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Michelangelo Merisi, né à Caravaggio dans le duché de Lombardie, le 29 septembre, jour des saints Michel, Gabriel et des saints Anges, mort le 18 juillet à trente-huit ans sur la plage de Porto Ercole en Toscane dans des circonstances non élucidées.
Paulo Quinto Pontifice Maximo


Quelle passion, quel feu intérieur brûle à la fois Michelangelo Merisi dit « le Caravage », et son créateur littéraire « Dominique Fernandez » pour que les deux puissent entrer en résonance au point de nous entraîner dans une course à l'abîme fascinante. La projection de l'auteur sur le peintre mêle leurs deux intimités, c'est impossible autrement de pouvoir donner autant d'épaisseur, de réalisme, au récit inspiré par les tableaux du Caravage d'autant plus que cet artiste n'a rien laissé derrière lui ou pas grand-chose si ce n'est son trésor artistique.

Michelangelo Merisi est né en Lombardie. On sait qu'il aime les garçons, qu'il a séjourné à Rome, Naples, Malte pour finir assassiné sur une plage. Il n'en fallait pas plus pour laisser l'imaginaire de Dominique Fernandez combler, avec aisance, ce vide et nous emporter dans un tourbillon d'une érudition folle, où suinte son amour de l'Italie, sa connaissance du Baroque italien et son militantisme mais surtout son génie. Cette manière de s'approprier les épisodes inconnus d'une existence pour en compléter la trame, on la retrouve avec le Tribunal d'Honneur sur Tchaïkovsky du même auteur. Académicien, à l'oeil averti, il sait nous parler du beau. Véritable esthète, il est un guide à nul autre pareil. Son écriture exprime le moindre détail et nourrit, ainsi, notre représentation de l'histoire. Elle est empathique, tout en arrondi, sans heurt malgré les évènements parfois rapportés, malgré des passages crus, elle est comme une eau de source qui s'écoule, claire, en dépit des remous du récit, elle nous emporte bien au-delà du tangible, là où elle veut nous raconter la Rome baroque et ses joyaux.

Michelangelo est un peintre encore inconnu lorsqu'il arrive à Rome. Il suscite l'intérêt du Cardinal Francesco Maria del Monte qui va devenir son plus important commanditaire. le Prélat décèle-t-il chez le Caravage les qualités recherchées pour révolutionner la peinture, apporter un nouveau souffle à cet art, d'autant plus que c'est la période de la Contre-Réforme, l'Eglise met tout en oeuvre pour lutter, rivaliser, effacer le protestantisme. Ce renouveau donne naissance au Baroque, mouvement de grande ampleur qui va permettre aux plus grands artistes italiens de l'époque d'exprimer tous leurs talents, leurs émotions, leurs approches de la réalité en jouant avec les contrastes de la lumière tel le « clair-obscur » qu'utilise le Caravage dans de telles proportions que nait le « ténébrisme ». Cette période est une véritable explosion artistique. Ce renouveau n'épargnera pas le domaine musical, allant jusqu'à modifier la conception du concert de musique.

Le Caravage, ce peintre rebelle, anticonformiste, ce tourmenté qui ne peut s'accorder trop longtemps le bonheur, ce génie provocateur joue avec le feu sachant que l'Inquisition le surveille de près mais il ruse et tient à son indépendance artistique. L'auteur nous créé des échanges entre les prélats, des débats scolastiques sur des points de symbolique chrétienne, relevés dans la peinture du Caravage, d'un réalisme à couper le souffle. On tremble à l'idée que soient découverts certains détails provocateurs voire païens !

Dominique Fernandez a observé qu'un même visage de garçon se retrouvait à plusieurs reprises dans la peinture du Caravagio. de cette observation, lui est venue l'idée géniale d'imaginer l'histoire qui pouvait relier ce garçon au Caravage. Il utilise les modèles pour alimenter la fiction. Chaque tableau devient prétexte à la création d'un récit à la fois instructif sur les comportements de l'époque mais aussi d'une inventivité dans laquelle, on s'immerge avec enthousiasme. Son italophilie nous immerge dans l'histoire de la Rome baroque, dans les méandres du pouvoir temporel du Vatican et de sa diplomatie. L'Italie est divisée entre le camp des Espagnols et celui des Français. Nous retrouvons les négociations qui ont abouti au mariage d'Henri IV et de Marie de Médicis.

Après une lecture d'une telle finesse, d'une telle densité, le regard se modifie, il devient impossible d'admirer les oeuvres du Caravage sans le filtre de Dominique Fernandez.

