Il a l'art de vous illuminer tout d'un coup sur une chose, et tout aussi vite de vous replonger dans le brouillard. Il suggère plus qu'il ne révèle. Il sait attendre avant de préciser les choses, laissant le lecteur de longs moments à ses doutes et questions.
Faulkner ne nomme pas franchement les choses, ni les personnages ; souvent il multiplie les appellations….glisse des évènements anodins…

La narration chez Faulkner est précis, et fourmille de détails .Les dialogues sont parfaitement adaptés aux personnages et aux situations.

Le roman pose d'emblée l'ambiance générale. « Quelque part, caché, mystérieux, et pourtant tout proche, un oiseau lança trois notes, puis se tut. » Les trois coups avant la pièce de théâtre.

On y boit beaucoup, l'alcoolisme fait partie du décor.

André Malraux, dans sa préface prévient : « Sanctuaire est donc un roman d'atmosphère policière sans policiers, de gangs aux gangsters crasseux, parfois lâches, sans puissance. »

Il ne faudra donc pas chercher dans ce roman de folles embardées, des rebondissements fracassants. le rythme n'est est pourtant pas lent ni ennuyeux, c'est seulement qu'il est construit à la manière d'un roman noir, avec comme toile de fond toute époque, tout un contexte social et sociétal.
Il faut simplement accepter de se laisser aller, de se laisser perdre, de ne pas comprendre ou savoir pendant un moment, pour mieux se retrouver ensuite. Une lecture fine et attentive s'impose. Chaque mot, chaque ligne a son importance. Moi qui ne relis pas mes livres, me suis surprise à en relire des pans entiers et à découvrir des choses qui m'avaient échappées.


Que vous dire de l'intrigue, si ce n'est qu'en dire si ce n'est un peu, c'est déjà trop en dire.
Les personnages sont mystérieux, glauques, patibulaires, franchement antipathiques pour certains : Tommy, Popeye (drôle de nom, tout de même…..) Godwin…
Seul Horace Benbow montre un visage « humain » ; c'est l'avocat, qui cherche à faire la lumière sur l'affaire, et qui croit encore à la justice. « Je ne puis rester les bras croisés quand je vois l'injustice… », Répond-il à sa soeur, petite bourgeoise.

Et puis Temple Drake, fille de juge, étudiante qui se laisse embarquer par Gowan complètement ivre, et qui va échouer dans la pire bicoque qui soit….et ce sera descente aux enfers. Temple/Sanctuaire……faut-il y voir un lien. ?
Elle reste un mystère pour moi, cette fille….pourquoi en arrive-t-elle là ? Pourquoi ne se sauve t-elle pas ? Qu4est-ce qui la retient dans ce bordel tenu par Miss Reba alors qu'elle fricote avec Red ? Pourquoi protège t-elle son bourreau ?
Elle a d'emblé des comportements, et des attitudes quelques peu équivoques qui laissent penser au lecteur que les choses n'en resteront pas là…. « Sans cesser de courir, elle eut l'air de s'arrêter. le pan de son manteau qui battait derrière elle n'eut pas le temps de la rattraper ; toutefois, pendant une fraction de seconde, elle regarda Popeye en face avec un sourire aguichant et crispé qui découvrit ses dents. »

Faulkner sème ici où la des idées, des détails qui semblent insignifiants, mais que l'on retrouve parfois longtemps après pour éclairer ou pour insister….Ce sont ces élément là qui me font affirmer que ce livre nécessite une lecture fine et attentive.

Ce livre est un coup de coeur, non pas pour le scénario en lui-même, mais pour l'immense qualité littéraire, le style, et ce qu'il me laisse à l'esprit .Je relirai Faulkner, c'est certain.



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Sanctuary
Traduction : Maurice-Edgar Coindreau

