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Critique de Presence


Une tueuse, pas une sauveuse
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, qui n'appelle pas de suite, qui pourrait à la rigueur être considérée comme une première saison. Il regroupe les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits par Christa Faust, dessinés et encrés par Mike Deodato junior, et mis en couleurs par Lee Loughridge. Les couvertures ont été réalisées par Deodato. Ce tome comprend également une postface de deux pages de la scénariste, une d'une demi-page du dessinateur, les couvertures variantes de Frank Cho, Damian Scott, Johnny Desjardins, et 13 pages de script, case par case avec le dessin correspondant en vis-à-vis.

Quelques années dans le futur après le grand effondrement, dans la petite ville de Redemption au beau milieu d'une zone désertique, la docteure Inez Obregón est en train d'être châtiée sur la place publique devant la populace, une cinquantaine de personnes. le shérif Gage dispense des coups de fouet : elle a été reconnue coupable d'avoir pratiqué un avortement sur une jeune adolescente ayant été victime d'un viol. le pasteur Nathan Stonewater est présent et il exhorte l'adolescente à dire qu'elle n'était pas consentante pour l'avortement, ce qu'elle finit par dire sous la force de l'intimidation. le pasteur continue son discours rappelant que lui et le shérif font tout pour assurer la sécurité des habitants, et que le projet de construction de mur autour de la ville va être mis en oeuvre. Il termine en rendant son jugement : Inez Obregón a commis des crimes contre Dieu et le bon peuple de cette ville, elle est donc condamnée à mort.

La nuit dans sa cellule, Inez Obregón reçoit la visite de sa fille Rose qui lui apporte de l'eau, paiement qu'elle a obtenu en réparant le récupérateur de protéines de Lyle. Rose en profite pour lui demander qui est le Boucher que sa mère a mentionné. Elle lui raconte brièvement l'histoire de Cat Tanner, une jeune fille qui a dû grandir très vite après le grand effondrement, au milieu des troubles civils, qui a su endurcir son corps pour survivre et qui a commencé sa carrière en tant que pickpocket, avant de devenir une tueuse à gages. En tant que chasseuse de primes, elle réalisait les arrestations pour lesquelles tous les autres avaient renoncé. Elle a fini par tuer le précédent shérif de Redemption, et s'associer avec Lexi, un autre bandit, et constituer un gang. Cette association s'est mal terminée aux dépens de Cat Tanner qui y a perdu la main droite, remplacée ensuite par une prothèse cybernétique. Puis vint le massacre de vingt-cinq mineurs dans un bar, ce qui lui valut le surnom de Boucher. Inez finit par comprendre où sa fille veut en venir et elle essaye de l'en dissuader. Même si elle retrouve Cat Tanner, celle-ci refusera de l'aider, et c'est une mauvaise idée que de vouloir l'impliquer. Rose Obregón s'en va, mais elle a pris sa décision. Elle dispose d'une moto gonflée, de plusieurs litres d'eau comme paiement.

AWA Studios (Artists, Writers and Artisans) est une maison d'édition créée en 2018 par Bill Jemas, Axel Alonso et Jonathan Perkins Parker, publiant d'un côté des séries s'intégrant dans un univers partagé, et de l'autre des histoires indépendantes complètes en un tome, ou constituant une première saison. Dans un premier temps, le lecteur se dit que les auteurs ont réalisé un récit composé d'éléments divers s'intégrant bien pour faire un tout, mais dont aucun n'est développé. Par exemple, dans la postface, la scénariste indique qu'elle envisage ce futur comme les conséquences d'un effondrement, et celui-ci a été causé par l'accumulation de petites catastrophes, et pas par un unique cataclysme comme une guerre nucléaire ou une montée des eaux trop importantes. Pour autant, cette notion n'apparaît nulle part dans le récit qui montre juste des individus évoluant dans un monde ravagé, et encore dans une zone très restreinte : la ville de Redemption et ses alentours à quelques kilomètres. de son côté, l'artiste montre effectivement une petite bourgade, de type western, sans revêtement dans les rues qui sont en terre. Il représente également un mélange de constructions de fortune, de ruines du début du vingt-et-unième siècle, de technologie futuriste, dans des conditions qui évoquent le bricolage avec des matériaux de récupération. Car les auteurs ont également ajouté une facette science-fiction et une facette western. le lecteur peut donc voir une prothèse de main cybernétique et des motos futuristes, sans autre explication quant à leur développement ou leur pérennité dans ce monde dévasté. Il peut également voir la forte influence Western que ce soit dans l'accoutrement du shérif, ou celui du Boucher, ou encore les holsters à la ceinture, et bien sûr la pendaison dans la grand-rue.

