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L'atmosphère dégagée par ce roman est terriblement oppressante.
L'auteure maîtrise cela a la perfection a la fois lors d'un huis clos , mais également lorsque les personnages se retrouvent dans une contrée inconnue et mystérieuse.

Les personnages sont également très bien campés, ce qui permet à l'auteure d'assoir l'atmosphère oppressante et le suspens.

Si j'aime en général cette tension, j'ai trouvé un manque de rythme. Je sais pourtant que cette lenteur est voulue, justement pour bien poser cette sensation d'oppression.
Mais du coup, j'ai plus de mal de rester dans le récit sans ressentir un peu d'ennuis.

Donc malgré un scénario en béton et une atmosphère dégagée parfaitement maîtrisée, ma lecture a été en demi teinte.
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C'est ma première lecture d'Estelle Faye et j'ai trouvé ce thriller fantastico-historique plutôt convaincant.

1793, en pleine Révolution française, un jeune officier est envoyé en Bretagne pour arrêter un vieux noble, Justinien de Salers. Celui-ci accepte de se rendre à la seule condition que l'officier écoute son histoire : celle d'une expédition quarante ans plus tôt à Terre-Neuve, de l'autre côté de l'Atlantique, qui a viré au tragique.

L'histoire mélange deux types d'intrigue plutôt classiques : le naufrage sur une côte déserte avec une poignée de survivant·es qui tentent de rejoindre les terres habitées, et le whodunnit à la Agatha Christie et ses personnages qui disparaissent les uns après les autres tandis que la suspicion monte. La combinaison prend bien quoique le rythme soit plutôt lent, peut-être accentué par de longues descriptions qui ont eu tendance à me faire décrocher de temps en temps. Ce que j'ai aimé, c'est l'entrelacement thématique entre légendes bretonnes et mythes autochtones, qui vient nourrir (no pun intented) les thèmes traités par l'autrice, à savoir la culpabilité, la justice, la vengeance et les monstres qui peuvent naître à l'intérieur de chacun·e.

Aussi, j'ai été agréablement surprise par le traitement historique et géographique plutôt solide. La partie de l'intrigue qui se déroule en 1754 commence en Acadie et on sent les prémisses de ce qu'on appellera plus tard le Grand Dérangement (la déportation des colons francophones), ce qui accentue la tension dégagée par le récit. J'appréhendais aussi la façon dont l'autrice utiliserait les mythes autochtones et en particulier celui du wendigo (ou widjigo dans sa version algonquine), central à l'histoire, mais l'ensemble m'a paru aussi respectueux que bien documenté (je suis toutefois loin d'avoir une connaissance approfondie du sujet). Il me semble d'ailleurs que le terme d'« Indien » n'est pas mentionné une seule fois et que cela ne gêne en rien la compréhension. Notons que certains éléments concernant la légende du widjigo peuvent donner des indices quant à la clé de l'énigme…

Bref, cela me rend assez curieuse pour continuer à explorer les univers d'Estelle Faye (si vous avez des suggestions, je suis preneuse).
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Que voici un livre sombre, étrange, fort, et surtout ancré dans L Histoire ! Quelle merveille !
J'ai d'abord lu le livre, avec l'hésitation qui accompagne la pression : envoyé par le très sympa Gilles Dumay, directeur de la collection Albin Michel Imaginaire, et en plus, dédicace personnelle de l'auteure, Estelle Faye, ce qui ne m'arrive jamais, dû à mon ermitage.. et ensuite j'ai cherché à connaître ce qui m'avait interpellée : es gabelous, les faux sauniers, le Wendigo, Terre-Neuve, les habitants, les légendes, l'histoire... j'adore lorsque les livres ouvrent sur des envies de comprendre, d'apprendre..

C'est l'histoire de deux mondes, l'ancien et le nouveau.
C'est la guerre, en France, qui oppose l'armée révolutionnaire et les révoltés chouans, les faux sauniers et les gabelous, et ceux qui fuient la mobilisation car en 1793, l'armée de la toute nouvelle République n'a presque plus d'hommes. C'est la famine partout.

Les soldats "Bleus" menés par Jean Verdier, tout jeune lieutenant, quasi morts de faim et de froid, luttent contre les éléments dans cette région de Basse-Bretagne où ils sont envoyés pour aller chercher un membre de la Noblesse, Justinien de Sales, pour le passer à la guillotine, c'est pratiquement toujours ce qui leur arrive, aux nobles, depuis 1789. Son petit régiment affaibli a de plus en plus de peine à avancer dans ces marais, et une tempête se prépare. le château, dont il ne reste qu'une tour, se dresse sur la roche, glissante elle aussi. Ce premier chapitre me fait penser aux tableaux de Bernard Buffet, âpres, durs, hachés de grands traits noirs.