Que d'horreurs commises au nom de Dieu mais que de splendeurs réalisées à sa Gloire.
Si Dieu a inspiré son Requiem à Mozart, il a inspiré le Caravage à son corps défendant, lui qui s'est toujours comporté en peintre rebelle.

J'ai refermé ce livre avec des étoiles plein les yeux. Merci Xavier @Aquilon62 de m'avoir incité à lire ce livre sans tarder alors qu'il dormait sur mes étagères depuis quelques temps et ravie aussi de partager nos ressentis avec Bruno @Pancrace.

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Quelle richesse que ce livre ! On a tous les sens en éveil en découvrant la complexité de ce peintre.
Dominique Fernandez décrit avec une telle précision et le talent qu'on lui connait, les tableaux, les rues mais aussi les tourments du Caravage que l'on lit autant que l'on voit ou encore que l'on ressent.
Dire que j'ai appris est un euphémisme. Moi qui étais, je l'avoue hermétique aux tableaux du Caravage, je n'ai qu'une hâte maintenant c'est d'aller les admirer et je sais que j'en ressortirai bouleversée !
Dominique Fernandez nous aide à comprendre la subtilité des tableaux, à saisir certaines techniques comme le clair-obscur, à sentir l'atmosphère qui règne dans cette Rome du XVIIème.
La proximité avec internet est incontestablement un plus. Je n'ai cessai d'aller visualiser, les oeuvres mais aussi les rues, les places, les fontaines que nous dépeint D. Fernandez.
Je sais que les 800 pages « effraient » certains lecteurs, mais n'ayez aucune crainte, ce roman se lit très très vite et 200 pages de plus n'auraient pas été de trop !

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C'est le Caravage lui même qui nous raconte sa vie sous l'exellente plume et érudition de Dominique Fernandez.Il va s'expliquer sur son parcours et donner sens à la toute dernière scène de son existence: sa mise à mort.L'originalité de cette parole post mortem offre le recul constructif d'un regard analytique et matûre sur l'engrenage des événements, sur les raisons profondes qui ont motivé ses choix, son oeuvre, ses amours.
Si le faisceau lumineux est orienté sur la vie privée du peintre, la toile de fond historique est loin d'en être négligée.Les rouages politiques, les intrigues du Vatican, les obsessions du Saint Office, les luttes de pouvoir etc...sont dépeints avec autant de minutie et d'intelligence que les oeuvres picturales.
Nous découvrons un homme dont le conflit intérieur ne s'est jamais apaisé et qui lui est crûment affirmé par un Cardinal:"..je vais te dire ce qui cloche sous ton crâne.Ne m'en veuille pas de ma franchise.Tu voudrais occuper toutes les places:celle du Favori et celle du Maudit.Te sentir l'Elu et l'Exclu..."
Dualité et tourments qui sont le moteur de sa créativité et qui ne sont selon lui " que des moyens de compenser un manque originel , ce vide de père en moi...". Il n'a de quête que d'être reconnu,adulé mais se morfond lorsqu'il obtient cette approbation puisque pour lui l'Art ne peut éxister que dans la remise en question de la norme.Il veut rompre avec la beauté classique,choquer pour être rassuré sur l'esprit novateur de son art.Il n'existe que dans la passion et le danger.Le confort et la sécurité le mortifient,pas question de de se conformer à un modèle imposé.Cette vérité dans la création l'est aussi pour sa vie amoureuse "...le seul amour qui compte est celui qu'il faut mériter,qui est remis tous les jours en question,qui peut manquer d'un moment à l'autre..."
Jamais encore je n'ai lu de roman sur un peintre qui m'ait donné autant de clés de compréhension pour décrypter un tableau,sur la double lecture qui est parfois indispensable pour y accéder .Le plaisir qu'il y a à repérer les symboles, les messages cachés,les allusions destinées à certains à l'insu d'autres..Ce n'est pas un livre à ne lire qu'une fois car la 800ème page terminée, le désir d'une seconde lecture s'impose avec l'arrière pensée d'en extraire la substantifique moëlle afin d'aller ensuite contempler tous ces tableaux avec émotion,spontanéité mais aussi avec les codes pour en apprécier tous les aspects! Paraléllement à tous ces bonheurs que Dominique Fernandez offre au lecteur, s'ajoute celui de sa passion pour l'Italie qu'il nous fait partager par des promenades dans rome et Naples qui ravivent moult souvenirs pour qui a eu la chance de s'y ballader.On perçoit l'amoureux de l'Italie, l'amoureux de l'Art mais aussi l'amoureux de l'Amour...à chaque page de son roman.
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Dominique Fernandez a mis son imagination au service d'une biographie romancée de Michelangelo Merisi dit le Caravage ( 1571-1610) avec un tel réalisme et une prouesse de reconstitution historique qui permettent de dévorer ce gros pavé de 700 pages comme un livre d'aventures.