L'intrigue s'avère très simple à suivre : la fille de la docteure qui va être pendue, part à la recherche d'une légende, une chasseuse de primes s'étant retirée des affaires, afin de délivrer sa mère et de renverser le despote en place. Il y a quelques retours en arrière pour présenter Cat Tanner et l'origine de la haine que lui voue le shérif Gage. Rapidement, le lecteur sourit en comprenant que les héroïnes luttent contre des méchants masculins, même si deux femmes n'ont pas un beau rôle. Deodato donne à chacune un air imposant et inquiétant : il n'est pas question de les transformer en poupée ou en objet du désir. le Boucher fait penser à Linda Hamilton dans Terminator 2, en plus Western. Il constate également que Christa Faust intègre ses thèmes favoris comme l'homosexualité (la relation entre Inez et Cat), la maltraitance des femmes (le viol de la jeune adolescente), la confiscation des droits des femmes pas les hommes (l'interdiction d'avortement), le racisme ordinaire envers les hispaniques, tout ça avec une bonne dose de violence, d'affrontements physiques ou à l'arme à feu et les conventions de genre Western, SF. de son côté, Deodato n'est pas en reste. Il explique que les deux genres qu'il affectionne particulièrement sont le post apocalyptique et le Western, et que cette histoire lui a permis de mêler les deux pour son plus grand plaisir. Il aoute que pour son récit, il a préféré revenir à une narration visuelle assagie, c'est-à-dire sans case inclinée, sans mise en page échevelée.

Dès la première séquence, le lecteur s'immerge dans un endroit avec une ambiance très particulière, grâce à la mise en couleurs de Lee Roughridge. Il joue sur la déclinaison des nuances d'une couleur dominante : le jaune pour la chaleur régnant sur Redemption, un bleu foncé pour la séquence de nuit dans la cellule de prison où Inez Obregón attend le jour de son exécution, une teinte sépia pour les souvenirs, une nuance rougeoyante pour le coucher de soleil, des déclinaisons de vert bouteille pour la scène en souterrain. le lecteur éprouve vite une forte sensation d'immersion dans le récit, grâce à une narration visuelle riche. Il apprécie de pouvoir regarder des personnages rendus de façon photoréaliste avec un haut niveau de détails, et une direction d'acteurs naturaliste lors des conversations, plus énergétiques lors des moments d'action. Il peut détailler chaque tenue vestimentaire. Il est tout aussi impressionné par le soin apporté dans la représentation des éléments technologiques qu'il s'agisse des motos à trois roues, ou de la prothèse de main de Cat, des armes à feu. Il en va de même pour chaque environnement, entre rendu photographique et éléments détruits dessinés et parfaitement intégrés. Comme à son habitude, l'artiste use de trames mécanographiées réalisées à l'infographie pour apporter plus de texture à certains éléments.

D'un côté, le lecteur se dit que les auteurs ne se sont pas trop foulés pour imaginer cette histoire. de l'autre côté, la lecture génère une expérience immersive de grande qualité. Ce phénomène est provoqué par la cohérence interne sous-jacente du récit, et se perçoit dans les détails. Rose Obregón n'a que quelques jours pour devenir une combattante. Elle effectue de grands progrès grâce à ses compétences de technicienne des interfaces neuronales homme-machine, ce qui lui permet de maîtriser la précision de ses tirs au pistolet bien plus rapidement que la normale. En outre, il y a là le constat que cette jeune femme qui représente une nouvelle génération sait faire des choses que la génération précédente (celle de Cat Tanner) n'a pas maîtrisées. Intégrées de manière organique, le lecteur relève également une ou deux thématiques plus ambitieuses que le simple règlement de compte dans la grand-rue. Cat Tanner refuse obstinément d'aller secourir Inez Obregón, même contre rémunération. Elle insiste sur le fait qu'elle est une tueuse pas une sauveuse, et cette différence ressort de manière manifeste dans son histoire personnelle. Pa ailleurs, Inez Obregón se retrouve dans cette situation de condamnation à mort parce qu'elle a fait un choix d'adulte. Elle a préféré rester à Redemption pour continue à soigner les femmes en ayant bien conscience du risque encouru pour sa propre vie, plutôt que de partir avec sa compagne.

De prime abord, ce récit ressemble à un assemblage artificiel et superficiel d'éléments disparates, prêts à l'emploi. Très vite, le lecteur perçoit le degré d'implication de l'artiste et du coloriste qui va bien au-delà d'un simple travail alimentaire de commande. Progressivement, il se rend compte que la scénariste sait développer d'autres thèmes que ceux évidents et à peine exposés.
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