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Critique de Antyryia



Alors que comme de nombreux Français je me préparais au confinement et que je rangeais dans mon coffre mes dix-huit kilos de pâtes et mes cent cinquante litres d'eau minérale, je n'ai pas du tout prêté attention à la silhouette derrière moi.
Quand le coffre se rabattit sur mon crâne avec une violence inimaginable, j'ai d'abord vu des étoiles puis plus rien.

Reprenant conscience, je suis tout d'abord surpris par mon foudroyant mal de tête.
Par pur réflexe, je cherche à y porter la main pour mesurer l'ampleur de ma bosse, mais mon poignet est entravé.
J'ouvre enfin les yeux et me rends compte dans une semi-pénombre que je suis en fâcheuse posture.
La porte métallique qui m'enferme dans cette cave humide d'à peine six mètres carrés ne m'inspire pas confiance.
Je sais bien qu'on s'apprête à passer au stade 3 en cette époque trouble de pandémie mais je n'en demandais pas tant.
Le matelas crasseux et éventré et les chaînes qui semblent ancrées solidement au mur ne me disent rien qui vaille non plus.
En plus je suis tout nu et j'ai froid.

- Psst, comment tu t'appelles ? me demande une voix masculine de l'autre côté.
- Antyryia. Et vous, qui êtes-vous ?
- Je m'appelle Norbert. Alors c'est toi le nouveau ?
- le nouveau quoi ?
- Mon nouveau voisin de cellule ... Quand Twix en a marre de jouer avec une de ses victimes, elle la tue et va en chercher une autre pour la remplacer. D'ailleurs, si je peux te donner un conseil, ne lui montre jamais que tu as peur. Si tu lui résistes tu as une chance de survivre. C'est la domination qu'elle recherche.
"C'est la séquestration en elle-même qui se situe au coeur de son fantasme."
- Tu veux dire que nous sommes entre les mains d'une tueuse en série ? demandais-je, incrédule.
- Avant toi dans cette cellule j'ai connu au moins six personnes. Certaines ont craqué au bout de trois jours, submergés par le désespoir. D'autres ont tenu plusieurs mois mais ont été rattrapés par le délire et la folie. Marcel lui a résisté pendant un an environ avant de se laisser volontairement mourir de faim. Enfin je n'ai plus vraiment la notion du temps. Et quand elle en a assez de ses jouets, elle les étouffe. J'imagine qu'elle enterre ensuite ses victimes quelque part. En tout cas quand elle revient, elle a déjà une proie de remplacement.
- Et pourquoi tu l'appelles Twix ? Parce qu'elle a toujours deux prisonniers simultanément ?
- Parce que quand elle descend nous voir, l'un ou l'autre, c'est toujours pour ...
( sa voix se met à trembler )
... Pour enfoncer son index et son majeur dans ...
Quand je réalise l'ignominie qui m'attend pendant ces prochaines années, je serre les fesses par pur réflexe.
... Et après elle lèche ses doigts.
- Non mais elle est totalement tarée ! m'exclamai-je
- Les psychopathes sont rarement sains d'esprit tu sais. Et celui qui rédige cette critique ne l'est pas non plus si tu veux mon avis, me confie mon compagnon d'infortune. Peut-être que tu finiras par t'y habituer ?
- Jamais de la vie ! m'écriai-je.

Plus les mois de torture et d'abjections s'écouleront, et plus j'aurai la certitude de ne plus jamais manger de barre chocolatée de ma vie.
Twix, deux doigts coupe-faim.
Mon cul oui.

Le soir même de ma capture, j'allais faire connaissance de Twix, de son tablier de bouchère, de son masque de clown et de ses mains beaucoup trop boudinées.
Entre deux séances de viols et d'humiliations durant lesquels j'essaie de faire bonne figure pour rester en vie et accessoirement recevoir ma maigre pitance quotidienne, je discute avec Norbert, devenu mon seul point de repère dans ces ténèbres.
Réciproquement, nous nous permettons de ne pas sombrer.
Je l'ai bien compris, si je craque elle me tuera. Et si elle me tue je ne m'en sortirai jamais vivant.

Un jour, inévitablement, nous évoquons la lecture. Et de fil en aiguille je repense à ce que Max avait subi en prison dans Dompteur d'anges de Claire Favan. Pris à tort pour un assassin d'enfant, les autres détenus lui en avaient fait baver.
Autre scène de viol d'une cruauté sans nom, beaucoup de lecteurs se souviennent encore de la façon dont s'est achevée la seconde partie de Serre-moi-fort, laissant un de ses personnages principaux aux lisières de la folie après une monstrueuse agression sexuelle.
Dans le tueur intime, Will Edwards était un enfant battu et violé par son père avant de devenir lui même un violeur et un terrifiant tueur en série.
L'auteure d'Apnée noire n'a jamais été tendre, ni avec ses victimes, ni avec ses principaux personnages. Et si Claire Favan est passée progressivement d'un portrait plus vrai que nature d'un psychopathe à des romans davantage basés sur le suspense et les retournements de situation, les tueurs en série et les viols ( aussi bien féminins que masculins ) sont restés à de rares exceptions près les marques de fabrique de sa bibliographie.