Aventurier, le Caravage l'était surement par le tempérament belliqueux, le gout des excès, des bagarres et des débauches qui ont accompagné sa vie d'artiste. Cette existence dissolue l'entrainera pour le pire et le meilleur sur les chemins de Rome, de la Sicile et de Naples, dans l'Italie du 17ème siècle.

L'auteur met vraiment ses pas dans les chausses du peintre, en écrivant à la première personne, lui donnant une réalité romanesque, imaginant son parcours d'apprentissage, les années de galère et de doutes avant de devenir la coqueluche des princes de l'église. Un portrait d'ange maudit s'autodétruisant avec application pour sans doute mieux sortir le meilleur de ses tripes.

J'ai dévoré ce livre bourré d'anecdotes, érudit picturalement, incitant à la découverte minutieuse des oeuvres évoquées pour mieux en apprécier le contexte de création et l'analyse. C'est un excellent livre de vulgarisation artistique, visuel, tonitruant. L'inventivité de l'auteur se mêle sans incohérente avec l'histoire du siècle et l'oeuvre du maître du clair-obscur.
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Faut il connaître la vie d'un artiste pour connaître son oeuvre ? Comme en peinture..il y a plusieurs écoles. Cela dépend-il du peintre ? cela dépend-il de son l'époque ? Comment comprendre les oeuvres de Caravage si on ignore leur contexte historique ? Comment comprendre le 17e siècle sans le Carvage ? Comment comprendre Rome ? La papauté ? Comment comprendre Raphaël, Michel-Ange, où placer Rubens ? Ceux qui l'ont précédé , ceux qui l'on suivi ?
De Milan, à Rome, de Malte en Sicile, pour son dernier regard en Toscane.
Roman de fiction, soit, roman à la gloire d'un génie.
A la fois maudit et reconnu, torturé et provocant. Michelangelo Merisi aimait la lumière naturelle. Il aimer sa flamme et s'amuser follement de ses feux.
Toujours au devant de la mort jusqu'à en perdre la vie.
Il était inventif, impulsif, amoureux. Il était étonnant, irritant et déroutant. La vérité des corps, la vérité des âmes, de leurs passions, des leurs extases, de leurs douleurs, de leurs damnations.
Le roman de Domminique Fernandez vos fera découvrir les mille et un mystère de l'oeuvre du Caravage. Garçon avec un panier de fruits , David et Goliath, Méduse, L'Amour victorieux, Saint Matthieu et l'Ange et de tant d'autres.
Chaque oeuvre a sa propre histoire, son sens, sa détermination, sa vérité, à la lumière des ses heures.
Brûlant, incandescent. Si il n'a pas inventé le clair obscur, puisque celui ci était connu depuis l'Antiquité, il s'en est rendu Maître et a changé l'histoire européenne de la peinture.
Brisant la tradition, le maniérisme, les demis teintes, les demi tons, chassant incandescence des fausses pudeurs, il a su toujours éviter le bûcher. Mais toujours de si peu...
Marqué à l'épaule au fer rouge d'une fleur de chardon, il n'aura jamais oublié, jamais pardonné.
Il a rusé, s'est échappé, caché, sachant réapparaître pour mieux incendier.
Personnage hors du commun, peintre exceptionnel.
Oui il faut connaître ou imaginer la vie d'un artiste pour connaître son oeuvre. Savoir s'interroger.
Marque moi de ton fer
entre l'oeil et la lèvre.
Dépose et force ta lettre d'or
Que l'odeur du vivre me revienne,
Et que rouge dans ma peau il soit écrit
enfin qui je suis.

Astrid Shriqui Garain

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En préparation de notre voyage en Toscane, Dominique Fernandez est encore la meilleure référence culturelle actuelle.

