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Critique de fanfanouche24


"Il avait travaillé pour le journal pendant une trentaine d'années et s'était résigné depuis bien longtemps à ne rien attendre de son métier.
Mais tous les week-ends, il sillonnait l'île à la recherche de bergeries abandonnées, il en avait photographié des centaines, les murs de granite, les murs de schiste, les murs de craie recouverts de ronces, les toits effrontés, le long de chemins dont personne ne se rappelait l'existence, il voulait en faire un livre, il cherchait un éditeur, et Antonia ne comprenait pas qu'on pût ainsi s'infliger de longues randonnées en montagne pour photographier des tas de pierres abandonnées dans des lieux sombres et désolés mais quand il lui montra son travail, elle fut frappée par la puissance esthétique émanant de ce minutieux inventaire de la ruine qui ne parlait ni du passé ni de la nature mais seulement de l'inéluctable défaite des hommes. "(p. 72-73)

Les univers romanesques de Jérôme Ferrari sont denses, mêlant le plus sombre de la condition humaine, comme ses fulgurances flamboyantes... J'ai débuté mon ressenti de lecture par un extrait qui me tient à coeur... et le dernier ensemble de mots serait, ...pourrait être un concentré de la voix de cet écrivain corse : "L'inéluctable défaite des hommes ..."

Le pitch a déjà été fait : une jeune photographe , Antonia trouve la mort dans un accident de voiture... Décès si prématuré, et révoltant... Son parrain, le prêtre du village, est pressé par sa soeur [mère d'Antonia] de célébrer la messe funéraire... Il aimerait tant être déchargé de sa fonction, pour n'être plus que le tonton et le parrain de sa nièce , Antonia, qu'il adorait, et à qui, il a offert, pour ses 14 ans, au grand dam des parents, son premier appareil photographique...

Le récit se fait à plusieurs niveaux passant du tout début du 20e aux années 80...avec en alternance cette messe d'enterrement où le parrain se souvient des moments avec sa nièce, leur affection , puis sa rebellion, sa colère contre le Dieu de son parrain qui ne soulage pas la douleur des Hommes...d'autres personnages, lors de cet office des défunts, se souviennent d'Antonia, de sa personnalité, de ses amours, de ses coups de gueule... et en noyau central, cette passion de la photographie, des images : tour à tour esthétiques, poétiques ou toxiques, montrant l'insupportable....

J'ai le sentiment que l'auteur prête sa voix aux deux personnages centraux: Antonia, cette jeune photographe, dans la douleur et les questionnements quant à son métier de photographe [ surtout après le choc de son séjour, pendant la guerre de Yougoslavie, d'où elle ne rapportera aucun cliché !]. Jeune femme déchirée, entre son attachement à un militant nationaliste, et les horreurs de la guerre , hors de son île... dont on assiste par personnages interposés à ses obsèques ! et le deuxième personnage, son parrain et prêtre qui doit assurer cet office des défunts... A travers cet oncle-parrain-prêtre, on fait connaissance avec la courte vie d'Antonia mais aussi avec les rituels religieux, les questions de la foi, du mal dans l'histoire des Hommes...

Une lecture dense, d'une indéniable qualité et originalité, mais pour des raisons qui me restent très
obscures, je reste à la lisière... de l'univers de Jérôme Ferrari...ne parviens pas à m'y immerger totalement , comme je le souhaiterai!

J'ai souvent la sensation de ne ! pas saisir toute la complexité et les ramifications de ses écrits... Ainsi
je me suis replongée dans l'entretien très éclairant de l'écrivain dans le numéro de LIRE de septembre 2018.

Reste un moment de lecture aussi bouleversant, que dérangeant, mais aussi à l'image des polyphonies corses: Sombres, poignantes, musique , voix chavirantes....et philosophie de vie , identité d'une terre...etc.

Je pense que dans un temps futur, je relirai ce roman mêlant à la fois la littérature et la philosophie et tant d'autres choses...!

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*******Je me permets une parenthèse : dans l'interview de Jérôme Ferrari, dans le LIRE de septembre 2018...
il exprime , entre autres questions, ses sentiments et sa posture vis à vis de la religion ...

" Quel rapport entretenez-vous avec la religion ?

-J.F. Je n'ai pas du tout aimé le catéchisme, je trouvais ça niais. (...) En revanche, j'ai toujours apprécié le rituel- j'ai dû être enfant de choeur au village deux ou trois fois-et j'adorais sonner les cloches ! J'ai découvert les textes en latin-qui, eux, ne sont pas du tout niais- par le chant corse.
Ils sont sublimes. Je dois dire que s'il y a bien une chose magnifique en Corse, ce sont les différentes messes chantées en polyphonie. Même si, pour moi, ça ne s'accompagne pas de la foi, elles provoquent quelque chose de très profond.

- A Son image met en scène une messe de funérailles. Que représente pour vous le rituel de la messe ?

-J.F. En Corse, il s'agit encore d'une affaire sociale. Tout le monde se retrouve dans un événement qui dépasse le cercle familial. Dans les moments de deuil, la société nous rappelle que la cérémonie n'est pas réservée aux proches. En même temps, c'est l'aspect le plus rituel et
collectif des chants qui dit le mieux la peine personnelle. " (p. 43)
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