Le châtelain est seul, d'après les renseignements de Jean Verdier. Mais méfiance. La troupe arrive à la porte, et dans l'entrée, il fait rentrer son petit bataillon à bout de forces : dehors, ils ne survivront pas à la tempête qui commence. C'est alors que la voix grave d'un homme l'appelle, du haut des escaliers. Malgré le fait que tous aient été mis au fait des cicatrices défigurant le visage du vieil homme, tous sont pris d'effroi en le voyant, pourtant dans la pénombre.

Mais, ils ne peuvent pas repartir comme ça avec leur prisonnier maintenant, avec la tempête qui frappe de vagues la tour, déjà. Et ils n'ont ni dormi ni mangé depuis deux jours. Alors la troupe se calme enfin, au sec, et l'homme dit à Verdier qu'il veut juste discuter. Puis il repartira avec eux après la tempête. le jeune lieutenant évite de toutes ses forces de regarder ce visage. Mais il va y être obligé.

En haut des escaliers, une pièce en demi-lune, protégée du froid par de lourdes tentures, est éclairée par de nombreux cierges, en plus du grand feu brûlant dans la cheminée. le vieil homme s'assied à son bureau, invite son hôte à s'assoir dans un fauteuil.. et là Verdier manque de vomir. Par quel monstre a-t-il été défiguré, ce vieux noble, et même la tête entière est marquée par de gros et longs sillons... un... monstre ? le vieil homme va alors raconter son histoire, depuis ses années de jeune noble à l'aventure dans les contrées froides de Port Royal, en Acadie Anglaise en 1754.

Envoyé par bateau depuis Port Royal pour enquêter sur la disparition d'une expédition de cartographie à Terre-Neuve, Justinien de Salers passe la traversée à entretenir son alcoolisme et à souffrir du mal de mer. Lorsqu'il se réveille le lendemain, il est sur la grêve, il y a des morceaux de bois ça et là, et quelques personnes survivantes à ce qui semble bien être un naufrage. Plus beaucoup de vivants.
Il fait froid, humide, il pleut, la mer charrie des blocs de glace, et, relevé, il se rend compte que ses compagnons d'infortune sont très peu.
Un marin, un trappeur, un officier anglais, un grand pasteur presbytérien a l'air austère, teint cireux, sa fille, la petite Penitence, dite Penny, le jeune rescapé de l'expédition qu'il doit rechercher, qui doit les guider, malgré son mutisme traumatique, la grande femme au tricorne, que d'autres appellent "sang-mêlé", pisteuse et tireuse hors pair, engagée avec un herboriste et géographe, pour accompagner Justinien de Salers dans son investigation.

Mais, échoués sur la plage, un feu fait de bois flotté est vite allumé par la grande femme au tricorne, qui semble savoir faire beaucoup de choses. En fait elle descend de ces autochtones presque disparus, les Beothuks, il en reste peu comme elle. Ces habitants de Terre-Neuve depuis l'Antiquité disparaitront pour de bon en 1829. le pisteur ramène de gros oiseaux à plumer et manger. Mais le lendemain, le pisteur est mort. Retrouvé sur la plage, comme dévoré. C'est la panique, Quel monstre est assez gros pour .. ? La troupe choisit de passer par la langue de grève surplombée de falaises pour remonter jusqu'à un port. Ici c'est désert.
Mais la nuit suivante, dans la grotte où tous s'abritent, il manque l'un d'entre eux. le marin, que l'on retrouve à moitié dévoré, pendant depuis le haut de la falaise au-dessus d'eux.

Entre les exhortations d'Ephraïm, hurlant à la repentance, à la parole de Dieu pour chasser les esprits démoniaques dans chacun des personnes présentes, et des esprits de la forêt, ilest difficile de garder son sang-froid, et sa raison.

Le comportement de la petite Penny change, elle se défait lentement de l'emprise du prédicateur ; l'officier anglais, blessé, mais armé, semble perdre la tête, Justinien est pris de fièvre et du manque d'alcool, seuls le botaniste et Marie, le nom que se donne la femme qui semble la plus à l'aise dans cette nature hostile ont l'air d'être fiables, dans la petite troupe, qui s'amenuise car toutes les nuits ou presque, le monstre dévore l'un d'entre eux. Ou alors l'un d'entre eux est un monstre.
Entre le froid, la neige, la faim, la route de Justinien de Salers est d'une inhumanité à faire dresser les cheveux sur la tête.

