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Critique de Pujol


17 ans de cache-cache avec ce livre, malgré sa dédicace émouvante. Un scrupule dans ma bibliothèque. Gravier roulant entre mes doigts et sur lequel ma main butait à chaque fois qu'elle venait prélever l'un de ses frères à dévorer. Et la première de couverture, ce Titien qui me jugeait murmurant : "Qu'attends-tu ? 17 ans ! Une vie d'adolescent à espérer ta main et ton regard ! Lis-moi !!".

Le confinement et son face-à-face, l'appartement vide, le mobilier chafouin et les bouquins qui piaillent et s'impatientent.

460 pages plus tard, je ressors ébloui et sonné. Etourdi. Comme lorsque l'on a passé une journée dans un musée et que l'on en débuche, curieusement épuisé. Assommé par l'assaut des images, exténué. On pourrait dire sarturé.

Mais c'est la fatigue délicieuse de celui qui n'a pas ménagé sa peine. Car Elie Faure est une montagne. Superbe. Honnête dans sa configuration. le sentier est rude dès l'entame. In media res. Au but, au coeur, sans foritures. On ne peut pas lire en dilettante, pour s'oxygéner, pour effacer sa journée. L'essai par antonomase. Tenter, attaquer, se replier, reprendre son souffle, avancer. Car il faut s'accrocher au sol, s'arrimer, se ramasser pour ne pas être emporté par la coulée, englouti par la force des éléments que libère cet homme.

La prose, le style, font penser à un Malraux plus terrien. Capable de longues périodes lyriques, de pics édentés mais qui n'en oublierait pas l'horizon. Malraux sans la composante gazeuse.

Rentrer dedans, se confronter à cet auteur et à ses phrases serrées, denses, comme des phalanges d'hoplites. Se coltiner et aimer ça. Car Elie Faure redonne cette envie-là ; celle de parler des artistes sans fards excessifs, ici, partout. Au bistrot et devant la machine à café.

Quoi !! On s'engatse pour les qualités de jeu de MBappé et on ne pourrait pas en faire autant pour un Tintoret, un Signorelli ou un Masaccio ? S'écharper, s'enthousiasmer, aimer ou détester sans concession. Car oui, l'amour des belles choses s'aiguise, s'émousse ou grandit dans la dispute. Aimer c'est choisir. Et c'est peu de dire d'Elie Faure qu'il est un amateur. Regard fou et intense qui voit bien et qui voit tout.

Il participa au grand mouvement des universités populaires, à leur naissance en donnant de 1905 à 1908 une série de de conférences sur l'histoire de l'art devant un public ouvrier dans les locaux de "la fraternelle". Il indique que ce sont ces cours qui le poussèrent à mettre en ordre ses pensées, à les ordonner et que c'est à ce public qu'il doit la réalisation des ses 5 tomes de l'histoire de l'art. La fin de ses interventions donnaient lieu à des débats passionnés, on s'agglutinait autour de son bureau, on bataillait jusque dans la rue, ramenant les uns et les autres jusqu'à chez eux, prolongeant ainsi les discussions sans fins.

C'est cette oralité, ce jus que l'on ressent et que j'ai tant apprécié. Un certain lyrisme, une poésie qui charme. Pourquoi l'histoire de l'art, qui parle de sensations, de chocs esthétiques, ne pourrait-elle pas s'incarner un peu plus ? Pourquoi cette raideur scientifique et que cela ? Faut-il être aride pour être pris au sérieux ? Je pense à vous, M Nicolas Mattéi. Mon professeur. Vous qui saviez si bien faire rentrer la vie dans vos cours et par là, l'émotion. Pourquoi la langue ne peut-elle pas devenir l'auxiliaire de la beauté plastique et la faire émerger de nos sens ?

On ne s'étonnera donc pas de le savoir neveu d'Elie (encore un) et d'Elisée Réclus, géographes militants de qui il fût très proche. Il traite en effet l'artiste comme un paysage fait d'éléments particuliers mais indisociables. Une âme, un caractère, celui de l'homme qui se confronte à son pays et à ses accidents ainsi qu'à une histoire sociale plus ou moins violente et antagoniste. Un milieu, un entourage tour à tour propice et fécond ou délétère.

Pas de dates et très peu d'anedcotes qui nuiraient à cet esprit d'ensemble. Un récit à hauteur d'homme mais sans bassesse. Bien au contraire. L'histoire de l'art renaissant d'Elie Faure, tient de l'orographie.

Je reprends ici à mon compte le joli terme de Véronique Gérard Powell qui fait de l'auteur "un géographe de l'art."

Le tempérament de l'artiste et donc de l'homme semble plus l'intéresser que l'oeuvre. Pas de description de tableau ou de sculpture ici, soyez prévenus.

Bien que l'utilisation de l'illustration ait été une révolution à l'époque (1914 à 1923) que certains s'en fussent enthousiasmés ou lui eussent reproché, l'image n'est pas l'objet autour duquel tourne le texte. « Je ne commente pas le tableau par le texte, je justifie le texte par le tableau ou par un fragment du tableau. » Je dois d'ailleurs dire que je n'en garde que peu de souvenirs.

Le travail et l'énorme érudition ont été subtilement effacés pour qu'il ne reste que le torrent, le courant d'art. Beau. Vivifiant. Qui met le rouge aux joues et qui donne envie de rentrer en trombe dans les musées éteints. Pour sentir la pulsation artistique, ce poing qui s'ouvre et se ferme. Diastole et systole, qu'Elie Faure, médecin critique d'art, a si bien disséqué pour nous.

L'évocation de l'italie renaissante qui vient ouvrir cet essai, durant cette période pandémique, m'a été aigre-douce. L'Italie, toujours première en Europe. Pour le meilleur et le pire. Précurseure. En avant. A l'avant-garde. Mais c'est risqué de vivre trop fort et trop intensément. Les flèches de saint Sébastien blessent toujours au 21ème siècle.

Pour finir, un dossier très précieux rassemblé par Martine Chatelain-Courtois, responsable des Cahiers Elie Faure et réuni en annexe à ce folio essais. On y retrouve un florilège d'autres textes écrits par Elie Faure concernant l'art renaissant. Ses positions ont évolué, se sont précisées, sa main s'est affirmée. Toujours cette chaleur, cette ivresse. Elie Faure, prophète minéral où quelquefois erre faulie. Délicieuse comme un bleu à l'âme.

Désolé Lolo d'avoir tant attendu pour mériter si peu ton trop bel hommage. Mais je vous sais patiente, Madame la Conservatrice.





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