Biographie du Caravage.
L'Italie, 1600, Milan, Rome, Naples, La Valette, la Sicile …Rivalités entre les clans français et espagnols dans les Etats du Pape. Leçon d'histoire et de géographie, mais pas seulement. C'est surtout une leçon magistrale d'histoire de l'art et de lecture d'un tableau.
Le Caravage est un peintre que je ne connaissais que de nom. C'est donc une découverte. Découverte d'autant plus importante que la peinture du 17ème siècle me laissait indifférente. Alors que je me prépare à visiter les Offices je me suis passionnée par la description des tableaux. Importance des symboles dans la peinture religieuse, genèse d'un tableau, le peintre y place son imaginaire, ses amours, sa vision des personnages qui l'entourent. Les prêtres y lisent tout autre chose. Exégèse biblique de tous les détails. Symbolique des fruits, ceux qui indiquent le péché m'ont surprise : les cerises analogues des couilles, des fraises au contraire image positive de la vigne raisins noirs et raisins blancs. Analogie du Christ et de Dionysos …Détails sur l'éclairage, le clair obscur : typique du Caravage mais aussi commande en fonction de l'emplacement prévu du tableau dans l'église. L'auteur montre comment dès cette époque l'artiste sert de faire valoir à ses mécènes et joue un rôle politique de premier plan.
C'est aussi un roman d'amour, amours homosexuelles curieusement tolérées dans la société des cardinaux et des princes d'Eglise et en même temps flétries par l'Inquisition. le peintre marqué d'un chardon tatoué dans sa peau par l'Inquisition est poursuivi pour meurtre à Rome et provoque la vindicte du Grand Maître de l'Ordre de Malte en lui ravissant son favori. Malgré une certaine tolérance, le peintre provoque la tragédie et la met en scène. Analogie avec son personnage de Pasolini dans son roman que j'ai beaucoup aimé.


Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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Pour moi ce livre est à la fois un chef d'oeuvre, une madeleine de Proust, un livre qui quelle que soit la page où vous l'ouvrez, vous happe immédiatement,


Mais laissons la parole à Dominique Fernandez/Michelangelo Merisi
"Je n'ai jamais écrit sur mon art, ni laissé de théorie sur la peinture. Après cette déclaration, je n'ai plus retrouvé l'occasion de dire comment j'entends mon métier. Les juges, les confrères, amis ou ennemis, les chroniqueurs, les curieux, accourus nombreux au tribunal, furent stupéfaits de mon laconisme. A Rome, on aime les longues phrases, le jargon. Avant de commencer à peindre, on noircit des pages et des pages pour expliquer quelle est la meilleure manière de s'y prendre. Moi, je peins, en m'efforçant d'imiter bien les choses de la nature. Mon « art poétique » tient tout entier en ces quelques mots."

Toute la vie de Caravage tient sous la plume de Dominique Fernandez et sous cette phrase. Car en 600 pages c'est une vie qui défilé sous nos yeux grâce à la somptueuse écriture de l'auteur.

Constantino d'Orazio écrit en préambule de son livre Caravaggio Segreto (non traduit en français malheureusement) : "Toute la carrière de Caravaggio se résume en un seul objectif : conquérir l'immortalité"

Ironie du sort c'est un "Immortel" français qui nous offre très certainement le plus beau livre qui soit sur ce peintre. Soyons clair c'est sous l'angle de cette autobiographie imaginaire, que Dominique Fernandez déploie toute sa verve, son érudition, son italianisme devenue Italianité, pour tenter d'effleurer les ambiguïtés de l'enfant terrible de la peinture italienne. Pour un livre aussi beau qu'une toile. Magnifique.