Estelle Faye raconte ici une épopée glacée, entremêlée de surnaturel, empreinte de la spiritualité des Beothuks, leur Widjigo (appelé aussi Wendigo), monstre cannibale craint dans la culture légendaire de ce peuple, et des Mikmaqs ensuite, faits réels sur le génocide indigène, avec les envois de colons contaminés par la variole, la rougeole, la petite vérole depuis la France et l'Angleterre pour décimer les populations locales, les horreurs perpétrées par les missionnaires pour "évangéliser les sauvages", les marins qui auraient pu manger leurs congénères pour survivre à la famine, tout un monde qui est peu connu apparaît, avec un talent de conteuse hors pair.
C'est glaçant et à la fois interpellant, et ça ouvre sur des évènements de l'Histoire, bien réels. J'ai vraiment, vraiment aimé.

Lien : https://melieetleslivres.fr/..
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Après Gauthier Guillemin et son Rivages et Franck Ferric et son Chant Mortel du Soleil, Albin Michel Imaginaire continue la publication de romans d'imaginaire francophone avec une plume déjà bien connu des lecteurs de fantasy : Estelle Faye. Après son diptyque sur Bohen et sa trilogie La Voie des Oracles, la française signe cette fois un roman fantastique entre Terre-Neuve et la Bretagne. On y retrouve tout ce qui fait l'univers de la romancière : l'océan, la révolte, l'injustice et…les monstres !

Une époque déchirée
Widjigo s'ouvre sur l'arrivée de Jean Verdier, jeune lieutenant de la toute nouvelle République française, au pied de la demeure du marquis Justinien de Salers, sur la côte bretonne. La Révolution réclame des têtes, du sang, de la justice et Jean Verdier vient traîner un « coupable » devant le tribunal du peuple. Malheureusement, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu et le vieux Justinien de Salers finit par obtenir ce qu'il veut : une nuit pour raconter son histoire au lieutenant de la République.
Une histoire qui fait remonter Jean Verdier et le lecteur près de quarante ans plus tôt, en 1754 à Terre-Neuve au nouveau-monde, pas loin de l'Acadie et de la Nouvelle-France. Justinien est alors un noble ruiné qui écume les tavernes et soigne ses remords dans l'alcool et les tavernes miteuses. Engagé par un riche commerçant en fourrures, Claude Gendron, il va devoir embarquer pour l'île de Terre-Neuve où une expédition a mystérieusement disparue, ne laissant qu'un survivant mutique et souffreteux incapable d'élucider cette sinistre affaire : Gabriel.
Accompagné de ce dernier et de deux autres larrons, Marie, une sang-mêlée aux allures d'Ankou, et Veneur un botaniste dont plus personne ne veut, Justinien n'est pas au bout de ses peines. Emporté par une violente tempête, l'expédition chavire et une poignée de survivants se retrouve confronté à l'hostilité de ce coin reculé du Nouveau-Monde. Éreintés, affamés, apeurés, les survivants disparaissent les uns après les autres…et la méfiance s'installe dans le petit groupe terrorisé…
Estelle Faye entrelace deux époques pour les besoins de son jeu de massacre.
D'abord, 1793, au coeur de la Révolution, Paris meurt de faim, la guillotine élimine tous les opposants de la jeune République, Louis XVI est décapité et les Chouans prennent les armes en Bretagne et en Normandie contre les armées de la République.
Ensuite, 1754, de l'autre côté de l'Atlantique, dans ce que l'on appelle encore la Nouvelle-France et plus particulièrement en Acadie, ce territoire français qui n'arrête pas de changer de mains au gré des conflits avec les Britanniques, les red coats. Une zone tampon qui va bientôt subir la déportation forcée, trop menaçante pour une Couronne Anglaise en guerre contre le Royaume de France.
Deux lieux, deux temporalités mais un tumulte similaire, une vie rude où l'injustice règne, où la mort survient de façon arbitraire, dans des endroits où les hommes s'entretuent pour des idées, pour des guerres qu'ils n'ont pas choisis, pour une misère qui les rattrape toujours. Deux époques où la tension règne, où tout le monde semble chercher la justice et la vengeance et où l'horreur, elle, attend son heure.