Norbert et moi nous découvrons rapidement une passion commune pour la Parisienne et il veut tout savoir sur les romans qu'elle a pu écrire après son enlèvement deux ans plus tôt.
J'évoque rapidement Inexorable et son histoire d'amour entre une mère et son enfant rendu violent par une vie qui ne lui a pas fait de cadeaux.
- Et elle n'a rien écrit d'autre depuis ? m'interroge-je Norbert fébrilement.
- Si, si, son dernier roman vient à peine de sortir et s'intitule Les cicatrices. A peu de choses près je n'aurais même pas pu t'en parler mais j'ai eu le temps de le terminer juste avant d'être sequestré ici.
- Alors raconte moi tout ! Je veux connaître le moindre détail !
C'est la première fois que j'entends mon voisin de cellule aussi enthousiaste depuis mon arrivée ici.
- De nombreux lecteurs parlent de retour aux sources avec ce roman. Personnellement il m'a parfois fait penser à Miettes de sang. Owen Maker, le personnage principal, est un anti-héros comme l'était à sa façon Dany Myers. Mais pour le reste, on retrouve autant le travail psychologique des débuts que la volonté de surprendre sans cesse le lecteur. Le résultat est assez troublant puisque le livre d'une grande crédibilité dévie vers des rebondissements assez inconcevables. Disons que le spectacle vaut le coup d'oeil à condition de ne pas y regarder de trop près.
- Parle moi de ce Owen ?
- Déjà je peux te dire que c'est lui qui donne son titre au roman. Adolescent, il a fait une chute dans un ravin, a été entraîné par une rivière, et il a été complètement broyé. L'adulte auquel nous avons affaire ignore ce qu'il a pu fuir cette nuit-là, qui lui revient souvent en rêve, mais il en garde de lourdes séquelles physiques et psychologiques.
Physiques en raison des nombreuses opérations chirurgicales qui ont été nécessaires pour le remettre sur pieds, autant de blessures responsables de douleurs fulgurantes quotidiennes.
Psychologiques parce qu'il est amnésique. Il ignore d'où il vient, qui il est, qui sont ses parents.
"Même aujourd'hui, je ne sais absolument pas d'où je viens, ni qui j'étais avant tout ça, comme si quelqu'un avait réinitialisé mon existence."
- Et pourquoi tu en parles comme d'un anti-héros ?
- de son propre aveu, il a une "vie de merde". Principalement à cause de son ex-femme, Sally, de laquelle il a divorcé depuis cinq ans. Et pourtant ils habitent encore la même maison, séparée d'une simple cloison. Et Sally le considère toujours comme l'homme avec lequel elle finira sa vie. Et elle se livre au plus abominable chantage qui soit.
"Sa principale occupation à présent, ce sont ses fausses tentatives de suicide pour me punir de l'avoir quittée."
Sa possessivité maladive fait d'Owen le héros "Trop bon, trop con" par excellence, osant à peine tenter d'entamer une nouvelle histoire sentimentale, toujours présent comme par obligation pour celle qui coninue de lui pourrir la vie. Par devoir et culpabilité, à quarante-deux ans, il n'ose pas prendre sa vie en main et l'a mise totalement entre parenthèses.
- Et pour ce qui est du tueur en série ? Qu'est-ce qu'elle a inventé comme monstre cette fois-ci ?
- Je ne sais pas si ça va te faire rire ou pleurer, mais il s'appelle Twice. Et il a constamment deux prisonnières à la fois, tuant et jetant celle dont il n'a plus besoin pour la remplacer aussitôt.
"Comme il l'aurait fait avec une ampoule cassée, il venait d'aller faire ses courses et il revenait avec sa nouvelle trouvaille."
Elles n'ont d'autre but que de satisfaire ses besoins sexuels. le FBI n'a jamais réussi à l'appréhender ( "Vous m'avez dit vous-même que vous êtes sur ses traces depuis vingt-cinq ans" ) malgré son nombre de victimes ( "Nous lui avons attribué vingt-deux meurtres depuis qu'il est en activité." ).
- Et qu'est-ce qui relie ce psychopathe à Owen ?
- Eh bien alors qu'il n'avait plus fait entendre parler de lui depuis cinq ans, il reprend du service. Il viole et tue de nouvelles victimes.
"Des femelles à la disposition de ses moindres caprices sexuels."
Qu'Owen connaît de près ou de loin. Lui qui considérait déjà sa vie comme une catastrophe ne va pas être déçu de se voir plongé au centre de cette affaire médiatique. Victime ? Coupable ? Bouc émissaire ? Dommage collatéral ? Alors qu'on lui aurait donné le bon dieu sans confession un lien ambiguë le relie de toute évidence à ces nouveaux meurtres. A la police et à l'agent du FBI hanté par cette affaire non résolue de faire la lumière sur toute cette affaire.
