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Personne ne parle d'amitié comme Elena Ferrante.

Personne, comme elle, en trois volumes de plus de 500 pages chacun – le quatrième pour moi reste à découvrir- ne sait en épouser les méandres, en scruter les abysses, en éclairer les ambiguïtés, sans lasser, sans se répéter, sans tricher surtout.

L'amitié de Lila et Lenù, petites gamines du « rione » napolitain - ce « Quartier » populaire de Naples, ce microcosme, ce bouillon de culture, plein de vie, de rivalités, de haine, de violence et de tendresse- cette amitié-là, c'est tout sauf une amitié tranquille, une belle rencontre philosophique à la Montaigne.

« Parce que c'était lui, parce que c'était moi », disait Montaigne de la Boétie, son ami d'élection, et Brassens confrontait à ces « amis de luxe » ses « copains d'abord », des potes à toute épreuve, à la vie à la mort, et tout uniment , tout sincèrement amis. Entre les amis de luxe et les copains de Brassens pourtant, il y a la même clarté. Pas une feuille de papier à cigarettes entre eux. Pas l'ombre d'un doute. Pas la plus petite réserve. Confiance absolue.

L'amitié de Lila et Lénù, c'est un torrent, violent, qui disparaît parfois pour se cacher dans des grottes, on le croit perdu, il réaffleure, bouleverse tout, manque de tout noyer, puis il s'assèche. L'aurait-on rêvé ? A-t-il jamais existé ? Etait-ce un leurre, un fantasme ? Non, le revoilà, presque tranquille, on peut se voir dedans, c'est un miroir…jusqu'à ce que l'image réfléchie, encore une fois, se brouille, toute sombre, pleine de vase, agitée d'herbes enchevêtrées…

Voilà exactement par où passent les sentiments des deux amies – et les nôtres. Jamais de repos, jamais de certitude, si ce n'est celle d'un lien fort, excessif, troublant, parfois porteur, parfois mortifère, toujours en mouvement.

ATTENTION SPOIL [Lila et Lenù sont femmes : Lila a quitté son mari, Stefano, puis son amant, le beau Nino Sarratore sur qui a, depuis toujours, fantasmé Lenù. Son heure de gloire semble passée ; pauvre, amaigrie, agitée d'une étrange fièvre, elle travaille comme ouvrière dans une usine de charcuterie, veillée par Enzo qui la protège des autres et d'elle-même, et l'aide à élever son fils, Gennaro. Tous deux, après le travail d'usine, tentent de se former aux nouvelles machines IBM qu'on dit prometteuses d'avenir.

Lenù qui a choisi la voie studieuse, semble mieux partie : elle a publié un premier livre qui a eu du succès, a brillamment terminé ses études, fait bientôt un mariage bourgeois avec un jeune universitaire promis à un bel avenir, change de famille, de ville, de milieu. ]

Storia di chi fugge e di chi resta. Histoire de celle qui fuit, et de celle qui reste.

Mais là aussi, comme en amitié, rien n'est simple, rien n'est figé, tout est précaire.

Surtout quand l'Histoire s'en mêle.

Ce ne sont plus les trente glorieuses, mais les années de plomb : l'Italie rentre dans une sphère d'agitation politique violente. Les forces traditionnelles –le PCI d'un côté et la démocratie chrétienne de l'autre- sont, après trop de collusions et de compromis, fortement remises en question par les extrêmes : Noirs et Rouges s'affrontent dans les rues, aux portes des usines et des universités.

Les fascistes soutenu par la Maffia – la Camorra du « rione » est particulièrement virulente, incarnée dans le livre par le clan tout- puissant des Solara – et les « gauchistes » de Lotta continuà ou des Brigate Rosse auxquels se rallient communistes déçus, comme Pasquale, et intellectuels petits-bourgeois en mal d'action , comme Nadia, sèment le désordre dans les plans de carrière bien huilés, dans les institutions qu'on croyait inébranlables, dans les consciences de classe, dans les rapports entre hommes et femmes… et sèment aussi leurs morts.