Échos par-delà l'océan
Sur ces crispations sociales et politiques, Estelle Faye attache son récit à deux lieux qui discutent par-delà les kilomètres : la Bretagne, son sel et ses côtes emblématiques, et Terre-Neuve, territoire sauvage, indomptable où l'océan gronde. Fasciné par l'ambiance maritime, Estelle Faye excelle à nous y plonger, à immerger ses personnages dans des espaces où l'on sent l'écume proche des rafales de vent, où l'on sait que la vastitude des étendues d'eau renferment le secret des histoires et des hommes.
Car rapidement, le jeu de massacre commence. Jean Verdier écoute Justinien de Salers lui raconter la perte de ses camardes d'infortune les uns après les autres. La méfiance monte à chaque mort, la tension va crescendo et ce qui commençait comme une expédition de recherche devient une tentative de survie en milieu hostile. À dessein, la française entretient le mystère : morts surnaturelles ou simple bestialité humaine ?
On s'en doute au vu du titre du roman, la question finira par se trancher en faveur du Widjigo (ou Wendigo, c'est selon), créature mythique du peuple Algonquin où l'homme qui consomme de la viande humaine se mue en monstre malveillant. Mais ici, pas question d'une simple chasse à l'homme comme c'était le cas dans le génial Vorace d'Antonia Bird. Non, Estelle Faye n'a pas l'intention de simplement vous tenir éveillé avec des cadavres mutilés et des ombres entre les arbres.
C'est autre chose qui préoccupe la française, une chose plus importante et plus humaine au fond : la justice.

Nous sommes tous coupables
Parmi la poignée de survivants au naufrage, on comprend vite que les choses ne sont pas si claires que ça. Que chacun, à sa façon, a quelque chose à cacher, à une histoire à raconter.
De Justinien de Salers et son refus de se souvenir de sa vie en Bretagne à Ephraïm, prêtre puritain dont la fille Penitence en sait bien plus long qu'elle ne veut bien le dire sur son « adoption » suite à la mort tragique de sa mère, en passant par Jonas, le gabier capable de tout pour l'argent.
Au coeur de Widjigo, il y a la notion de jugement, de vengeance, de repentance, de châtiment. Sur la part du monstre qui sommeille au fond de nous, caché par des couches de mensonges que l'on se raconte à soi et aux autres. Estelle Faye passe au crible les péchés de ses naufragés, même ceux dont la vengeance apparaît comme légitime. Elle constate que le monstre naît de l'injustice et que la justice, comme une boucle parfaite, engendre et perpétue des monstres.
Même Jean Verdier, candide auditeur d'une nuit, a des choses sur la conscience, au service d'un nouvel arbitraire qui n'a plus rien de royal mais en conserve l'esprit. République, Révolution, Royauté, Religion.
Le jugement s'abat, sauvage, violent, aveugle. Parfois juste, parfois douteux.
Au fond, Estelle Faye regarde ce qui transforme l'homme en monstre, faisant entrer en collision le surnaturel et le pouvoir des puissants, ceux qui ont la possibilité de châtier selon leur bon vouloir, prenant prétexte de Dieu, du Roi ou de la Révolution.

Le monde tissé d'histoires
Outre cette traque, entre l'homme et le monstre, la justice et l'injustice, la vengeance et le pardon, c'est la notion même d'histoire qui achève ce tableau du Nouveau-Monde et de l'Ancien.
Au cours du récit, Estelle Faye soulève les mythes, du Widjigo à la cité d'Ys, d'échos en échos, où les légendes se répondent, où les héros mythiques enfantent d'autres héros, où l'on s'aperçoit que les Saints sont à la fois les descendants et les frères des grandes figures des mythes païens, qu'ils soient algonquins ou français. La Mort devient l'Ankou, l'Atlantide devient l'Ys, le Widjigo flirte avec le Démon.
Comme si un même mythe se ramifiait, se multipliait, se nourrissait de lui-même, magnifié par l'imagination humaine qui oublie et transforme.
Et si les hommes passent, s'ils meurent et s'ils croupissent au fond de l'océan, les histoires restent, immortelles, comme les créatures qu'elles enfantent : sorcières, widjigos, esprits… construit sur le réel et en équilibre précaire, au bord du gouffre de la mémoire.
Alors Estelle Faye raconte sa version du Widjigo, monstre cannibale et prédateur, explore les différentes facettes de la sorcière, cette femme trop libre qui fait peur aux hommes, s'interroge sur les fantômes qui règnent et nous soufflent dans l'oreille les péchés et les crimes que nous oublions.

