L'Étranger d'
Albert Camus est une oeuvre concise et puissante qui continue de résonner en moi longtemps après sa lecture. L'adapter en roman graphique était une gageure, sans doute parce que les mots de Camus ont une force suggestive incroyable et qu'y poser des images pourrait dénaturer l'intention du texte.
Camus appartient à mon panthéon littéraire. Aussi je suis allé sur la pointe des pieds vers cette adaptation...
Autant vous avouer tout de suite que j'ai été subjugué par la réalisation de
Jacques Ferrandez qui rend ici un magnifique hommage autant à l'écrivain qu'à l'une de ses
oeuvres emblématiques.
Les dialogues et la voix-off respectent le texte tandis que les dessins traduisent l'intensité du propos.
La dimension solaire chère à Camus courent sur les pages, c'est la lumière accablante de Marengo ou d'Alger, c'est l'amour de Marie Cardona, la sensualité de ses gestes, la plage, le soleil ardent qui pèse sur un après-midi ordinaire, son reflet tranchant sur la lame blanche d'un couteau...
Le narrateur, Meursault, a un visage, des gestes, côtoie d'autres personnages qu'on reconnaît aussitôt, mais il continue pas moins à tenir à distance sa vie, à lui être étranger comme s'il était indifférent à tout et c'est magnifiquement rendu. le regard des autres aussi, leur jugements, le condamnant par avance, le procès, l'attente après...
On pourrait même trouver à Meursault une ressemblance avec la beauté fulgurante et révoltée de
James Dean, tout droit sorti d'À l'est d'Éden...
La vie est là, se faufilant parmi les tranches du récit, ordinaire et nonchalante, elle passe comme un film que l'on revoit, des scènes quotidiennes de la rue se succèdent, Meursault les traverse, fragile et rebelle.
Tiens, à propos de film, l'extrait du film que sont allés voir au cinéma Meursault et sa fiancée, le Schpountz, est un pur bonheur, permettant de visionner un Fernandel criant d'authenticité, récitant un article du code civil, « Tout condamné à mort aura la tête tranchée », jouant sur les sentiments les plus divers que cette phrase inspire au personnage. Un régal !
C'est un mélange de clair-obscur subtilement dosé, où parfois le texte s'esquive, vient alors la force saisissante des images dans cette machination implacable, kafkaïenne qui avance vers le dénouement. Ici la force magistrale de l'album ne trahit en rien l'oscillation entre réalité et hallucination, rêve et cauchemar, continuant d'instiller dans l'esprit du lecteur cette dose de doute qui brouille les pistes comme dans le récit original.
Le rendu final est impressionnant.