Le « rione » n'est pas l'endroit où les règlements de compte sont les moins sanglants. Bruno,le patron d'usine, Gino, le fils du pharmacien, même la vieille reine du clan Solara, tous sont frappés. Pasquale et Nadia ont changé de discours et de méthodes..

Il va sans dire que nos deux amies subissent elles aussi les coups de boutoir de cette espèce de guerre civile : Lina devient une femme de pouvoir- maîtresse d'une science toute neuve qui fera bientôt des ordinateurs les rois de toute gestion industrielle et financière, et reine de coeur du plus redoutable aigrefin du Quartier. Lenù, l'intellectuelle, la prudente, perd peu à peu tout contrôle sur sa vie : ses maternités non désirées, et une passion trop longtemps refoulée qui refait brusquement irruption dans sa vie semblent devoir ébranler l'édifice de sa notabilité familiale et sociale qu'elle croyait stable.

Mais la navette qui tisse un va-et-vient entre ces vies particulières et l'histoire politique et sociale de l'Italie est celle de l'amitié : toujours interrogée, parfois réduite à un simple fil ...de téléphone, parfois transformée en un vrai câble pour sauvetage en pleine tempête - l'amitié tient ensemble en même temps qu'elle découd les pièces de ce puzzle.

C'est une amitié inquiète, qui pose mille questions, joue avec les points de vue, ne donne aucune réponse satisfaisante.

SPOIL BIS [Qui sauve qui? Lenù croit aider Lina mais ne fait-elle pas plutôt étalage d'un entregent social tout neuf, après son « beau mariage" ? Lila est-elle de bon conseil ou jette-t-elle un sort funeste à son amie, la vouant à n' être que son ombre, son éternelle seconde ? Lila est-elle une rebelle sans cause ou une ambitieuse sans scrupule ? Lenù est-elle une douce et sage femme d'intérieur et une intellectuelle d'occasion ? Ou une brillante écrivaine prise au piège des conformismes et du machisme ambiants ? Une fieffée égoïste ou une pionnière de la femme nouvelle ? ]

Ce qui rend ce roman si passionnant – et singulièrement ce troisième volume, lu en VO tant était grande mon impatience et impossible l'attente de sa traduction- c'est justement ce mélange entre saga et essai, entre roman d'initiation et réflexion sur l'amitié, entre l'histoire de deux amies et une étude de femmes : la femme dans le couple, le sexe, la maternité, la vie professionnelle, la vie familiale et sociale..


Sans concession, sans chichis, sans faux-semblants ni effets de style mais avec une rigueur, une intransigeance et une authenticité sidérantes, Elena Ferrante vient encore une fois de porter un grand coup.

Pour moi Ferrante c'est une sorte De Beauvoir pas du tout "rangée", qui aurait oublié qu'elle a été la compagne de Sartre et qu'elle a fait Normale Sup' - et qui, surtout, saurait nous intéresser sans nous ennuyer- pardon, Simone !

Un livre formidable, à lire très vite, dès qu'il sera traduit, bien sûr, ce qui ne saurait tarder. ..mais je vous ai traduit (vaille que vaille) nombre de citations pour vous mettre l'eau à la bouche…
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Fin des années 60. Elena, forte du succès de son livre, écume les librairies et les conférences, le plus souvent épaulée par Adele, la mère de son fiancé et certainement futur mari, Pietro, un homme intelligent, cultivé et bienveillant. Alors qu'un journaliste critique ouvertement son roman, un homme dans l'assemblée se lève et prend la défense d'Elena. La jeune femme est étonnée de se trouver face à Nino, son amour de jeunesse avec qui Lila a eu une liaison. Une rencontre qui bouleversera la jeune femme promise à un avenir bourgeois et réconfortant...
Lila, elle, a quitté Stefano et vit désormais avec son fils, Gennaro, et Enzo. Elle travaille dorénavant à l'usine de salaisons. Mais les conditions de travail sont pénibles, le patron et certains employés ont la main baladeuse. La jeune femme s'intéresse de plus en plus au contexte social...