Davantage qu'un roman fantastique, Widjigo est un récit d'injustices et de révolte contre les puissants qui broient les faibles et s'en tirent à bon compte. Dans une ambiance humide et épaisse, Estelle Faye livre une histoire à la croisée des temps et des hommes où les mythes se font échos et où les monstres, les vrais, sortent punir les coupables. Gare aux widjigos !
Lien : https://justaword.fr/widjigo..
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Je ne reviens pas sur l'intrigue de "Widjigo", d'autres l'ont fait avant moi et le quatrième de couverture résume suffisament la chose...

J'en viens donc directement à mon ressenti : l'écriture d'Estelle Faye est richement évocatrice, le récit n'est ni trop court, laissant le temps à l'autrice de planter le décor, situer l'époque et créér une atmosphère, ni trop long, évitant de faire trainer l'histoire et de lui faire perdre sa dynamique.

C'est un bon roman fantastique, qui intègre les codes du genre sans en abuser, une lecture qui ne sera peut-être pas pour moi inoubliable, mais une réussite à conseiller aux amateurs.
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Basse-Bretagne, 1793 : Jean Verdier et sa troupe viennent arrêter Justinien de Salers, vieux marquis défiguré et retranché dans son fort au bord de la mer. Mais Justinien lui demande d'accepter d'entendre son histoire. Et durant toute la nuit, Justinien lui racontera ce qui a bouleversé sa vie.

Terre-Neuve, 1754 : Justinien, renié et exilé par son père, écume les tavernes de l'Acadie devenue anglaise et s'abrutit dans l'alcool, quand un négociant lui propose de rejoindre une équipe qui recherchera la cause de la disparition d'une expédition menée par un cartographe.

Justinien accompagne Marie, la métisse algonquine en qui il reconnaît la mystérieuse Camarde qui le surveillait, Clément, un botaniste qui a fait partie d'une précédente expédition, et Gabriel, le seul rescapé de ladite expédition disparue. Mais le bateau sur lequel ils avaient embarqué échoue loin de leur destination, du côté opposé de l'île. Les quelques rescapés — notre équipe et d'autres survivants — se retrouvent isolés, dans un environnement hostile, froid, gris et humide. Au matin, un cadavre dans un état effroyable est découvert. Alors que commence un long périple pour rejoindre la partie habitée de l'île, dans une nature inhospitalière en hiver, d'autres voyageurs meurent dans des conditions atroces.

Tout le monde se méfie de son voisin, la marche harassante épuise des voyageurs ; et rapidement, plane le mythe du Widjigo, ce monstre qui naîtrait de la faim, de la solitude, et qui dévorerait les âmes. L'ambiance horrifique de ce roman fantastique est servie par la plume littéraire et évocatrice de l'auteure, qui décrit un univers rugueux, sombre et inquiétant. On sent le sel, les marées, la boue, l'humidité ; on marche avec les personnages dans un monde isolé où la fin de l'hiver teinte l'environnement de gris obscur, gris-blanc, ou gris cendre. L'auteure joue avec le lecteur qui parfois ne sait pas où est la frontière entre la réalité et les visions du narrateur, alors qu'il se demande quel est le meurtrier.

La mort rôde, alors que les vieilles légendes surgissent à travers les hallucinations des voyageurs affamés. La nature humaine est disséquée dans son ambiguïté, les monstres ne sont pas ceux qu'on croit, et le cadre historique sert un récit fascinant pour un périple sur une île où des entités plus anciennes que les hommes resteraient tapies dans l'ombre de la forêt.

En ce qui me concerne, une très belle découverte.

Lien : https://feygirl.home.blog/20..
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1793, la guerre des Chouans bat son plein. Lancé à la poursuite de Justinien, un noble recherché par les soldats de la République, Jean Verdier finit par le débusquer, reclus dans une vieille tour. Loin de se cacher, le noble va inviter Jean à s'asseoir à sa table et entreprend alors de lui narrer, avec un talent de conteur certain, un étrange récit fait de naufrages, de rescapés, de meurtres et de monstre en cette sinistre année 1754.