De « Sanctuaire », André Malraux a dit qu'il symbolisait « l'intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier. » de la tragédie antique, Faulkner a en effet retenu l'exceptionnelle rigueur de la construction et son « Sanctuaire » est vierge de ces monologues intérieurs, de ces tentatives de déstructuration du récit en vue d'une recréation joycienne du mode d'écriture – et du mode de lecture. « le Bruit et la Fureur » sont à mille lieues de là et, n'était la volonté délibérée du romancier de nous dissimuler pratiquement jusqu'à la fin la terrible infirmité dont souffre Popeye et qui a conditionné les trois-quarts de son destin, le déroulement du récit serait absolument classique.
Nous sommes dans les années vingt, dans ce « vieux Sud » où Faulkner a situé l'essentiel de son oeuvre. La Prohibition bat son plein et les gangs prospèrent. Quant aux ivrognes, même s'ils sont tenus de boire en cachette, ils sont légion. Parmi eux, Gowan Stevens, qui aime à se définir comme un « gentleman de Virginie » et qui, en tant que tel et en dépit de son jeune âge et de l'excellente famille qui est la sienne, trouve élégant et même indispensable de se saouler à mort plus souvent qu'à son tour.
Gowan doit à sa belle prestance et à son sens certain du baratin la grâce de sortir avec la jeune et jolie fille du juge Drake, Temple, plus préoccupée de virées nocturnes dans les night-clubs que de ses études universitaires. A l'issue de l'une de ces sorties, Gowan promet de la raccompagner le lendemain au train qui doit la ramener à son université. Mais, déjà fortement imbibé et taraudé par le besoin de boire à tout prix, le jeune homme, au lieu de la conduire directement à la gare, entraîne Temple dans la ferme isolée qui abrite les alambics de Lee Goodwin. Celui-ci revend évidemment une partie de son alcool clandestin à un gang de Memphis et il se trouve que, une livraison étant justement à l'ordre du jour, deux hommes de main du gang doivent passer la soirée chez Goodwin.
Si Temple réussit tant bien que mal à survivre à une nuit de beuverie qui rend Gowan tout-à-fait incapable de la défendre des entreprises de Van, l'un des deux gangsters ; si la compagne de Goodwin, Ruby Lamar, d'abord hostile à l'égard de la jeune fille, fait ensuite tout pour la protéger des violences d'hommes que la boisson livre à leurs pires instincts ; en définitive, elle n'échappera pas à Popeye, malfrat solitaire, asocial, adepte des pistolets automatiques et qui, dès le premier chapitre du roman, est assimilé par son créateur à « cette chose noire qui sortit de la bouche de Mme Bovary et se répandit sur son voile de mariée quand on lui souleva la tête. »
Mais avant de violer Temple, Popeye a eu le temps d'abattre Tommy, le garçon de ferme un peu simplet de Goodwin, qui cherchait à protéger la jeune fille. Lorsque, après le départ de Popeye qui a embarqué Temple dans sa Packard, Goodwin se retrouve avec le cadavre du malheureux, il comprend qu'il n'a d'autre choix que de prévenir la police. Comme il a malheureusement un casier judiciaire déjà assez chargé, il échoue dans la prison du comté, sous inculpation d'homicide volontaire.
Un jour qu'il s'était égaré et avait débarqué dans sa ferme, Goodwin avait sympathisé avec Horace Benbow, un avocat à l'âme de poète qui, dans le roman, fait manifestement référence au sens de l'honneur et au code quasi chevaleresque qui étaient de mise dans certaines classes de la société sudiste, avant la Guerre Civile. Persuadé de l'innocence de Goodwin, Benbow décide de le défendre. Mais, comme son client ne tient pas à « moucharder » Popeye, il en est réduit à entreprendre son enquête personnelle qui le fera remonter jusqu'au gangster et jusqu'à Temple.
Dès qu'il apprend la présence de Temple à la ferme au moment du meurtre, Benbow comprend qu'il lui faut à tout prix retrouver celle qui, d'après ce que lui en a dit Ruby, est bel et bien le seul témoin oculaire de l'assassinat de Tommy. D'indice en coup de chance, l'avocat parvient à la localiser dans le bordel de Memphis où Popeye loue à demeure une chambre la pittoresque et maternelle Miss Reba, veuve inconsolable d'un certain Bedford et qui, depuis le décès de celui-ci, vit seule entre ses deux chiens – rebaptisés avec un humour discutable « Reba » et « Mr Bedford » - ses « filles » et sa fidèle domestique, Minnie.
C'est là que Popeye a amené un soir la pauvre Temple. C'est là que Miss Reba a fait venir son médecin attitré pour panser l'important saignement de la jeune femme. C'est là que Popeye est venu et revenu bien souvent pour couvrir Temple de bijoux et de toilettes de luxe. C'est là aussi qu'il n'a pas arrêté de se disputer avec elle et de la frapper. C'est là encore que, pendant quatre jours, il a amené Red, un jeune et beau garçon qui a passé une nuit, puis une autre, suscitant la désapprobation, puis les soupçons de Minnie et de Miss Reba. Miss Reba en effet est anglo-saxonne et, en tant que telle, n'entend pas tenir « une maison à spécialités » - dans le texte original, un « bordel français. » Or, quand deux hommes se retrouvent avec une femme et que l'un d'entre eux se contente de regarder, il y a « spécialité » - et donc « bordel à la française » …
Ainsi se délite lentement le personnage de Popeye. Ainsi le lecteur est-il amené peu à peu à comprendre, jusqu'à l'épi de maïs final et ensanglanté que l'Attorney général brandira en plein tribunal, au dernier jour du procès Goodwin.
Aussi implacable que dans les grands drames shakespeariens, l'horreur est absolue puisque Goodwin est condamné pour un crime qu'il n'a pas commis et que la foule, révoltée par les conditions dans lesquelles s'est déroulé le viol de Temple, met le feu à la prison pour s'emparer de lui et le lyncher d'une façon particulièrement atroce.
Pendant ce temps, Temple, qui a sombré dans une semi-démence, s'éloigne au bras de son père, vers la vie brumeuse et décalée qui sera désormais la sienne. Faulkner ne nous dit pas si son témoignage, imputant de façon formelle le meurtre de Tommy au malheureux Goodwin et non à Popeye, est le résultat de son état psychique ou le signe d'un attachement sado-masochiste à son tortionnaire.
Horace, quant à lui, complètement laminé par l'échec, rentre au bercail, auprès de l'épouse qu'il avait quittée. Et Popeye … Popeye paiera malgré tout ses dettes à la société : on le pendra en Alabama pour le meurtre d'un policier. Mais auparavant, Faulkner nous aura rapporté ce qui fut son destin : naissance malvenue, enfance déséquilibrée, les premières cruautés contre les animaux, puis son entrée dans la pègre où la Prohibition le rendit extrêmement riche alors que, par une étrange ironie du sort, sa santé lui avait toujours interdit d'absorber une seule goutte d'alcool.
Ainsi, en parfait accord avec la tradition de la Grèce ancienne qui voulait que les dieux eux-mêmes n'échappassent pas au Destin, la Fatalité aura mené l'intrigue de « Sanctuaire » à son dénouement sans espoir. Et c'est à la soeur d'Horace Benbow, Narcissa la bien nommée, toujours habillée de blanc, que revient ce rôle impitoyable et décisif.
Je vous laisse découvrir pourquoi ...
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Après cette deuxième incursion dans une oeuvre de Faulkner, qui suit le Bruit et la Fureur, je peux dire que je ne me ferai jamais au morcellement de la narration dont le romancier fait preuve. Très saccadé en effet, que ce roman à la succession de multiples scènes plus ou moins liées, à l'aspect très théâtral des dialogues et des descriptions de lieux, fonctionnant comme tableaux des évènements qui vont suivre, pour raconter le Sud en pleine Prohibition, entre le Mississipi et Memphis, entre les miséreux qui survivent du trafic d'alcool, de larcins en tous genres, de prostitution, et les familles fortunées, comme coupées de ce monde d'en bas, jusqu'au jour où… les deux vont brutalement se fracasser dans ce morcellement de points de vue, de lieux, pour fusionner dans une violence, plus souvent sous-entendue que décrite pleinement, et peut-être de fait plus éprouvante.

