"Rome n'existait plus, elle avait été détruite depuis bien longtemps, ne demeuraient plus que des royaumes plus barbares les uns que les autres."
Grandeur et décadence!
Dans ce roman éblouissant comme un grand feu dévastateur, bouleversant comme une supplique, blanc et noir à la fois comme le drapeau d'une Corse entre ferveur et violence, ou peut-être bien même comme le paradis indissociable de l'enfer depuis des temps immémoriaux, celui du pêché primordial,
le sermon sur la chute de Rome revisite le thème de la chute de l'empire romain à travers mondes, mondes intérieurs ou univers créés par l'âme, pure ou impure, elle-même, qui édicte ses choix de vie.
L'action se situe en Corse, cette Corse sauvage se teinte parfois de barbarie lorsque quelque ver étranger s'immisce dans ses fruits.
Jérôme Ferrari alterne le passé de Marcel, enfant corse d'après guerre (de 14-18), qui attrape tout,survit, guérit, épouse une jeune-fille corse de bonne famille à "la stupidité angélique" qui meurt en couches en Afrique, où il est rédacteur et dont le fils Jacques, élevé par sa soeur, épousera sa cousine, dans un parfum d'inceste; avec le présent de son petit-fils Matthieu et le monde qui gravite autour de lui, celui du bar de village corse crée avec son copain sarde Libero, ayant abandonné comme lui de brillantes études, pour vivre un bonheur quotidien; celui de bergers frustres dont la vie oscille entre alcool au comptoir et solitude dans "les vestiges des murs écroulés", comme
Virgile qui émascule lui-même ses bêtes d'une main experte avant de partager entre hommes leurs testicules grillés; celui de Pierre-Emmanuel au chant envoûtants et à la main trop baladeuse; celui des serveuses faciles à emballer. Mais ces mondes, qui s'interpénètrent, gérés par Libero, avec un pistolet préventif sous le comptoir en guise de semonce, ne forment-ils pas un empire fragile prêt à s'écrouler à tout instant?
Jérôme Ferrari, d'une plume étincelante qui s'éternise parfois dans de longues gerbes d'étoiles filantes, aussi longues qu'une douloureuse agonie, met en parallèle (avec talent) le pourrissement du corps physique (cancer, septicémie..) suivi de mort, la destruction psychique lorsque l'esprit disjoncte par manque de maîtrise d'une situation donnée, la corruption de l'âme dans la débauche...la mort de la Corse d'antan....Mais n'est-ce pas dans ce roman un parcours initiatique qu'il nous donne à voir? Celui de la mort à l'enfance de Matthieu "exaspérant et vulnérable", qui s'éloignera d'une relation quasi incestueuse avec Izakun pour grandir, prendre conscience de sa propre réalité et être capable de faire de bons choix?
Emaillé (en titre de chapitres) de citations extraites des sermons de
Saint-Augustin,
le sermon sur la chute de Rome, tout en puissance signe une excellente rentrée littéraire à visée philosophique.
L'auteur, dont
Où j'ai laissé mon âme? a été couronné de moult récompenses ne faillit pas à sa réputation d'écrivain talentueux! Bravo!