L'on retrouve avec plaisir Elena et Lila, bientôt la trentaine, dans l'Italie de la fin des années 60. Période ô combien trouble et agitée politiquement et socialement qui subit des attentats, des actions révolutionnaires et féministes. C'est dans ce contexte que les deux femmes, dont l'amitié sera plus que jamais soumise à rudes épreuves, tentent chacune de leur côté de s'en sortir. Elena dans son mariage bourgeois qui ne la satisfait pas complètement, Lila militante pour le droit des femmes et des ouvriers. Dans ce troisième volet, les deux amies ne se voient que sporadiquement et entretiennent des relations à la fois bienfaitrices et destructrices. Une amitié complexe et rare dans laquelle les deux femmes sont tiraillées de part et d'autre. Elena Ferrante décrit avec précision tous ces sentiments (jalousie, amour, amitié, désir, cruauté, vengeance... ) mais aussi avec force cette Italie tourmentée. Une écriture passionnante, dense et authentique. Un roman captivant et fascinant...
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Troisième volet, et ça fonctionne toujours…

J'avoue, j'appartiens à la communauté qui s'est créée de livre en livre autour de cette saga, les deux premiers lus coup sur coup récemment, j'ai pisté et attendu la sortie du troisième la semaine dernière, bref : pas beaucoup d'objectivité à attendre de ma part. Je suis mordue.

Il y a bien eu en commençant ma lecture une petite réserve sur le rythme un peu lent du démarrage, et une légère lassitude à voir la narratrice Lénu se complaire encore dans un auto dénigrement vis-à-vis de Lila.
Mais la fluidité du récit, l'authenticité désarmante de ces deux vies racontées ont vite pris le dessus et les questionnements sans fin de Lénu prennent sens dans le déroulement complexe et inattendu des vies de ces deux amies/ ennemies devenues femmes, issues du même monde populaire et violent des quartiers populaires napolitains.

Ce qui m'a particulièrement touchée dans ce volet consacré à ces deux femmes trentenaires - âge du flamboiement dont elles perçoivent déjà la lente extinction à venir - outre que la réussite de ‘'celle qui fuit'' n'est pas plus une évidence que l'échec de « celle qui reste » (ce à quoi on s'attendait), c'est la manière dont Elena Ferrante inscrit, à distance mais en symbiose forte avec l'époque, l'évolution de ces deux protagonistes dans les courants politiques violents qui agitent l'Italie des années 70, tout en restant toujours profondément attachée à leur quotidien, à la féminité de ce quotidien.

Cette saga napolitaine lumineuse et addictive est un bonheur de lecture dont je ne me lasse pas.

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Pas de surprise pour ce troisième épisode de la saga napolitaine. Nos deux adolescentes, sont devenues des jeunes femmes, qui tentent tant bien que mal de tenir les rênes de leur destin. Illusion : tout est écrit. Pas dans un prédicat ésotérique, mais bien dans les mailles du filet tissé par le contexte historico-social, renforcé par la trame de leur appartenance à une famille bien spécifique.
L'heure est à la construction d'un couple, qui va de pair avec l'idée d'une descendance, sans choix réel : la conscience d'une entrave à l'évolution d'une carrière universitaire est bien présente chez Elena, mais la pilule se distribue sous le manteau,. le piège se referme sur la jeune femme, qui vit des heures lourdes et désespérantes auprès de Pietro, que nous découvrons très différent du fiancé épris.
Pendant ce temps, les liens qui unissent les deux amies se relâchent, le fossé se creuse et pourtant ce qui les rapproche, c'est cette ambiance de guerre civile qui a marqué les années de plomb en Europe de l'Ouest, particulièrement en Italie où l'activisme politique est violent.

A Naples, les luttes de rue qui opposaient les clans rivaux sont toujours présentes : ce qui a changé c'est l'âge des protagonistes et les méthodes (en gros, on joue toujours au Monopoly, mais avec des vraies rues et des vrais billets).