Car oui, ce roman est éprouvant, perturbant, tant sur le fond que sur la forme : je reconnais les qualités de l'un, pointant parfaitement du doigt la quintessence du mal dans toute sa banalité, la force de l'emprise, de la domination, des uns sur les autres ; j'ai un peu plus de mal à reconnaître celles de l'autre, ayant eu parfois une sensation d'inachevé, de caractère un peu brouillon quant à certains passages – il m'a en effet fallu les relire plusieurs fois pour y trouver de la cohérence, ou pas.

Après cette deuxième incursion, certes malgré tout un peu plus concluante, je ne pense pas réitérer l'expérience Faulkner : de nombreux autres romanciers et romancières américain(e)s, et pas que, que j'apprécie davantage, m'attendent en effet.
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Il y a bien longtemps que je voulais lire Faulkner. Un des grands auteurs américains du XXe siècle. Plus précisément, le grand écrivain du Sud. J'avais bien essayé "Les palmiers sauvages" sans succès, abandonné au bout de quelques pages. Et puis, récemment, à la lecture des critiques de "Sanctuaire", je me suis dit que je pourrais réessayer. Alors je me suis efforcé d'aller jusqu'au bout. Ce fut laborieux, mais j'y suis arrivé. Pour un résultat assez mitigé, niveau plaisir. Comme je l'ai lu dans une critique, on a bien du mal à s'y retrouver dans ce foisonnement de personnages. Mais, si on se laisse aller à l'ambiance, on finit par pouvoir reconstituer cahincaha le puzzle de l'intrigue dans son entier. Ce qui m'a quand même étonné, c'est cet immense talent qui permet au lecteur de saisir l'ambiance, l'environnement, mais aussi l'action ou la non-action des personnages. On ressent cette lourdeur, cette pesanteur de ce pays, de ces gens englués dans leur survie. le personnage qui m'a le plus intéressé est Temple Drake, cette jeune victime entre les mains de tous ces hommes, qui sont finalement également des victimes. On peut aussi bien admirer le courage de Horace de s'élever contre l'injustice. Je ne sais pas si ce livre est véritablement l'intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier comme le dit Malraux dans sa préface, mais c'est plus une tragédie qu'une intrigue policière. le meurtre est finalement assez secondaire.
Je ne regrette pas de l'avoir lu mais je suis bien content que cette lecture soit terminée. Faulker est un auteur très exigeant, dont la lecture demande beaucoup d'attention.
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