Que sait-on de Caravage ? Très peu voire rien.
De sa date de naissance incertaine, à sa mort inexpliquée.
Longtemps on fixée sa naissance à l'année 1573. On s'accorde maintenant sur 1571. L'acte de baptême a disparu.
Même le lieu de naissance n'est pas sûr. Caravaggio ? C'était le village de sa famille, en Lombardie, où il a passé son enfance.
Mais il est possible qu'il soit né à Milan.
Ensuite, jusqu'à son arrivée à Rome, vers 1592, où a-t-il vécu ?
Qu'a-t-il fait ?
De treize à dix-sept ans, il est en apprentissage à Milan, chez le médiocre peintre Simone Peterzano. de dix-sept à vingt et un ans, on perd sa trace.
A-t-il voyagé ? Est-il allé à Venise ?
Dès son arrivée à Rome, il montre une maîtrise étonnante. 7
Sans avoir fréquenté aucun grand peintre, ni été élève d'une académie de renom, il peint des tableaux merveilleux, qui ne ressemblent à rien de ce qui a été fait avant.
Où a-t-il appris son métier ? On ne possède aucun dessin de lui, cas unique pour un peintre italien. Sans doute ne savait-il pas dessiner. Il appliquait directement les couleurs sur la toile, en partant du fond et en la remplissant peu à peu de personnages.
Quant à sa vie privée, elle est encore plus mystérieuse. Il n'a rien écrit, n'a laissé aucun journal, aucune lettre, aucun document de quelque sorte que ce soit. Sa peinture révèle un tempérament passionné, mais on n'a aucune certitude sur l'identité ni même sur le sexe des personnes qu'il a aimées. La pruderie habituelle aux historiens de l'art a longtemps brouillé les cartes.
Jusqu'à ce nom, Merisi, qu'il changera :
"Et d'abord : quitter ce nom de Merisi, qui était le nom de mon père, de mon grand-père, de mon arrière-grand-père, de tous ceux dont je résultais et qui formaient depuis Adam une chaîne ininterrompue. Briser cette chaîne. Renoncer à cette estampille. Refuser de m'appeler d'un nom qui avait servi à tant d'autres. En prendre un qui ne serait qu'à moi.
Je passais en revue les divers pseudonymes adoptés par les peintres. le métier de leur père, qu'ils avaient eux-mêmes exercé dans leur jeunesse, les avait souvent inspirés. Andrea del Sarto, fils et apprenti du Tailleur. Tintoretto, fils du Teinturier et petit teinturier. Pollaiolo, qui s'appelait Benci, avait choisi ce sobriquet parce que son père faisait commerce de poulets. D'autres s'étaient contentés de rallonger leur prénom : faisant de Donato Donatello, de Giorgio Giorgione, de Tommaso Masolino. Sa spécialité avait fourni son surnom à Fra Angelico, ses moeurs à Sodoma (quel mauvais goût, tout de même!), son lieu d'origine à Veronese, à Léonard de Vinci, à Perugino. Tiens ! Pourquoi pas Caravaggio Il me passa bien par la tête que c'était une autre façon de m'ancrer dans le passé, que de porter le nom de mon village natal, mais j'écartai l'objection.
Caravaggio, ces quatre syllabes me plaisaient. Longueur d'un bon coup d'épée. le mot rimait avec selvaggio, avec malvagio. Il avait je ne sais quel air de fierté et d'audace. Flottait comme un étendard. Claquait comme une gifle. Caravaggio. le double g, qui sonne comme une charge."

Alors il reste les tableaux, voilà la seule source sûre pour nous guider dans notre enquête. Nous disposons souvent des contrats, documents précieux qui nous renseignent sur le sujet commandé, le nom du commanditaire, la somme payée, l'évolution de la cote du peintre. Mais les seuls vrais témoignages dont nous disposons ce sont ces tableaux, et il suffit de les regarder, de les lire, de les déchiffrer, pour surprendre des secrets que ne nous révéleront jamais les archives.

