Florence

S’il y a dans le monde un symbole des libertés civiques et politiques, se sont rappelé les Florentins, c’est bien leur immortel David sculpté par Michel-Ange. Nue, blanche, haute de quatre mètres, la gigantesque statue ne veille-t-elle pas à ce qu’elles soient sauvegardées ? N’incarne-t-elle pas les vertus nécessaires au maintien de ces libertés, la force morale, l’intrépidité devant l’ennemi, le sang-froid, la bravoure physique ? Michel-Ange, en campant le héros fermement sur une jambe et en le faisant regarder fièrement devant lui, a fait du faisceau de ces vertus un chef-d’œuvre de l’art. Les Florentins étaient orgueilleux de sa valeur artistique, mais, le 7 janvier, ils se sont souvenus tout à coup que le massacre de Charlie Hebdo remettait à l’ordre du jour et au premier plan la signification politique de la statue.
Le 8 janvier au matin, en passant par la place du Palazzo Vecchio, nous avons découvert qu’ils avaient choisi le David pour exprimer leur révolte contre le carnage de la rue Nicolas-Appert, leur affection pour la France et leur dévotion à la liberté. Le bras droit de la statue portait un brassard de deuil. Le ruban noir du crêpe tranchait avec un éclat funèbre sur la blanche nudité du colosse. Sur le socle, on avait drapé un drapeau tricolore. La foule était dense. Qui acclamait, qui pleurait, qui ébauchait une Marseillaise. Je ne crois pas que dans le monde entier il y ait eu un symbole plus fort de colère, de solidarité, de compassion. David au brassard noir, c’était la République et les valeurs républicaines en deuil. En même temps, par la fierté de la pose et de la hauteur du regard, c’était la volonté de ne pas céder aux forces des ténèbres et de la mort.
A ce moment-là, ne s’était pas encore produit la tuerie de l’épicerie casher. On ne savait pas que quatre Juifs seraient froidement abattus, pour la seule raison qu’ils étaient des Juifs. Or, par une coïncidence qui ajoute après coup un symbole au symbole, David était un Juif, dont l’exploit est raconté dans l’Ancien Testament, au premier livre de Samuel (chapitre XVII). La statue de Michel-Ange se trouve donc avoir incarné sur une des places les plus fameuses du monde à la fois l’amour des libertés civiques et l’attachement au peuple juif. Jamais plus on ne pourra regarder cette statue d’un œil purement esthétique, sans se rappeler quel rôle elle a tenu dans la lutte contre la barbarie. p. 112-113

Michel-Ange mourut à Rome le 18 février 1564. Le corps fut ramené à Florence et les funérailles solennelles célébrées à San Lorenzo. Cellini mourut dans sa maison de la Via della Pergola le 15 février 1571 et fut enterré, à côté de Pontormo, dans la chapelle Saint-Luc de l’église de Santissima Annunziata proche de son domicile. Bronzino mourut l’année suivante, le 23 novembre, et fut enterré à San Cristoforo. Après ces trois disparitions s’éteignit à jamais le génie de Florence. p. 139