Elle se rappelait un concert auquel ils avaient assisté ensemble. À la sortie, sur le parvis, deux artistes vantaient la voix exceptionnelle de Guidu, et Zita insista sur ce mot : artiste, auquel elle conférait une valeur particulière. Cette déférence me toucha, j'y vis un signe de reconnaissance supérieure et définitive : la plupart des gens prennent les artistes pour des crétins.
Les écrivains ne sont pas des rêveurs. Comme ils ne voient pas la même chose que les autres, on les range dans cette catégorie par commodité. On ne les comprend pas pour cette raison même et l'on s'aperçoit après leur mort qu'ils avaient saisi l'essence de leur époque avant tout le monde. C'est la règle de l'art.
L'église de Saint-Roch est presque dans le noir, seules quelques torchères sont allumées. Les jeunes gens chantent le Kyrie. Nous nous avançons dans le choeur. Je suis Petru qui s'avance jusqu'à l'autel. Rémi chante. Je regarde Petru. Il est au milieu d'eux. Il écoute sans rien dire, les bras croisés.
Nous étions prêts à partir. J'avais apporté des provisions, comme je le fais toujours quand j'accompagne les Campagnoli. Je m'enchante de ces petites choses. Je crois que l'amitié se fonde sur les rites, les jeux, les mots de passe, hermétiques à qui ne les entend pas, pouvant même paraître absurdes. Ces fils tissent les liens, les rendent uniques et précieux.
Nous parlons de Léonard de Vinci pour qui il a une grande admiration, et moi aussi. [...] Jean-Guy raconte une très jolie anecdote que son père lui disait. « Michel-Ange était une force de la nature. Il tordit un fer à cheval, le tendit à Léonard : “Redresse-le”, lui dit-il. Et Léonard : “Pourquoi redresserais-je quelque chose que tu as tordu, alors qu'il était parfait ? ” »
Sa remarquable épitaphe est composée à partir du Journal qu'il a tenu toute sa vie.
Ici repose le peintre
Palu Klee,
né le 18 décembre 1879,
mort le 29 juin 1940.
Ici-bas je ne suis guère saisissable
car j'habite aussi bien chez les morts
que chez ceux qui ne sont pas nés encore,
un peu plus proche
de la création que de coutume,
bien loin d'en être jamais assez proche.
Paul Klee a tout dit.
L'atelier est un mystère pour l'écrivain. La solitude est non seulement une exigence, mais la condition de son travail. Pour moi, l'atelier est un cabinet de curiosités in vivo. Je ne l'observe pas sans une certaine envie, mais je me tiens à la lisière. Je reste sur le seuil.
Les hommes projettent toujours d'exécuter les tâches fastidieuses ; les femmes se taisent et le font sur-le-champ.
L'art poétique des polyphonies corses, connu de moi dès l'enfance, m'a portée à aimer le baroque, Ovide, le chant grégorien, les sonnets de Shakespeare, l'expression du désir anéanti, du désastre, de la langue perdue, Giotto, Piero della Francesca, la couleur terre de Sienne, les gisants napolitains, l'Iliade d'Homère, les messes des morts, le Miserere d'Allegri, les lamenti, la profonde solitude, Les Regrets de Du Bellay, l'amitié de haute valeur, la révolte, le vertige du ressassement et, par-dessus tout, l'instinct artistique.
... une ville ne s'apprivoise que par la marche, la déambulation, les errances.