Mais qu'est-ce donc que cette "viande à brûler" ?
N'allez pas imaginer avoir affaire à un roman d'horreur, si je vous précise qu'il s'agit de viande humaine... non, le roman de
César Fauxbras est bien ancré dans la réalité, celle du début des années trente, au cours desquelles l'Europe subit les premières répercussions de la crise économique née aux Etats-Unis. Cela se traduit par les premiers phénomènes de chômage de masse, et la multiplication de "bras inutiles", dont il faudrait se débarrasser comme d'un excédent de marchandises, si l'on en croit l'un des protagonistes que l'on a l'occasion de croiser dans ce récit...
Paul Thévenin est l'un de ces inactifs, ayant perdu, à l'instar de plus de 330 000 citoyens français, son emploi. Plaqué par sa femme, et défait de ses dernières économies par un escroc, ce consciencieux comptable, qui bénéficiait jusqu'alors d'un revenu confortable, atteint peu à peu les derniers échelons de la condition sociale. Il relate cette chute, et le cynique engrenage de la pauvreté, dans le journal qui nous est donné à lire.
C'est ainsi dans son quotidien que nous sommes immergés, un quotidien semblable à celui de tant d'autres, devenus ses frères de misère, fait d'humiliations et de précarité : l'entassement dans des chambres minuscules d'hôtel miteux dont les propriétaires s'arrogent tous les droits envers ces déclassés, les queues interminables aux guichets du Service du Chômage, l'amaigrissement, la malnutrition et les maladies conséquentes, mais aussi l'amitié, la solidarité qui unissent ces exclus. On se refile des tuyaux pour manger pas cher, les plus débrouillards font parfois profiter leurs voisins de leurs maigres butins, les plus optimistes partagent leurs rêves insensés, de gagner aux courses ou à la loterie, pour partir, le plus loin possible, vivre au soleil et dans l'oisiveté...
Les épisodes animant le petit monde dont le narrateur fait dorénavant partie, traduisent plus que les difficultés matérielles. La condition de chômeur induit une violence psychologique souvent dévastatrice. Les humiliations, la culpabilité provoquée par le regard que pose la société sur ces individus que l'on considère comme des fainéants vivant aux frais de la communauté, le reniement de leur dignité, en font des parias. Eux-mêmes portent sur leur situation et sur leur propre attitude un regard dur et amer, conscients de leur adhésion à ce système souvent absurde : le peu d'allocation qu'ils perçoivent, en leur permettant tout juste de survivre, étouffe en eux toute velléité de révolte... et lorsque ils finissent par atteindre les derniers stades de la misère, marqués par des renoncements de plus en plus douloureux qui les privent de toute force, de tout espoir, ils préfèrent disparaître, définitivement vaincus...
Le récit est empreint de l'ironie féroce et désespérée que génère l'injustice, mais aussi d'une truculence et d'une énergie qui, sans être salvatrices sur du long terme, introduisent quelques bouffées d'air dans cet univers d'une oppressante tristesse, qu'exhausse le sentiment d'authenticité que suscite la lecture.
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