Suites algériennes 1962-2019, tome 2

Voilà ! 300 pages qui s'ajoutent aux 360 précédentes sur l'Algérie moderne et contemporaine. Je suis toujours sous le charme, conscient de lire l'oeuvre d'une vie née au-delà de la méditerranée. Kamel Daoud préface cette seconde partie des Suites algériennes. J'ai connu l'écrivain et journaliste franco-algérien en lisant sa prise de parole conjointe avec Delphine Horvilleur sur le conflit palestino-israélien. Les deux tenaient des propos poignants, sincères, animés d'une volonté commune d'apaisement.
"L'histoire récente de l'Algérie est une histoire réelle, inspirée de faits de plus en plus imaginaires", dit-il en exergue d'un volume à la trame très tendue, avec prise d'otage, agents secrets et nuages mémoriels.
En mêlant réalité et fiction, Jacques Ferrandez ose la carte grand public. Son travail de longue haleine, d'une qualité constante, réunit cependant peu de lecteurs. Peut-être les Français veulent-ils tourner définitivement la page sur un passé violent.
Moi, le Belge ( pas petit), j'ai tourné les pages avec délices, probablement en souvenir d'un voyage de noces mémorable au pays de la casbah en 1978. Là s'est créé un lien ténu qui me fait dresser l'oreille lorsque ce pays à la fois magnifique et hostile apparaît dans l'actualité.

Et si Jacques Ferrandez nous livrait avec ce volume la fin... de ses Suites ? L'actualité de l'Algérie nous le dira. Avec on l'espère plus de concorde, de paix et de démocratie à venir qu'au coeur des années couvertes ici, avec la sombre décennie 1990.
Le journaliste-écrivain en quête d'une femme et de l'âme de son pays va trouver dans cette seconde - et donc dernière - partie de lourds secrets, certains confiés à son père. Relations filiales et amoureuses tissent la toile affective de l'oeuvre et s'opposent à celles nées de la politique et de la guerre, froides et rationnelles. On peut se brûler aux deux il est vrai...
Grâce à une exposition des personnages parfaite, ni trop ni pas assez, on peut lire cet album sans avoir lu ou relu les précédents. Vivre la quête du héros et les événements qui marquent l'Algérie au rythme de ses découvertes et des révélations qui lui sont faites. Ce point de vue et la densité des caractères rendent la chronologie subjective vivante et claire. La lecture fluide est aussi haletante, tirée par L Histoire - avec un grand H - ses secrets et ceux des personnages principaux.
Le dessin est celui qui convient à un récit de fiction traité et nourri comme un documentaire caméra-carnet et crayon à la main. Authentique et vivant. Amoureux et curieux.

Seconde partie (la première est ici) qui construite comme la première, parle de l'Algérie depuis l'indépendance à travers des hommes et des femmes qui y vivent ou y ont vécu. Tous se connaissent plus ou moins ou se sont croisés, pas toujours pour le meilleur. Paul-Yanis, journaliste franco-algérien retourne donc à Alger pour retrouver Nour mais aussi pour tenter de comprendre comment le pays se retrouve en guerre civile depuis que le FIS a gagné les élections avant que celles-ci soient invalidées par le gouvernement.

Comme dans les autres albums de Jacques Ferrandez, l'histoire est compliquée, mais bien expliquée sans que l'auteur ne prenne parti. Il est un témoin neutre qui raconte. Il narre la violence du pays, bien avant la colonisation par les Français, puis l'alliance des Algériens contre l'occupant et la séparation dès les accords d'Évian signés. Les tensions qui suivent entre les partisans de Houari Boumedienne et ceux de Ahmed Ben Bella, entre les Algériens et les Berbères... Ses personnages fictifs évoluent dans L Histoire, ils en sont des acteurs, des témoins, des victimes et chacun d'eux apporte sa connaissance des faits.

Son diptyque se finit avec le Hirak de 2019 : ces manifestations hebdomadaires contre le pouvoir en place et notamment la nouvelle candidature d'Abdelaziz Bouteflika à la présidence. Les liens entre la France et l'Algérie sont tendus et réels et Jacques Ferrandez témoigne de son amour pour les deux pays et pour leurs habitants, et, comme à chaque fois, c'est instructif, brillamment et clairement expliqué.
Lien : http://www.lyvres.fr/

On retrouve les personnages rencontrés lors du cycle précédent (Octave, Samia, Sauveur) mais ici l'un des héros est l'enfant de Samia et Octave, Paul Yanis, élevé en France et venu en Algérie pour un reportage. On y suit le journaliste jeune homme avec sa rencontre avec Nour, féministe et activiste à la fin des années 70, son interview avortée avec Boumediene. Obligé de fuir l'Algérie suite à cette opération, Paul-Yanis reviendra périodiquement en Algérie à des moments clés de son histoire et de celle de ce pays.
On y découvre les parcours complexes de Said, jeune berger harki, pris dans les événements, celui de Bouzid, soldat et prêt à tout pour satisfaire ses ambitions, et la famille de Paul Yanis malgré son retour en France, qui ne cesse de penser à leur vie d'avant.
Truffés d'informations historiques sur la situation politique de l'Algérie, presque trop au détriment de la narration, Ferrandez reprend ses personnages et poursuit leur histoire sous forme de saynètes centrés sur un de ses personnages. C'est un peu moins fluide ,cela demande un peu plus d'attention sur sur les tomes précédents mais cela reste passionnant!
A lire.