A La Valette, La « Décollation de Saint Jean-Baptiste », réalisée in situ est une oeuvre monumentale (361 × 520 cm) est l'unique peinture signée par le Caravage, voici les mots magnifiques de l'auteur sur cet acte inhabituel, anodin mais chargé peut-être de sens, car avec Caravage ne semble laissé au hasard :
"Le tableau destiné à l'oratoire était presque fini. Pour la raison que j'ai exposée lorsque j'ai adopté un pseudonyme, je n'avais jamais signé aucun de mes ouvrages. L'envie, que dis-je? le besoin me prit soudain d'apposer ma signature sur celui-ci, et d'en faire un élément du tableau. Pourquoi rompre avec mes habitudes et faire parade de ce que j'avais décidé de garder toujours caché? Parce que, dans mon esprit, je dédiais cette toile à mon père, à la mémoire de mon père traîtreusement assassiné. C'était mon premier acte direct d'allégeance à mon père, et je devais l'assumer pleinement. Il ne s'agissait pas de moi mais de lui. Quel nom choisir ? Merisi ? Caravaggio ? Non : nul autre nom que mon simple prénom, Michelangelo, que j'avais reçu de mon père, quand il m'avait tenu sur les fonts baptismaux. Ce geste d'amour qu'il m'avait témoigné ce jour-là, je le lui rendais, en quelque sorte, en dessinant pour lui ces cinq syllabes, le don le plus personnel qu'il m'eût jamais fait, et le seul que je gardais de lui. Ton fils, père, se souvient. Il ne t'a pas oublié, ton enfant.
Où poser cette signature ? Au bas, bien entendu : dans le coin droit, sous la fenêtre, près de la corde dont le bout traînait par terre, là où se trouvait un espace libre. J'hésitais encore, lorsque mon regard fut attiré vers le sang qui jaillissait du cou de saint Jean. le sang : seul sujet de mon tableau, le sang, qui serait aussi l'encre dans laquelle j'écrirais mon nom.
Et tout à coup, pendant que je traçais en lettres rouges dans le prolongement du flot de sang : Michelangelo, un autre sens de mon geste m'apparut. Signer dans le sang du Baptiste, c'était m'identifier complètement à la victime. Pour une fois où je me mettais en avant, je ne me présentais que sanglant. Me voici, à la première personne, mais la tête détachée du corps. le moi que j'affiche est un moi décapité. Ne m'accusez pas de vanité : ce peintre qui attire sur lui l'attention n'est déjà plus de ce monde. le double sépulcral de celui que j'ai été reste seul à parader en mon nom. Autoportrait, mais d'outre-tombe. le front blanc, l'oeil éteint, la bouche entrouverte appartiennent au cadavre de feu Michelangelo.
Pour souligner cette intention, je rajoutai, devant Michelangelo, un F. le F de feu, « il fut », le sceau de la mort sur le prénom que m'avait donné mon père.
Alessandro, épouvanté, me supplia d'effacer mon nom. Il craignait l'impression fâcheuse que ne pourrait manquer de faire sur son maître la vue de ces lettres ensanglantées. « On dirait que c'est vous qui avez commis le crime ! »
Alof de Wignacourt approuva au contraire ce qu'il appela un témoignage éclatant de ma solidarité avec les Frères au nombre desquels je venais d'être admis. Il ne comprit pas le sens de ce F. Pour lui, c'était l'abréviation de Frate. En signant Frate Michelangelo, je réaffirmais mon engagement dans l'Ordre, et, en trempant cette signature dans le sang, je promettais à nouveau de défendre l'Eglise sans jamais demander quartier ni économiser ma peine ni chercher à préserver ma vie."

Il est troublant de comparer et de penser que le peintre de Narcisse et de la Tête de Méduse, soit le même, soit celui qui a réfléchi aussi radicalement à l'essence morbide de la ressemblance – à ce qui tue au fond du regard – ait ainsi perdu la possibilité de se reconnaître.
Dans la Chapelle Contarelli à Rome, lorsqu'un touriste bien avisé glisse une pièce pour enclencher l'éclairage, c'est un triptyque où les tableaux se répondent qui s'offre à notre regard, paradoxe de la lumière artificielle pour nous révéler le clair-obscur.

Avec Dominique Fernandez comme guide on, assiste à la naissance du peintre, à l'ascension vers la renommée, à sa fureur devant l'imposture de sa gloire et à sa chute, qui se veut inévitable. La relation des aventures et revers de fortune de l'artiste s'ouvre en effet sur sa fin brutale et inexpliquée, comme si, pour respecter le silence de celui qui, de son vivant, n'a jamais ni théorisé son oeuvre ni commenté sa vie, l'auteur n'avait voulu donner la parole au peintre que par le truchement d'une biographie romancée à la première personne. le silence de l'un devient le pari de l'autre.

Pari réussi puisque, à travers son commentaire des tableaux ou les rouages de leur création, l'auteur invente une vie qui n'a pour pour unique ancrage que l'oeuvre. Et comme pour rendre un dernier hommage à celui qui innova en prenant pour modèle l'homme en lui-même et non plus sa représentation statique et antique, l'auteur fait revivre les toiles du peintre en les inscrivant à l'intérieur d'une histoire autre que celle, figée, de l'art. L'oeuvre du Caravage devient, sous la plume de l'auteur, une histoire personnelle.

L'oeuvre se mêle ici au corps, avec sa part d'ombre et de lumière, ses failles et défaillances, ses plaisirs et ses excès. Les tableaux créés, le contraste des couleurs choisies, la cruauté des scènes deviennent le prolongement du désir qui habite et tourmente l'homme. Fernandez nous trace le portrait d'un peintre déchiré entre la gloire et le bruit que tour à tour son oeuvre attire et attise, entre la nécessité d'un quotidien réconfortant qui lui permet de réaliser son oeuvre et l'appel de la chair qui seul parvient à catalyser sa force créatrice.