- Et est-ce qu'elle fait un petit clin d'oeil à ses amis écrivains comme elle l'avait fait dans Dompteurs d'anges ? Jacques Saussey, Nicolas Lebel, Olivier Norek ?
- Euh ... Oui, bien vu. Beaucoup de lecteurs ont adoré ce passage humoristique mais personnellement ça fait partie des reproches que j'ai à formuler. On a un livre très noir, très dur par endroits et durant un des cinquante-cinq chapitres, entre deux viols et deux meurtres, l'auteure se permet un humour malvenu en mettant ses confrères romanesques en posture plutôt gênante et ... disons que ça n'a rien à faire dans le roman. Pas de cette façon. C'est une tâche gratuite et indélébile qui vient endommager tout le reste.
- Je vois, c'est un peu comme si nous étions dans une chronique littéraire entâchée par un humour de très mauvais goût ?
- C'est exactement ça ! confirmai-je en hochant la tête, même si Norbert ne pouvait pas me voir.
- Quoi d'autre ? Insiste mon très curieux voisin.
- Eh bien je dirais que c'est un roman sur la dualité. Sur ces cicatrices qui se font ou se défont. La couverture représentant Owen en est une parfaite illustration. C'est le personnage par excellence plus complexe qu'il n'y paraît, partagé entre un passé dont il n'arrive pas à se défaire et un futur qu'il voudrait construire, entre une ineffable gentillesse et une colère contenue, qui plus est privé de tout repères de son enfance.
Le chiffre deux, représentatif de cette dualité, est également au centre du roman. Tout marche par paires en quelque sorte. A commencer par le nombre de prisonnières, et en particulier sur Marie et Emily dont on suivra l'infâme quotidien aux côtés de Twice. Et des couples il y en a bien d'autres : L'insoluble séparation d'Owen et Sally vivant dans une maison coupée en deux, le duo formé par les policiers Cartwright et Bowns. On comprend très vite également qu'il y a au moins deux tueurs et que Twice a probablement un complice. Finalement, pour le lecteur, le travail de déduction consiste le plus souvent à deviner qui forme un couple avec qui pour avoir toutes les réponses.
- Et finalement tu as aimé ou pas ?
- Bien sûr que j'ai aimé ! C'est du Claire Favan quand même. Quoi que j'ai pu lire un mauvais roman de Claire Favan ça n'existe pas. Mais comme je te le disais tout à l'heure, je trouve qu'elle a peut-être voulu trop en faire pour surprendre ses lecteurs. On voit souvent les revirements n'arriver qu'un ou deux chapitres avant et même elle avait déjà utilisé certaines des mêmes ficelles par le passé je suis retombé plusieurs fois dans le panneau quand même. Alors oui, c'est un thriller qui se dévore du début pourtant calme à la fin qui nous emmène de surprises en révélations. Mais autant j'ai cru au tueur intime autant je doute qu'un tueur comme Twice puisse exister. Surtout dans ce roman tel qu'il est construit. En tout cas il ne me restera pas en mémoire comme je me souviens encore de Serre moi fort plus de trois ans plus tard.
- Mais tu ne veux pas m'en dire plus ? Me raconter la fin ?
A ce moment là nous entendons la porte de la cave s'ouvrir et les pas lourds de notre tortionnaire descendre les escaliers.
- Tu sais quoi ? Je vais nous sortir de là et le livre je te le promets, on ira tous les deux l'acheter au Furet du nord. Ou on le commandera sur internet. C'est moi qui te l'offre. Comme ça tu pourras découvrir par toi même tout ce que je ne t'ai pas dit !

Quand la porte de ma cellule s'ouvre et que Twix enfile ses gants de vaisselle, je tire avec tout ce qui me reste d'énergie sur ma chaîne. L'une de mes mains est enfin libre et je propulse mon arme de fortune vers mon bourreau. J'arrive à lui faire perdre l'équilibre. Quand elle se relève, elle n'a pas l'air contente. Et sort un hachoir de derrière sa blouse avant de foncer sur moi.
Je lève mes bras pour protéger mon visage quand elle veut m'asséner un coup fatal.
Quand je constate en rouvrant les yeux que mon bras droit a été tranché net à hauteur du coude et git au sol dans une mare de sang que je continue d'inonder, je pense d'abord que c'est moi qui pousse le cri d'un poulet égorgé.
- Nonnnnnnnnn ! Qui va me raconter la suite maintenant ?
Puis c'est sur ma tête que s'abat le couperet.


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