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Critique de si-bemol


Dans son second roman, "Virginia", Emmanuelle Favier retrace les années de jeunesse de Virginia Woolf, dépeint sa tristesse, ses peurs et sa solitude au sein d'une famille recomposée de 8 enfants dont elle est l'avant-dernière, son besoin désespéré d'aimer et d'être aimée, sa difficulté, déjà et dès l'enfance, à être pleinement au monde, comme son appétit de connaissance et de lecture et ses velléités - de plus en plus affirmées - d'écriture. C'est un portrait brossé de l'intérieur qui dit par petites touches les ressentis, les désarrois intimes et - éducation victorienne oblige - jamais exprimés d'une enfant puis d'une jeune femme hypersensible que tout interpelle, écorche et blesse.

Un tempérament solitaire, angoissé et mélancolique, corseté par une société victorienne bien-pensante, rigide, terriblement convenable, ennuyeuse et fade, mais une personnalité forte, également, moqueuse et volontiers rebelle, nourrie par une intelligence acérée. Emmanuelle Favier nous guide ainsi pas à pas jusqu'aux 22 ans de Virginia Woolf - qui n'est encore que Virginia Stephen, dite “Gina” ou “Miss Jane” : 1904, 22 ans… Année cruciale pour Virginia, qui voit à la fois la mort du père (9 ans après celle de la mère), la rencontre avec Leonard Woolf et sa seconde naissance - cette fois en tant qu'écrivain.

Pour ce faire, Emmanuelle Favier opte pour une approche assez étrange : un “nous” narratif qui associe le lecteur à l'écriture du récit tout en introduisant une double distanciation - spatiale et temporelle - avec ce qui, collectivement, donc, s'y raconte. le procédé, original, aurait pu être extrêmement intéressant. Mais à force de nuances dans la nuance, de détails dans les détails, de retouches dans le discours, de (faux) remords dans l'énonciation, le récit n'avance pas et traîne désespérément en longueur - tout entrecoupé qu'il est en permanence de digressions et d'incises destinées à rappeler au lecteur (promu au rôle de co-narrateur) qu'il est là sans y être vraiment, qu'il voit - mais de trop loin -, qu'il sait - mais c'est dans l'avenir et donc prématuré -, que la focale - mal réglée - est imprécise et peut-être trompeuse, que la vision est décidément floue - et que rien de ce qui est dit là ne saurait être certain...

Ce “Virginia” d'Emmanuelle Favier, quoique fort bien écrit, ne m'a pas vraiment convaincue, parce qu'il s'enferme dans un choix narratif qui devient très vite artificiel, multiplie les coquetteries et les afféteries littéraires et n'a ni le souffle créatif que l'on est en droit d'attendre d'un roman, ni la rigueur d'une véritable étude biographique. A ce titre, il n'apporte pas, à mon avis, grand chose à son sujet qui fut, par exemple, il y a quelques années, mieux servi par Viviane Forrester. A tout prendre, rien ne vaut la lecture de son journal ( à tous points de vue monumental), de sa correspondance et - bien entendu - de son oeuvre pour connaître de Virginia Woolf tout ce qu'il importe de savoir de cette femme solitaire et tourmentée comme de l'immense écrivain qu'elle fut et qu'elle demeure.

Ce n'est pas, cependant, un mauvais livre : le récit est sensible et très documenté, l'analyse est fine et l'écriture est belle. Mais c'est un roman qui m'a mise à la peine, que je me suis littéralement forcée à lire jusqu'au bout - par amour pour Virginia Woolf et pour son oeuvre bien plus que par intérêt pour le travail d'Emmanuelle Favier - et qui me laissera surtout le souvenir d'une lecture un peu agacée et passablement ennuyeuse. Un rendez-vous un peu manqué, donc, en ce qui me concerne, avec cette nouvelle - et belle - plume de la littérature française dont je n'avais encore jamais rien lu.

[Challenge Multi-Défis 2020]
[Challenge Plumes féminines 2020]
[Challenge Notre-Dame de Paris]
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