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EAN : 9782213009087
406 pages
Fayard (22/10/1980)
3.62/5   4 notes
Résumé :
406pages. 21x13,6x2,8cm. Broché.
Que lire après Ulysse le CrétoisVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ceci n'est pas une biographie d'Ulysse, fut-elle légendaire.

Paul Faure est un universitaire, mais un professeur version Indiana Jones ou plutôt Théodore Monod. Il n'a eu de cesse de prendre le pouls de la Crête, de ses entrailles dans la pénombre des grottes sacrées, à la lumière des sommets lieux de culte minoens. Si ses publications se singularisent, en référence aux autres spécialistes de l'Age de Bronze dans l'univers égéen (ils ne sont pas légion : Alexandre Farnoux, Nikolaos Platon, Moses Finley, Claude Mossé, Jean Pierre Vernant, Alexiou Stylanios, Jean-Claude Poursat. René Treuil), les riches travaux de ces spécialistes ne contredisent pas frontalement la ligne éditoriale de Paul Faure, qui est d'édifier la Crête au coeur du monde homérique.

Odysseus est le nom grec d'Ulysse, un nom issu du grec archaïque.

Ulysse est crétois par son milieu, sa famille.

Dans l'Odyssée, trois femmes partagent la vie d'Ulysse, Pénélope, circé et Calypso, « en réalité » une seule et même femme, la femme oiseau.

Pénélope est la Sarcelle, mère de Pan, le dieu des bergers de Crète. circé est l'Epervière (oiseau de proie en grec ancien). circé vit sur l'ile Aiaié (cf. L'Odyssée livre X p. 683 ed La Pleiade). Ce nom dérive du mot crétois aïa, « bonne mère » autrement dit, la déesse mère, omni présente sous différents avatars dans la spiritualité minoenne. Calypso vivait parmi les oiseaux sur l'ile de Gavdos la plus méridionale des iles d'Europe, en mer de Libye, au large du petit port de Chora Sfatkon, halte bienvenue après la traversée des célèbres gorges de Samaria.

A ces trois figures, il pourrait être ajouté la nymphe Ino, qui sauve Ulysse d'une nouvelle fureur de Poséidon, au chant V de l'Odyssée, voire Nausicaa, la fille d'Alkinoos qui règne sur les Phéaciens.
Cet environnement avec ces femmes en communion avec la nature, dotées de pouvoirs magiques symbolise ardemment la Crète minoenne.

Nous sommes à des années-lumière de la brutalité du panthéon divin mycénien puis de la Grèce classique. Les trois déesses majeures Artémis, Athéna, Aphrodite, si par certains aspects prolongent ce marqueur crétois, s'en éloignent résolument. Elles sont despotiques, belliqueuses, cruelles, bref « humain(e)s, trop humain(e)s » pour paraphraser Nietzsche.
Du reste, au moins sur ce point, le contraste entre l'Iliade et l'Odyssée est saisissant, entre la femme humaine et la femme chamane.
Cette approche n'est pas uniquement exposée par Paul Faure, elle est également développée dans la très académique « Histoire des religions » (vol I) des éditions Gallimard. Dans le domaine romanesque, très récemment, Madeline Miller dans son livre « circé » rejoint clairement cette perception.

Par ailleurs, les éléments archéologiques minoens révèlent des indices de l'existence d'une spiritualité dans laquelle circé et Calypso sont parfaitement intégrées. Les oeuvres dédiées à la civilisation minoenne, abondent dans ce sens ; ainsi chacun dans leurs publication, Friedrich Matz (« La Crète et la Grèce primitive »), Alexiou Stylianos (« La civilisation minoenne ») font état de la découverte des bagues et des sceaux ouvragés révélant une maîtrise exceptionnelle de la gravure sur or en dépit des dimensions contraintes ; il peut être admiré de véritables allégories naturalistes. On peut y voir des déesses accompagnées de félins, maîtresse des fauves, au sommet de montagne, dame de la montagne, des scènes de danses (transes ?) dionysiaques, l'adoration d'arbre sacré.

Lorsque l'on aura ajouté que circé est la soeur de Parsiphaé, épouse du roi Minos, fils de Zeus et d'Europa, souverain légendaire de Crète, il ne peut qu'être constaté combien Ulysse évolue dans un réseau intimement lié à la Crète. A cet égard, il peut être aussi mentionné que Pénélope est la fille d'Icare. Certes il ne s'agit pas d'Icare le fils de Dédale, mais cette homonymie est tout sauf une coïncidence.

Ulysse déclare lui-même qu'il est crétois, par quatre fois dans l‘Odyssée.