Construit comme un huit-clos, l'angoissante atmosphère de ce roman est particulièrement efficace. Imaginez un Hercule Poirot horrifique. C'est un peu cette sensation qui m'a accompagnée en lisant ce récit. Depuis la petite île où il s'est réfugié en 1793, Justinien nous raconte son extraordinaire aventure, elle-même se déroulant sur une île, près de Terre-Neuve dans l'actuel Canada.
Il faut d'abord saluer le talent incroyable de Estelle Faye en ce qui concerne l'ancrage historique. Je me sentais réellement plongée au coeur de l'ambiance glaciale de cette terre en compagnie des coureurs de bois.
Que ce soit pour la guerre des chouans ou pour le contexte politique également délicat en Terre-Neuve, l'autrice sait parfaitement donner vie à ces univers.
Tout commence réellement avec le naufrage du bateau qui emmenait Justinien et d'autres compagnons vers Terre-Neuve, à la recherche d'un scientifique porté disparu. Seuls une dizaine de passagers en ont réchappé et leur survie s'organise autour de quelques personnages au fort caractère. Jusqu'au premier meurtre, suivi rapidement d'un deuxième. Tout laisse à penser que c'est l'un d'eux qui élimine ainsi les membres de leur clan restreint. Justinien perçoit tout de même d'étranges odeurs et des visages qui se dessinent sur l'écorce des arbres.
Hantés par la peur, la faim et en proie au désespoir comme au prédateur anonyme, les rescapés finissent par s'agiter et la tension dans le groupe atteint son paroxysme alors que un par un, les survivants sont assassinés.
Mêlant habilement folie et ésotérisme, Estelle Faye nous emmène dans un voyage où la réalité et le surnaturel flirtent allègrement sur quelques 250 pages. C'est une lecture qui m'a tenue en haleine jusqu'à la fin. L'autrice sait créer des effets et joue avec le lecteur comme avec ses personnages. C'est particulièrement savoureux.
C'est la première fois que je lis cette autrice et certainement pas la dernière.
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En cette fin de XVIIIe siècle plein de bouleversements en Europe et de l'autre côté de l'Atlantique, une troupe de soldats français est chargée de récupérer un vieux noble, Justinien de Salers, afin de l'emmener vers le sort que la justice, expéditive, qui règne alors lui réserve. Mais il se terre dans une vieille forteresse à moitié en ruines, sur une presqu'ile, stérile, peu accueillante. Alors que la mer menace la troupe, le vieil homme propose à son chef un marché : il se rendra si ce dernier accepte d'écouter son histoire.

Et c'est parti pour un voyage plein d'humidité et d'angoisse, de sang et de surprises.
La scène de début m'a rappelé Cochrane vs Cthulhu, de Gilberto Villarroel, pour cette ambiance marine inquiétante, cette ile à moitié submergée, ce batiment en partie ruiné, angoissante silhouette sur un ciel gris et menaçant, cette eau omniprésente. Mais ce roman ne joue pas dans la même catégorie, puisqu'il est plutôt récit d'aventures quand Widjigo fait vibrer les cordes du fantastique et de l'angoisse. Et Estelle Faye sait manier les mots avec force et brio. Sans cesse, elle utilise des adjectifs qui instillent un climat humide et angoissant. le rouge apparaît sans cesse, partout, sur un vêtement, sur une blessure, sur une plante. L'inquiétude, la peur, l'horreur s'installent progressivement, l'air de rien, au détour de chaque page. L'ambiance est particulièrement soignée du début à la fin. le choix des termes amplifie les formes, les couleurs, les sensations. Pendant toute la lecture, on est transi de froid, imbibé de cette humidité latente qui suinte des pages du livre, des paysages hostiles et rudes. On sent le grain du sable s'insinuer entre nos orteils. On voit la cendre, noire, se déposer sur une joue. Car les portraits mêmes des personnages participent de cette omniprésence d'une nature forte et résolument liée aux protagonistes : « des yeux couleur de terre et de sous-bois au printemps » ou « ses iris aux reflets de nuages ». Jusqu'au bout, d'ailleurs, puisque les cadavres, il y en aura, retournent à la nature, tout emplis d'animaux, d'insectes, grouillant d'une vie qui n'est plus leur.

Vous me direz, l'ambiance, c'est bien joli, mais y a-t-il quelque chose derrière ? du contenu ? Une histoire digne de ce nom ? Eh bien oui. Estelle Faye prouve sa maitrise de la trame narrative dans ce roman qui reprend les habitudes et les clichés de ce type de récits puis les utilise pour parvenir à ses fins. le duo du début, ce jeune soldat et ce vieux noble, enfermés dans une tour au milieu des eaux, avec la tempête qui se déchaine à l'extérieur, sert à lancer, relancer à intervalles bien pensés et clore l'histoire principale, le récit de Justinien. Car on a droit, essentiellement, à une histoire dans l'histoire : comment le vieil homme en est arrivé à ce point, défiguré atrocement ; comment sa vie a été bouleversée de l'autre côté de l'Atlantique, dans ce Nouveau Monde qui a déjà bien vieilli, dans cette partie de terre abandonnée progressivement par les autorités françaises au profit des Anglais ; comment il a dû partir dans une expédition sans réel enjeu avec des compagnons de fortune découverts à l'occasion.

