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Critique de Henri-l-oiseleur


Comment Ferrari s'y prend-il pour condenser en ce mince volume de 220 pages toute l'histoire du XX°s, la question corse, les désarrois d'un prêtre et la vie d'une photographe ? Non seulement il parvient à cette densité narrative, mais il sait mener son lecteur dans une aventure spirituelle de lecture qui peut mettre le moral et l'imagination à rude épreuve.


En effet, le roman aborde la question de la photographie, qui a déjà inspiré quelques beaux livres (par exemple "L'image Fantôme" d'Hervé Guibert). Or la photographie, plus que tout autre art, pose des problèmes éthiques et politiques, surtout la photographie de presse, d'actualité. L'héroïne est tourmentée par la présence du Mal dans l'histoire, et par l'obscénité de ses représentations photographiques. La Yougoslavie et la Corse lui font comprendre qu'un chasseur d'images n'est pas que le spectateur, mais une partie prenante des guerres qu'il photographie, comme n'importe quel soldat, et que le Mal nous séduit tous par la jouissance qu'il nous procure.


Ces tourments très concrets sont réfractés dans la conscience de son oncle et parrain, prêtre dont la fonction et la vocation, pas plus que celles d'un photographe, ne dispensent de la responsabilité historique. Le souvenir inattendu de Bernanos est bienvenu ici, mais la tragédie que subit ce prêtre n'est pas la même que dans "Le journal d'un curé de campagne". Cette dimension religieuse est une grande qualité de ce livre : esthétiquement, elle ouvre tout sur une perspective céleste, elle donne au livre une profondeur et une densité culturelles qu'on percevait déjà dans l'augustinien "Sermon sur la chute de Rome". Notre contemporaine "laïcité" n'est souvent que l'autre nom de l'ignorance volontaire et satisfaite des choses de l'esprit : l'ouvrage de Jérôme Ferrari, qui a emprunté son titre à la Bible, tente de remédier à ce "complexe de Homais".


Le Dieu de ce livre, qu'il existe ou non pour l'auteur (et il existe au moins dans le récit puisqu'il y joue un rôle actif, celui du Créateur du visage humain, dans le titre), est le Dieu des plus tragiques penseurs jansénistes, augustiniens, peut-être (sans le savoir) manichéens. Mais quelque chose a changé : le roman est bâti sur la Messe des Morts (la vraie, conservée dans les polyphonies corses, non la messe d'aujourd'hui, dit l'auteur) ; les titres de chapitres sont des citations du Rituel, fondé sur l'Ecriture, qui parle d'espérance et de miséricorde. Cela suffit, à soi seul, à modifier l'image du Dieu cruel que l'on rencontrait dans les romans précédents. Il n'est plus seulement à l'origine du Mal, il est le créateur de l'homme, ce qui implique une toute autre relation avec lui que la sévérité, la vengeance et la rigueur implacables du "Sermon sur la Chute de Rome". Ce roman rappelle le grand poème d' Odysseas Elytis consacré à la guerre italo-grecque de 1941, entièrement construit sur l'Office orthodoxe du Jeudi Saint. Comme dans "Axion esti" d'Elytis, la langue et la prière de l'Eglise fécondent et transportent la littérature de Ferrari au-delà du désespoir.


Le livre s'ouvre vers le haut, vers le ciel des idées et des dieux, mais il garde un contact intense avec la réalité matérielle, les sensations, les objets. Et ce sens aigu du concret s'accompagne d'une certaine liberté de pensée et de parole : ainsi, la Yougoslavie n'est-elle pas le pays des méchants Serbes (dont l'auteur sait rappeler le génocide dont ils furent victimes en 1942). De même que l'auteur a osé donner une profonde dimension chrétienne à son livre, de même il a osé parler de péché, alors que "cela ne se fait pas", dans le microcosme culturel français. Et ainsi de suite ... Ferrari prend la liberté d'ignorer les figures obligées du politiquement correct et de l'auto-censure, qui dévastent actuellement la culture française autorisée.
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