Et Radovic [le chirurgien] nous dit que c'était la première demande de la part des femmes-hommes. Supprimer la poitrine, la détruire.
Chez les femmes qui vivent dans un corps qui n'est pas le leur, la poitrine est le premier ennemi à abattre.
(p. 65)
Je suis restée pendant des jours la tete entre les mains à me demander comment on faisait pour être une mère.
Nous pensons toujours que les malheurs n'arrivent qu'aux autres, pas à nous. Sauf que nous sommes tous les autres de quelqu'un d'autre.
J'ai toujours pensé qu'il [mon père] ne m'aimait pas beaucoup. Et j'ai cru que c'était parce que j'étais une fille. Comme si c'était ma faute. J'ai toujours cru que si j'avais été un garçon, nous aurions été plus unis. Mais peut-être pas. Il n'était pas dans sa nature d'être proche de quelqu'un. Pas même de ma mère.
J'ai compris tard ce genre d'amour.
(p. 38)
C’est insupportable au point de vous faire mal. On ne peut séparer l’amour de la mort. On ne peut avoir l’un sans l’autre.
Je suis là, Eva, je suis à côté de toi. Je suis assise dans le couloir froid à côté du bloc opératoire où tu es étendue, nue, pour la première fois fille, enfant, femme.
Tu ne m'entends pas et tu ne me vois pas mais je suis là. Je ne te quitte pas. J'ai promis de rester jusqu'à la fin et je suis là. Je t'ai amenée au bout du monde poir te faire démembrer comme un agneau sacrificiel et je vais rester là jusqu'à l'accomplissement de ce sacrifice extrême. Jusqu'à ce que tu sois plus toi et qu'il y ait à ta place un être nouveau.
Ta pédiatre était une femme bien. « Tenez-la sur vous, me disait-elle. Vous devez la toucher le plus possible. C’est l’héritage le plus précieux que vous pouvez lui offrir. Plus que tout l’argent du monde. C’est celui qui fera d’elle une femme forte et sereine. » (p. 77)
Je t'ai hâte parce que je n'en pouvais plus de t'aimer.
Je t'ai hâte parce que ça ne pouvait pas être moi qui te tuerait alors que toi tu n'y étais pas arrivée.
Je t'ai haïe parce que tu voulais que ce soit moi qui te trouve. Moi qui te sauve. [...]
Moi qui soit punie, parce que si tu étais femme, c'était uniquement ma faute.
(Page 175)
J'ai compris qu'être aimé par ses parents n'est pas la même chose que de se sentir aimé. L'affection qui semble évidente pour les adultes ne l'est pas du tout pour les enfants. Être aimé et se l'entendre dire fait toute la différence dans la force avec laquelle vous affrontez le monde.
Et il y a des parents dont les enfants partent loin, dont les enfants se marient, divorcent. Dont les enfants ont des enfants.
Et il y a des parents dont les enfants changent de sexe. A dix-huit ans. Après une vie passée à vous regarder avec des yeux inadaptés.