L'auteur fait évoluer ses personnages avec un grand talent. Les traits se sont creusés et les défauts accentués mais on reconnait derrière chaque figure, l'enfant qui subissait ou dominait. La roue tourne , mais sur elle même.

C'est bien sûr Elena qui reste au centre de la narration. C'est à travers son regard que l'on vit cette période troublée . Toujours écartelée entre ses origines et ses ambitions, que la maternité met à mal, elle est plus que jamais à mes yeux le pendant italien de notre Annie Ernaux.

Le récit n'a rien perdu de son intérêt, tant historique que romanesque et c'est avec impatience que je vais guetter la parution du quatrième épisode.

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Elena Greco, la narratrice, m'a repris dans son récit et j'ai à nouveau plongé dans cette histoire tellement napolitaine mais aussi italienne, histoire d'amitié, d'amours mais aussi sociale et politique de la fin du XXe siècle. On le sait, Elena Ferrante n'est pas le vrai nom de l'auteure de cette saga, L'amie prodigieuse, maintenant adaptée en série télé, mais le talent de celle qui écrit ne se dément pas.

Avant de replonger dans le passé, Elena (Lenuccia ou encore Lenù) se situe en 2010 et dit que la dernière fois qu'elle a rencontré son amie, Raffaella Cerullo, appelée plutôt Lina ou Lila, c'était en 2005. Retrouvant Naples, sa ville natale et son dialecte, elle constate : « Quand je rentrais de Pise, le gratte-ciel de la gare, loin de symboliser le renouveau d'une communauté, ne me semblait plus qu'une preuve supplémentaire de son inefficacité. » Elle ajoute même : « une ville faite d'un feuilleté de plus en plus friable. »
Si Lila ne veut pas qu'elle écrive sur elle, c'est raté ! En effet, c'est parti et nous voilà quarante ans plus tôt pour prendre la suite de leur jeunesse avec cet âge adulte, cette Époque intermédiaire, comme l'indique le sous-titre de ce volume III.
Les hommes, maris, amants, copains d'enfance, prennent une place importante mais c'est Nino Sarratore qui éclipse finalement tous les autres. Il fascine, déçoit, attire, est aimé, adoré, détesté puis aimé à nouveau par ces femmes dont les sentiments, les désirs, les souffrances, les joies, les déceptions sont si bien rendus par un texte d'une finesse incroyable.
De plus, il y a la famille, les familles, certaines modestes, d'autres parvenues et d'autres encore qui ont eu la chance de posséder l'argent, cet argent que les Solara gagnent par tous les moyens.
Puis, c'est le monde du travail que Lila permet d'explorer avec les salaisons de Bruno Soccavo où les gens sont exploités, les femmes abusées, maltraitées où la toute-puissance du patron n'a pas de limites, empêchant par tous les moyens l'émergence du syndicalisme. C'est là enfin que le contexte politique apparaît avec la bataille féroce engagée par les fascistes pour permettre à ceux qui ont le pouvoir de le conserver. Mai 1968, en France, mobilise aussi en Italie et les débats dans les universités sont virulents.
Elena fait sa vie dans tout ça, retrouve épisodiquement son amie prodigieuse, ne la laisse jamais tomber. J'ai trouvé ce livre encore plus riche et plus dense que les précédents. Les personnages s'aiment, souffrent, se déchirent, se retrouvent, étudient, publient. le tout est écrit avec une extrême sensibilité, un sens aigu des sentiments humains, des difficultés à vivre ensemble et cela donne un roman passionnant qui captive de bout en bout et me motive pour lire le tome IV… bientôt.


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Ça été un réel plaisir de retrouver Elena et Lila, proches comme si je les avais quittées hier. Les deux jeunes femmes ont atteint l'âge de la maturité, les événements de la vie, leur engagement politique et féministe, et les mouvements de révolte qui agitent leur pays font que leurs chemins se croisent moins. Mais leur amitié résiste à cet éloignement et à leurs éternelles et profondes dissensions.