Dans le récit, ces déclarations sont présentées comme des tromperies, pour duper ses interlocuteurs. Précisément, cette constance dans le mensonge affirmé de sa qualité de Crétois interpelle. On se souvient du paradoxe d'Epiménide le sage et légendaire Crétois, « Tous les Crétois sont des menteurs ».  
Tu dis que tu mens. Si c'est vrai, alors tu mens aussi en disant que tu mens, et il est donc faux que tu mentes. Mais si c'est faux, alors tu ne mens pas non plus en disant que tu mens, et il est donc vrai que tu mens. 
Les quatre mensonges sont par conséquent une illustration de ce paradoxe et ne font que participer à cette identité crétoise.

Les oeuvres homériques ne sont ni un guide du routard mycénien, ni un récit historique d'événements saisis sur le vif. le seul récit est celui d'un voyage spirituel et poétique d'aèdes qui, aux alentours du VIIIème siècle avant notre ère, ont puisé et retranscrit dans un fonds mythologique où l'histoire et la légende sont intimement liées, magnifiées. Les pulsations de ce terreau millénaire ont bien leur source dans la civilisation minoenne.

Particulièrement illustratif, « le casque d'Ulysse » du chant V de l'Iliade, que l'on peut voir au musée d'Héraklion, était passé de mode depuis longtemps lorsque les poèmes homériques furent retranscrits. Pierre Vidal Naquet dans son ouvrage « Le monde d'Homère » agrémente son texte de belles photos de trésors archéologiques, dont un casque et une cuirasse de la période homérique, qui n'ont aucun point commun, avec ce « casque d'Ulysse », tant sur le plan esthétique que des matières premières utilisées.
De même, le fameux arc d'Ulysse est lui aussi crétois et comment ne pas relever la symbolique des doubles haches que les prétendants doivent percer d'une flèche lors de l'épreuve mise en scène par Pénélope au chant de l'Odyssée ?

Que pèse l'argumentaire académique construit autour notamment de Victor Bérard qui a cartographié les aventures d'Ulysse sur la base de ressemblances physiques (grotte, sources…) entre des lieux repérés, désignés par ses soins et les textes homériques (la grotte de Calypso à Gibraltar  !!) ?
Qui pourrait sérieusement soutenir que la « Bréche de Roland » au-dessus du Cirque de Gavarnie, dans les Pyrénées, correspond à la Chanson de Rolland et qu'en cherchant bien on doit y découvrir des éclats de l'épée de Roland, Durandal ?

Fondamentalement, Paul Faure assimile les tribulations d'Ulysse aux épreuves que devaient affronter les jeunes Crétois, lors de rites d'initiation.
Il est ainsi relevé dans l'Odyssée, les interdits pesant sur l'attrait du fruit défendu, du sexe, des eaux. Les épreuves de la faim, de la soif, de la peur, du froid du soleil jalonnent le parcours d'Ulysse. La réclusion dans la grotte de Polyphème, le cyclope anthropophage, renvoie au passage initiatique dans la grotte, lieu si important dans le patrimoine cultuelle et géographique de la Crète.
Curieusement, Paul Faure ne la mentionne pas, mais il existe « officiellement » un lieu sur les hauteurs de la baie de Sougia, « la grotte de Polyphème ». Naturellement, il n'existe aucune preuve scientifique que ce lieu fut celui qui ait inspiré le ou les aèdes rédacteurs de l'Odyssée, mais comment ignorer ce fonds mythologique qui était LA référence pour les aèdes du VIIIème siècle ?

Des preuves de la domiciliation d'Ulysse à Ithaque, à ce jour, en dépit des campagnes de fouille, il est difficile d'en citer. Il n'a pas été exhumé de vestiges dignes de ce nom. Il existe une différence entre trouver des menus objets attestant d'une activité à la période mycénienne et les traces d'un palais de roi. Est-il nécessaire de rappeler que la signature du palais mycénien est une architecture « cyclopéenne » ?

Il n'existera jamais aucune preuve matérielle, au sens d'un Karl Popper, que la lecture de Paul Faure soit scientifiquement établie, il n'en demeure pas moins que cette lecture est en harmonie avec l'esprit des textes homériques.

Il est grand temps de jeter la présentation académique baroque qui baigne dans le formol et de laisser entrer l'azur et la lumière. On parle tout de même du premier livre de la culture occidentale.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Ces Nymphes, antiques ou modernes, ne sont pas de vulgaires séductrices, des dévoratrices d'hommes et d'enfants, plus ou moins semblables à la Rousalky slave, à la Lorelei germanique, aux Goules et aux succubes du Moyen-Age chrétien, aux démons de midi de la Bible, aux fantasmes sexuels de la psychanalyse. Non, car elles essaient, dans L'Odyssée, comme dans plusieurs récits du folklore crétois, de retenir les jeunes hommes ou les enfants par la promesse du savoir et de l'immortalité. Ce sont donc, en principe, comme les Cyclopes, des pédagogues, des courotrophes, des formatrices, des inspiratrices d'épreuves. Et malheur seulement à celui qui n'est pas capable de les surmonter ! Il devient sous terre une bête, une larve, une ombre, ou il reste un enfant, un pauvre être en proie à l'égarement, à la passion et à la mort.
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