Ses contrastes d'ombres et de lumière, jetés à la face des hommes, bouleversent dans leur vérité immédiate, sans tricherie, nue. En vérité, ce sont nos ombres, ce sont les reflets de nos vies, exposés à la lumière d'un esprit tourmenté, un rebelle, dirions-nous aujourd'hui, qui aspirait à une sorte d'élévation. Somme toute son génie est dans son oeuvre, non dans ses turpitudes.

Notre regard sur son tempérament porté à la cruauté, à la colère s'atténue en face de cette oeuvre protéiforme. Ses contrastes d'ombres et de lumière, jetés à la face des hommes, bouleversent dans leur vérité immédiate, sans tricherie, nue. En vérité, ce sont nos ombres, ce sont les reflets de nos vies, exposés à la lumière d'un esprit tourmenté, un rebelle, dirions-nous aujourd'hui, qui aspirait à une sorte d'élévation. Somme toute son génie est dans son oeuvre, non dans ses turpitudes.

C'est désormais à travers sa peinture qu'il faut voir la grandeur de l'homme, son profond humanisme, sa religiosité : la passion de toute une vie. C'est une grande oeuvre de liberté. Une part significative de sa vie est entachée d'ombre. Malgré tout, il a su trouver sa voie dans l'insubordination, hors de l'art officiel, des sentiers battus, des règles imposées. Il nous lègue des sources vives où nous pourrions puiser de nouvelles lumières sans nous égarer sur les chemins du jour. La clarté de l'être, la profondeur de l'homme, la lumière et la beauté de ses oeuvres sont là, profondes, troublantes, parfois sereines. Elles s'imposent sur nos chemins de connaissance. le silence puis l'oubli qui ont recouvert la disparition prématurée du peintre ainsi que la redécouverte tardive de sa peinture, deux siècles plus tard, c'est l'une des ressources cachées des dieux. Qui en décrypte le sens véritable se rapproche, à coup sûr, du noyau germinal de la Création.