Dans le troisième opus de cette tumultueuse histoire de deux napolitaines, on retrouve Lenù qui est maintenant normalienne et a publié un livre qui a du succès. Mais la jeune femme doute toujours d'elle, et son mariage avec un professeur d'université est l'occasion de se poser des questions sans fin. Lila, quant à elle, a quitté mari et amant et élève son fils aidée par son ami Enzo. Bien qu'à l'origine ouvrière dans une usine, sa formation aux nouvelles technologies va en faire une femme de pouvoir.

Elena Ferrante, avec une fibre authentique, donne ici une dimension nouvelle à sa saga italienne. Ses héroïnes évoluent dans une Italie en pleine crise politique et sociale. Une mutation historique qui si elle ne modifie pas leur déterminisme social (peut-on échapper à ses origines ?) transforme, dans une chaîne d'amour, de haine, de désir et de violence, sans jamais séparer, celle qui fuit et celle qui reste.
Un roman — inscrit dans l'histoire d'un pays et d’une époque — vivant, foisonnant, prenant.
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A la fin des années 60, les vies d'Elena et Lila semblent avoir pris des chemins toujours plus divergents. La première est partie étudier à Pise, a publié son premier roman qui lui apporte une certaine notoriété, et semble sur le point de s'installer dans une vie bourgeoise confortable avec Pietro, son futur mari, tout juste nommé professeur à l'université de Florence. Lila, quant à elle, est toujours à Naples et vit désormais avec son compagnon Enzo. Elle travaille, dans des conditions déplorables, dans une usine de salaisons où les hommes s'arrogent le droit de cuissage sans se poser de questions.

Un avenir serein pour l'une, une vie au jour le jour pour l'autre ? Avec Elena Ferrante, rien n'est jamais aussi simple. Tout bouillonne, dans ce roman, à commencer par l'Italie elle-même. Entre les révoltes étudiantes sur les campus et les années de plomb pendant lesquelles fascistes et communistes s'entre-tuent, c'est aussi, pêle-mêle, la période de l'émergence du féminisme, des luttes ouvrières, de l'informatique et de l'influence croissante de la Camorra. Plus rien n'est figé, les lignes bougent sans cesse, et les deux amies ne sont pas épargnées par les tempêtes, intimes ou extérieures. Elena réalise que sa vie de couple est décevante, se retrouve coincée dans une vie de mère au foyer dont elle n'avait pas rêvé. Elle qui a fait tant d'efforts, tant d'études pour s'extirper de son quartier, où elle est désormais perçue (et se perçoit) comme une étrangère, ne se sent pas davantage à sa place dans les cercles intellectuels feutrés qu'elle fréquente. Tout ce chemin pour tenter de devenir quelqu'un, de se forger une identité propre, de s'affranchir de la tutelle de Lila, mais non, elle ne parvient pas à se défaire de son complexe d'infériorité, de son syndrome de l'imposteur : "je sentis que je n'arriverais jamais à me libérer de cette condition de subalterne, et cela me parut insupportable". Et pourtant, c'est Lila qui, un jour, l'appelle à l'aide, et Elena vole à son secours, découvrant son amie au bout du rouleau. Elena se voit alors embarquée dans la lutte prolétaire à Naples, avant de plonger avec délices et mauvaise conscience dans une relation passionnée et adultère…

L'amitié entre les deux jeunes femmes est toujours là, mais son intensité fluctue, se distendant parfois jusqu'au point de rupture. A toute épreuve un jour, elle devient toxique quelques pages plus loin quand Elena se demande si en réalité Lila ne la manipule pas pour arriver à des fins inavouables. La bonne élève studieuse et sage face à l'autodidacte rebelle et incontrôlable, "fausse et ingrate", généreuse et méchante, à l'intelligence fulgurante ; quelle complexité dans cette relation, et quel talent pour la décrire… Avec en prime une réflexion profonde sur la condition et la place des femmes dans la société et le couple, alors qu'émerge un féminisme qui tente de secouer le carcan d'un patriarcat intégré depuis des siècles, y compris par les femmes elles-mêmes.