Estelle Faye nous bâtit une équipe composée, apparemment, de bric et de broc, sans lien entre eux, sans but commun, à part survivre. Car l'expédition tourne rapidement au fiasco, comme de bien entendu, laissant ces femmes et ces hommes à la merci d'une contrée inconnue, déserte de toute présence humaine, sans moyen de communication avec le reste de la civilisation, quelle qu'elle soit. Pendant le voyage qui doit les conduire au salut, nous découvrons chacun d'eux. Cette figure obligée de ce type de récit est réussie avec évidence, comme une lettre à la poste, sans que l'on se rende compte de rien. Et l'on assiste à une nouvelle mise en abîme, puisqu'à certains moments, on a affaire à une histoire dans l'histoire dans l'histoire. Et cela donne un relief supplémentaire à ce roman si riche et si envoûtant. D'autant que les personnages ne sont pas monolithiques, tout enveloppés d'une aura de mystère, propice aux soupçons. En effet, si des gens meurent, il faut bien que quelqu'un les tue. Et puisqu'ils semblent seuls, ce doit être l'un ou l'une d'entre eux. Nous revoilà avec l'histoire si forte d'Agatha Christie, dans son roman au titre récemment changé, d'un groupe de femmes et d'hommes isolés, enfermés, avec les cadavres qui s'accumulent. Sauf qu'ici, l'enfermement est plus vaste : l'ile est gigantesque, semble même infinie au fur et à mesure que les jours passent. Et cela rend le suspens encore plus fort, car les possibilités sont multipliées.

Lire ce roman m'a fait sortir de ma zone de confort habituelle. Mais, pour sûr, je ne le regrette pas tant Estelle Faye s'est montrée habile, experte, à me plonger tout entier dans son coin de terre et à me manipuler à travers les récits des personnages. J'ai adoré trembler avec Justinien et ses compagnons, attendant, dans l'inconfort de ces paysages aux parfums, aux teintes, aux goûts si présents, le verdict du Widjigo.

La couverture
Encore une réussite que cette couverture, parfaitement représentative du centre de l'histoire et de son climat malsain et pesant, d'une beauté maléfique. Mais Aurélien Police est coutumier du fait : entre l'esthétique et la proximité avec l'histoire narrée. Il a su rendre les tons du récit et l'angoissante présence de la nature à travers cette poupée menaçante qui rappelle l'image d'un homme crucifié.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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En 1793, Jean Verdier, jeune lieutenant de l'armée révolutionnaire se trouve en Bretagne pour arrêter le vieux marquis Justinien de Salers, un noble qui a traité ses paysans de manière juste, mais la Révolution n'en a cure. Il se rend dans son château sur une presqu'ile, toutefois la tempête et la marée d'équinoxe isoleront la forteresse durant une longue nuit. Justinien accepte de se rendre sans combat alors qu'il est une fine gâchette, mais demande à Jean d'écouter son histoire durant cette nuit. Il est âgé, boiteux et défiguré, et tient à partager ce qui lui est arrivé plus de quarante ans auparavant à Terre Neuve.

Son père était très autoritaire et il s'est révolté contre lui. Il l'a d'abord exilé à Paris avec une petite rente, que Justinien complétait en se faisant entretenir par des personnes riches à qui il vendait ses charmes. Il ne vivait que pour les fêtes. Au vu de sa mauvaise réputation, son père l'oblige à partir pour le Canada où il continue de mener une vie de débauche. N'ayant plus un sou en poche et étant alcoolique, Justinien se voit contraint d'accepter la proposition d'un riche marchand français qui monte une expédition pour retrouver un géographe perdu dans le grand Nord sous la direction de Marie, une métis qui connaît bien la région. L'expédition tourne rapidement à la catastrophe. le bateau fait naufrage sur une côte isolée de Terre Neuve, il y a peu de survivants. Rapidement le froid et la faim s'installent, mais surtout la suspicion car deux trappeurs ont été tués dans des conditions suspectes les premiers jours. Y a t'il un assassin parmi eux ou sont-ils suivis par les Indiens ? le pasteur est persuadé que tous ont quelque chose à se reprocher et qu'ils sont punis pour leurs péchés, discours qui insupporte les autres survivants qui ne se sentent pas concernés, ou veulent croire qu'ils n'ont rien fait de mal. Des signes inquiétants sont gravés sur les arbres et la peur se fait plus vive. Comme l'indique le titre, l'expédition est traquée par un monstre, le Widjigo (ou Wendigo). Mais les choses s'avèreront bien plus complexes comme nous le verrons au fil de nombreux rebondissements.

