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Critique de SainteGermaineDesPres


Ma libraire me l'avait chaudement recommandé, le qualifiant de "petit bijou".

Perle, pépite, ou tout autre substantif se rapportant à ce qui est rare et précieux conviendrait aussi, à mon humble avis de lectrice totalement conquise. Tellement conquise à vrai dire, que m'essayer à une critique de ce chef-d’œuvre m'a longtemps semblé impossible. Mais tellement conquise aussi, qu'il me paraissait ingrat de ne pas essayer, ne serait-ce que pour remercier l'auteure d'avoir créé cette merveille.

Donc nous y voilà.

Le secret des très bons livres me semble assez similaire à celui des très bons plats : outre le choix et la qualité des ingrédients, tout se joue dans l'équilibre des saveurs. Or ce livre est un très beau spécimen d'équilibre des saveurs.
Sachant que l'histoire débute avec cinq orphelines - très fraîchement orphelines je précise - il y avait quand même de quoi craindre l'inondation lacrymale. Ce n'est pas le cas du tout. Mais - et ceci est très important à mes yeux - ce n'est pas non plus le contraire. Car rien ne m'irrite plus que l'excès de mièvrerie, sinon l'écueil inverse : la purge des sentiments.
La littérature jeunesse s'expose peut-être plus souvent que la littérature adulte au sentimentalisme à outrance, mais la littérature adulte, à trop vouloir se différencier de cette littérature jeunesse qu'elle considère comme un sous-genre, engendre pléthore de plumes froides, incapables de (me) transmettre la moindre émotion, parce qu'elles confondent excès de sentiments et sentiments tout courts. Bref, la noirceur sans nuances m’écœure tout autant que le rose sans touches sombres.

Revenons au tour de force accompli par l'auteure, puisqu'elle a réussi à faire commencer son récit par le décès des parents sans faire de cet évènement l'élément majeur du récit.
La mort des parents ne sera pas un poids qui plombera le récit. le deuil est à l’œuvre en chacune des soeurs mais se découvre par petites touches, avec finesse, presque avec pudeur, sans jamais nuire au pétillant des petites et grandes péripéties du quotidien. La douleur, présente en toile de fond, se laisse parfois oublier pour réapparaître plus mordante que jamais à la faveur d'un détail (ceux qui ont lu le livre se souviendront sans doute de la date de péremption des yaourts... cruelle piqûre de rappel parmi d'autres du même acabit).
La construction des personnages est elle aussi de très très bonne facture. Certes, le récit a un avantage : il repose sur cinq sœurs (l'aînée étant passée tutrice de la fratrie, elle dégage du compteur semble-t-il, mais attention, elle demeure l'un des ingrédients indispensables à cette délicieuse alchimie familiale). du coup, on est à l'abri d'un personnage "surchargé", polarisant tous les clichés imaginables (ou les faux contrepieds) auxquels certains auteurs recourent maladroitement pour donner de l'épaisseur à leur héros. Les personnages sont hauts en couleur, mais pas stéréotypés. Ce n'est pas que Malika Ferdjouk ait aboli les clichés, (car les clichés ont leur raison d'être et cette grande dame sait sûrement que les éviter à tout prix aboutit paradoxalement à quelque chose de guère mieux) mais les clichés sont présents ici juste ce qu'il faut, ni plus ni moins. Malika Ferdjouk en use avec parcimonie - et pour filer la métaphore de la popote jusqu'au bout, je dirais - comme de simples exhausteurs de goût. Une vraie chef, cette Malika, je vous assure.
Autre écueil évité avec brio, aucune sœur ne vole la vedette à l'autre. D'une part, chacune tiendra le crachoir pour une saison (sauf Charlie, mais Charlie... son statut est un peu à part, elle est comme un fil rouge tissé par la voix des quatre autres). La première édition de l’œuvre a d'ailleurs été découpée en quatre tomes, chaque tome portant le nom d'une des quatre soeurs et correspondant à une saison. Et croyez-moi, l'alternance des points de vue est rondement menée. Chacune à leur tour, Enid, Hortense, Bettina, et Geneviève nous donneront un accès privilégié à leurs pensées, leurs petits secrets, sans négliger les autres puisque l'existence de l'une et toujours imbriquée dans celles des autres.

Ce en quoi ce livre se distingue des beaucoup de ses camarades d'étagère en rayon jeunesse, c'est qu'il ne recourt à aucun ingrédient magique en tant que tel. Ni créatures magiques ni sorcières ici, pas la plus petite allusion à une prophétie pondue par je ne sais quel mage barbu, pas de voyage dans l'espace ou dans le temps. Je n'ai rien contre la Fantasy ou la dystopie, je me régale avec l'Assassin royal, Harry Potter ou l'Attaque des Titans donc loin de moi l'idée de fustiger les livres qui intègrent ces éléments à leur récit. Mais force est de constater qu'il ne suffit pas de déjouer les lois de la physique et du réel pour que le charme opère. Or le charme des quatre soeurs, fait de problèmes bien réels (de thune, de famille, de chaudière en panne, de boulot, d'école, de météo pourrie et j'en passe) agit mille fois plus sur moi que tous les vampires incompris du monde.

La vie des quatre soeurs, c'est la vie comme elle est, quand on se donne la peine de la regarder avec sensibilité, humour et espièglerie. J'ai une préférence pour les auteurs qui savent nous rendre les objets plus vivants qu'ils ne le paraissent et révéler dans l'apparente simplicité du quotidien mille et une merveille de drôlerie et de poésie.

Quant à l'écriture... que dire? C'est recherché mais jamais pédant, c'est original sans être prétentieux, c'est inventif, riche, audacieux, rythmé, subtil...

Alors... Dévorez, dégustez, savourez, accommodez cette délicieuse lecture comme il vous plaira, mais de grâce, lectrices et lecteurs, offrez sans tarder à votre esprit gourmet une explosion de saveurs avec ce met littéraire des plus raffinés.



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