Ce troisième volume m'a captivée autant que les deux premiers. L'écriture d'Elena Ferrante est fascinante, dense, addictive, d'une intelligence et d'une finesse épatantes, et j'admire sa capacité à tenir la longueur sur ces trois premiers livres, soit plus de 1500 pages. Je vais me plonger avidement dans le dernier, tout en redoutant le manque qui surviendra lorsque je le terminerai…
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Roman intimiste sous fond politico-social, Celle qui fuit et celle qui reste continue de raconter l'histoire d'Elena et de Lila soumises cette fois aux aléas du monde qui les entoure.
Elena Ferrante y établit une juste radiographie sociologique d'une Italie coincée entre révoltes étudiantes, affrontements idéologiques entre fascistes et communistes, violences politiques, terrorisme interne …

Ces années, qui laisseront une empreinte profonde et durable sur le pays, seront appelées « les années de plomb ». Ici, les évènements de vie survenus aux deux femmes permettent de les comprendre mieux.

Par ailleurs, l'exploration tout en intelligence et en délicatesse des sentiments se poursuit pour ces jeunes mères, chacune dans son style, tentant de modifier leur destinée, en fuyant de Naples ou en y restant.

J'ai été, pour ce troisième volet, comme pour les autres, totalement séduite par la plume la plus fine qu'on ait trouvée pour parler des destins d'Elena et Lila qui ont en commun le désordre mental et la passion.

Ces vies parallèles ne cessent de se croiser, unies à la vie, à la mort ?

« le plaisir le plus vif est celui qu'on ressent en retrouvant un ami que l'on croyait avoir perdu à jamais. »
Citation de Marie-Jeanne Riccoboni ; Les lettres de Milady Juliette Catesby (1759)

Allez ! Je mets mes gros sabots, parfois se lâcher fait du bien : après ce troisième volet de L'amie prodigieuse, je ne fuis pas, je RESTE, assurément, car cette amitié si particulière entre Lila et Elena m'a profondément émue, en nous faisant découvrir, explorer la fragilité des êtres, penser leurs mondes, et bien plus encore…
C'est ça la littérature non ?



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Quel bonheur ce troisième tome de la saga d' Elena-Ferrante !!
Nous continuons à suivre avec passion les deux amies Lila et Elena, trentenaires en 1968.
Amies et ennemies d'enfance, indissociablement liées, Elena, féministe, choisit de faire des études, de quitter Naples, d'écrire, pour fuir la misère et la soumission indéfectible des mères, loin de la crasse, des mafieux et fascistes qui hantent les quartiers populaires et violents de Naples où elle a grandi.....
Lola, d'une intelligence stupéfiante, choisit le mariage à seize ans, trime désormais à l'usine et s'épuise.
Désabusée, débordée, surmenée, elle paraît à la fois plus vulnérable et plus destructrice entre amour, haine et coups de gueule !
Elle milite contre les patrons et devient insaisissable !
Elena assume avec difficulté l'exil à Florence et le milieu intellectuel qu'elle a pourtant désirés avec force.

En ces années - là, L'Italie est profondément déchirée entre luttes prolétariennes et attentats terroristes .
Les deux amies ne se voient plus, se téléphonent de moins en moins...
Elena rêve de voir mourir Lila :" Ce n'était pas de la haine : je l'aimais de plus en plus et n'aurais jamais été capable de la haïr.Mais je ne supportais pas le vide de sa dérobade....."