Ce roman est excellent et fort bien écrit. En version audio, lu par l'auteure, il est vraiment très prenant. Il pourrait être un simple roman fantastique, mais c'est bien plus que cela. le monstre est surtout en nous et les personnages sont questionnés sur leurs actes. Ils se croyaient tous innocents mais ne le sont pas du tout. Tous les participants qui mourront au cours de l'expédition avaient auparavant causé la mort d'autres personnes, volontairement ou non. Si certains personnages sont vraiment très antipathiques, comme l'odieux pasteur qui donne une image déplorable de l'Eglise réformée, d'autres sont tout en nuances et en ambiguïtés comme Justinien. Il se sent victime de son père et pense n'avoir vraiment rien à se reprocher, mais au fil des épreuves la mémoire lui revient peu à peu. Il comprend qu'on peut faire du mal simplement en s'appuyant sur ses privilèges. Finalement nul n'est innocent, même si certains sont nettement plus coupables.

Il y a une mise en abyme entre les deux époques, Jean prend de plein fouet les questions sur les rapports entre la justice, les droits et la culpabilité. Il est conscient des dérapages inadmissibles de la Révolution, ne peut ni les cautionner ni non plus trahir sa cause, il est aussi conscient que depuis son retour du Canada, Justinien a toujours fait preuve de justice envers les populations qu'il administre et qu'il ne mérite pas la condamnation à mort qui l'attend. Justinien tend aussi un miroir à Jean, qui avait déjà des doutes sur le bilan sanguinaire de la Révolution.

L'aspect fantastique est présent en toile de fond discrète, comme les mythes indiens que Marie raconte à Justinien, mais le plus important est la dialectique entre la créature fantastique et le monstre qui sommeille au fond du coeur de chacun. C'est un roman bien plus profond qu'il ne le paraît à première vue. Il y a aussi une réflexion passionnante sur la sorcière, femme trop libre pour son époque et qui fait peur aux hommes. le retournement final donnera encore un autre sens à cette très belle histoire. Un grand merci à Netgalley et Audiolib pour cette magnifique découverte que je recommande chaleureusement.

#Widjigo #NetGalleyFrance !
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Tout comme pour un bon verre de vin où j'aime retrouver en bouche ce que j'ai décelé au nez, « Widjigo » m'est apparu comme une présage de voyage, d'exotisme même, mâtinée de mystère et de fantastique…et, comme attendu, le roman d'Estelle Faye a tenu toutes ses promesses !

1793. Réfugié dans un vieux donjon en ruine en Basse-Bretagne, Justinien de Salers, marquis des Eaux-mortes, est rejoint un soir de tempête par une troupe de soldats de la Révolution. Ces derniers sont venus l'arrêter, lui le noble condamné par la toute jeune République, mais les voilà tous retenus au sein de la vétuste forteresse du fait des éléments déchainés. Une drôle de nuit commence alors pour le jeune lieutenant de la troupe qui a accepté un marché passé avec le maitre des lieux : ce dernier les suivra sans lutter à une condition : qu'il puisse conter l'histoire qui a marqué sa vie à jamais, celle de son naufrage sur l'île de Terre-Neuve...

Plus je lis Estelle Faye, plus je m'enthousiasme pour cette jeune auteure et scénariste… Séduite par son incursion dans le fantastique post-apocalyptique avec Un éclat de givre et Un reflet de lune, je l'ai suivie cette fois sur ce roman fantastique se déroulant entre Terre-Neuve et Bretagne.
Avec son récit tout autant nourri de faits historiques, de descriptions géographiques que d'introspections fines, je me suis trouvée happée dès les premières pages, vivant la rudesse des lieux décrits, la tension grandissante entre chaque protagoniste, l'immersion progressive dans la déraison des uns et la folie des autres. Avec ce huis-clos haletant, la réalité s'efface petit à petit devant l'imaginaire et la fiction, les cauchemars de certains personnages rattrapés par leurs passés, leurs secrets, leurs culpabilités.

Bref. Un roman envoutant et habité, un « roman de monstres » liant l'aventure et le fantastique : une réussite !
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