Et pour terminer, sur cette immortalité que je mentionne en début de critique je me permets de citer la dernière page du dernier manuscrit de Jean d'Ormesson, autre "Immortel".
« Une beauté pour toujours. Tout passe, tout finit, tout disparait. Et moi qui m'imaginais devoir vivre toujours, qu'est-ce que je deviens ? Il n'est pas impossible… mais que je sois passé sur et dans ce monde où vous avez vécu, est une vérité et une beauté pour toujours et la mort elle-même ne peut rien contre moi.»
Une phrase qui pourrait résumer également l'oeuvre de Caravage....
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Michelangelo Merisi, né à Milan en 1571, est un immense artiste, tellement expressif et au destin épique. Un véritable roman pour ce peintre magnifique du clair-obscur. Il surprend, déroute, séduit, fascine plus de quatre siècles après sa mort, en 1610, entourée de circonstances étranges. Une vie emplie de fureur, de bruit et de violence, une vie de mauvais garçon aux moeurs troubles, qui ne pouvait s'achever que dans l'ombre du mystère. Une mort, tragiquement prémonitoire de celle du poète italien Pier Paolo Pasolini sur la plage d'Ostie en 1975 (bien qu'aujourd'hui, on pense que Caravage est mort dans un lit d'hôpital). Bref, il n'est rien d'étonnant à ce que Dominique Fernandez s'empare de sa biographie pour en faire un roman rythmé, passionnant de bout en bout, jusqu'au dénouement, jusqu'à la suffocation finale. Sincèrement, les oeuvres elles-mêmes suffiraient à éblouir n'importe quel amateur de peinture et il semble étonnant que personne n'ait pensé auparavant à transformer le Caravage en héros de fiction.
Après une enfance passée à Caravaggio, à l'âge de treize ans, il entre dans l'atelier de Simone Peterzano. A vingt ans, il arrive à Rome où il reçoit la protection du Cardinal del Monte, une des personnes les plus cultivées de la ville. A partir de cette date, il est baptisé « il Caravaggio » (un autre Michelangelo avait déjà laissé son empreinte – et quelle empreinte – en art). Mais surtout il va élaborer une peinture en réaction au maniérisme de la fin du XVIe siècle, une peinture non académique, moins théorique, plus sensuelle, plus naturaliste. Mais cette révolution se fait en gardant certains aspects du maniérisme : la tension de la ligne et les contours nets et précis. D'autre part, il va chercher ses modèles dans la rue (des adolescents, des femmes du peuple) ; il introduit une nouvelle gamme de tons gris qui valorisent la force du sujet ; il théâtralise fortement par des jeux d'ombre et de lumière des sujets souvent dramatiques. Bref, il initie un nouveau langage pictural. Ainsi, le Caravage est souvent considéré comme étant l'auteur de la première nature morte, tant il donne une présence aux objets quotidiens, véritables sujets de la toile, aux côtés des enfants de la rue. Ce qui m'amène à me poser la question suivante : un tableau comme « L'Amour victorieux » avec son nu frontal serait-il encore possible aujourd'hui sans encourir les foudres des associations protectrices de la famille ?
Oui, Saint Mathieu est un vieillard, aux mains calleuses et aux pieds crasseux. Oui, Marie-Madeleine est une femme pâlichonne aux cheveux sales. Et les scènes sacrées acquièrent une dimension profane. le Repos de la Sainte Famille devient le moment de pause de n'importe quelle famille. Et le cadavre de la Vierge présente toutes les caractéristiques d'un corps ayant longuement séjourné dans les eaux du fleuve. La face obscure de l'homme est omniprésente, chez les aristocrates, chez les religieux comme dans le peuple. La violence est partout. La solitude également.
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L'histoire romancée du Caravage, la description libre de l'art pictural de l'inventeur du clair-obscur, l'histoire d'un homme sans qu'on sache ce qui de l'Histoire ou du Roman l'emporte, donnent à cet ouvrage une force étonnante. L'artiste, l'artiste maudit, l'éternel insatisfait, le perfectionniste, qui présuppose son destin ou agit pour rendre sa vie conforme à cette condamnation, tout au long de ces pages nous accompagne dans ce qui ressemble à une épopée.
Après lecture, voir et mieux connaître Caravage semblent une nécessité. L'écriture est belle mais pas particulière, ni puissante. Aux détours de quelques phrases on mesure simplement que chercher à être ce que l'on voudrait être n'est pas chose aisée. Ce roman est aussi une belle description de la Rome de la fin de la renaissance, du rôle de l'Eglise et d'une belle description des moeurs de l'époque.
C'est surtout un personnage, il signore Merisi, dit Caravaggio, empreint d'absolu, un vrai personnage de roman dont on ne sait finalement pas ce qui relève de la légende ou de l'Histoire.
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C'est le fait d'avoir vu le film (Le Caravage de Michele Placido de 2022) qui m'a donné l'envie d'approfondir le Caravage. Et comme je connaissais Dominique Fernandez, j'ai sauté sur ce livre.
C'est d'une érudition folle. On apprend énormément et sur l'histoire du XVII° Siècle, et sur la peinture.
Dominique Fernandez s'est mis dans le costume du Caravage, je dirais même dans sa peau, dans ses désirs, dans ses stupres. Il connait bien son sujet et peut aisément en parler à la première personne. Il postule que le génie du Caravage serait irrigué par son amour des beaux garçons qui lui servaient de modèle, la sensualité et l'érotisme des tableaux en étant la preuve.
Caravage dit : Caravage je suis. Tous ceux qui sont passés avant moi sont mièvres et fadasses, je peins la réalité même la plus sordide, foin des voiles et des auréoles, à bas l'air énamouré, je peins la crasse, la sueur et le désir.
Et c'est vrai quand on voit les tableaux sous cet angle, on a les yeux qui se décillent. Et magie de notre époque, on peut lire Fernandez d'une main et décrypter le tableau de l'autre. Fernandez a le talent et l'immense savoir de nous faire voir les prédécesseurs, les Titien, les Raphaël, et même les Michel Ange, sous le regard du Caravage. Il y a bien eu un avant et un après Caravage.
La grande culture de Fernandez ne se cantonne pas à la peinture. Il nous promène de Milan à Rome, de Rome à Naples, de Malte à Syracuse, enfin Messine. Ce XVII° siècle en Italie ne m'avait jamais autant parlé (par exemple je n'avais jamais fait le rapprochement entre Henri IV et Caravage, et pourtant c'est bien au moment du mariage d'Henri avec Marie de Médicis qu'il peint ses Mathieu à la chapelle Contarelli. Ironie de l'histoire, ils sont morts la même année) Je n'avais jamais non plus imaginé qu'il était contemporain de Rubens, ils sont si différents.
Quelle jubilation, quelle jouissance, d'entrer dans l'intimité de tous ces personnages, copains comme coquins, quelle sensation d'intelligence en refermant ce livre. le mystère reste entier au sujet de sa mort (on pense à Pasolini sur la plage d'Ostie), de sa vie aussi, mais maintenant, ses tableaux, on les a dans le coeur.
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