Elena Ferrante décline à merveille la cruauté terrible ,assassine, brouillonne , obsédante mais déterminante des amours et des amitiés dans une Italie déchirée, dans un pays en transformation profonde!
Un subtil mélange de doutes, de vérité, d'amour, de haine, de dégoût et de désir, d'envie de paraître mais aussi de disparaître à dimension tout aussi historique qu'intime .
L'auteur nous fait participer avec talent au chaos propice à tous les débordements :répression policière, projets de coups d'Etat , groupes armés, blessés , morts, coups de feu, bombes, tueries dans les grandes et petites villes, trafics , ....à l'époque des Brigades Rouges....sans expliciter ni caricaturer.
La langue magnifique, crue parfois, classique aussi, nous donne à voir , de l'intérieur avec une force semblable à une éruption et un cri du coeur des scènes violentes, tendres ou sauvages, des personnages tendus et tiraillés entre pulsions et visions contradictoires , l'intelligence stupéfiante mais mal utilisée de Lila, - une intelligence maléfique qui sème la discorde et qui hait la vie-la fascination qu'elle exerçait insupportable .....selon Pietro l'intellectuel, mari d'Elena.....
Une narration absolument passionnante, addictive , prenante, une des forces de cet ouvrage est "d'ECRIRE, "telle Elena , tout au long du récit ....."Je devais recommencer à devenir mais pour moi, en tant qu'adulte, en dehors d'elle, elle: Lila , bien sûr ....."
À suivre le Tome 4 ..
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Bien loin de ses ambitions, de ses capacités et de son riche mariage, Lila vit désormais avec Enzo. Pour subvenir à ses besoins, elle travaille dans une usine de salaison. A l'opposé, Elena n'en finit pas de grimper les échelons de l'échelle sociale. Son livre connaît un succès inespéré, elle prépare son mariage avec Pietro et s'apprête à quitter Naples pour toujours en s'installant à Florence. Les années 60 emportent l'Italie dans le tourbillon de la contestation. La gauche et la droite s'affrontent dans une lutte sans merci qui fait naître des mouvements extrémistes. Lila, rebelle par essence, s'investit malgré elle dans les luttes ouvrières, surveillée de près par son éternel prétendant, le mafieux Michele Solara dont les hommes font le coup de poing pour les fascistes. Si elle semble au plus bas, Elena se reve écrivain, mais le mariage et la grossesse ne font pas bon ménage avec l'inspiration. Les deux amies se voient encore de loin en loin, ne se donnent plus beaucoup de nouvelles. Pourtant, le fil qui les relie depuis l'enfance est juste effiloché, rien ne semble pouvoir briser cette relation faite d'amour, de complicité, d'émulation, de jalousie , de haine parfois.

Troisième opus et l'intérêt ne se relâche. Les deux amies sont maintenant trentenaires. Les années 60 sont troublées par les luttes ouvrières, l'extrémisme, les attentats. Parce qu'elle ne supporte pas que les enfants de bourgeois seuls plaident la cause des plus pauvres, Lila devient l'égérie des revendicateurs. Elle se préoccupe des conditions de travail, du droit des femmes obligées de se plier au droit de cuissage. Elle a quitté le quartier de son enfance mais ne s'est pas sorti de la misère, même si avec Enzo, elle croit en l'avenir des ordinateurs et, avec sa pugnacité et sa capacité à intégrer les connaissances et les savoirs, Lila apprend...Pour fuir Naples, Elena a choisi la voie des études et du mariage, un mariage bourgeois qui la laisse frustrée et malheureuse. Quand tout va mal reste l'amitié; une amitié aussi tourmentée que l'époque qu'elles traversent. Les deux femmes se jalousent, se disputent, se concurrencent, s'aiment envers et contre tout.
Encore une fois, l'évocation de l'Histoire de l'Italie est savamment intégrée au récit des aventures de Lila et Elena. Et, comme depuis l'enfance, Lila reste le personnage le plus intéressant. Forte et fragile, rebelle, obstinée, elle est toujours là où on ne l'attend pas, se relève alors qu'on la croyait perdue, cache son jeu, calcule, obtient. A côté d'elle, Elena semble bien fade, coincée dans une vie aisée mais dénuée d'intérêt. L'enfant sage et appliquée est devenue une femme insatisfaite qui ne trouve pas la recette du bonheur. Mais il faut se méfier de l'eau qui dort et Elena ne va pas se cantonner à son rôle d'épouse et de mère. Pour une fois, elle va agir pour elle-même et choisir le plaisir, la folie, le pas de côté.
Une saga magnifique et passionnante.
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