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Critique de MarcelP


Armée de ses seuls stylos à bille Bic, Emil Ferris a descellé la lourde pierre moussue qui obturait la crypte de son imagination fertile et nous offre un roman graphique d'une force et d'une beauté hallucinantes.

Son héroïne, la jeune Karen Reyes, fan de revue de bandes-dessinées horrifiques, se camoufle à ses propres yeux sous l'apparence d'un loup-garou. Elle supporte ainsi plus facilement le rejet dont elle est victime de la part de ses camarades. Sous les poils hirsutes de la bête, elle masque surtout cette différence qu'elle sent poindre en elle : Karen est irrémédiablement attirée par les filles.

Quand sa jolie voisine du dessus, Anka Silverberg est assassinée, notre petit monstre endosse alors une défroque de détective afin de résoudre la ténébreuse affaire.

Goules, vampires, morts-vivants, momies et autres créatures de la nuit rôdent dans l'univers fantasmagorique de Karen, mais les véritables monstres, eux, ont un visage bien humain. Dans les USA des années soixante ou dans l'Allemagne nazie, les férocités, les abominations et les perversions prolifèrent. Karen fait face au racisme ambiant, à l'hypocrisie, à l'homophobie latente comme Anka, à une époque pas si lointaine, a dû fuir les bordels d'enfants et les camps de concentration. Les monstres sont omniprésents : dans les secrets de Deeze, le grand frère de Karen, dans le cancer qui grignote sa mère, dans le voisin le plus innocent en apparence, le camarade de classe le plus banal et peut-être derrière la mystérieuse porte de la cave.

Emil Ferris multiplie les allusions artistiques (elle nous balade le long des cimaises de l'Art Institute of Chicago), politiques (la montée du nazisme, Martin Luther King, les incendies du West Side...) et sociales dans cette trombe littéraire qui nous emporte, échevelés, dans une narration complexe, essaimant flashbacks, fantasmes, hallucinations et apartés. le dessin est somptueux, raffiné, même dans l'horreur, mais le trait peut se faire chaotique, revêche voire sale, selon les moments. Ferris fait voler en éclat la BD : ni cases, ni phylactères, les personnages, leurs mots et leurs pensées envahissent la page, se recouvrent, et l'oeil du lecteur doit apprivoiser la sensation de tumulte qui l'étreint. le travail d'adaptation est particulièrement soigné (prouesse indéniable de la maison d'édition Monsieur Toussaint Louverture).

L'inventivité graphique bluffante d'Emil Ferris se place dans la lignée des plus grands : si Crumb, pour le trait, ou Sendak, pour l'univers, ont été cités, on pourra ajouter à ce prestigieux catalogue séminal, le style effrayant de sa contemporaine Kitty Crowther, les romans gothiques, les films de Roger Corman ou de la Hammer, les transes psychédéliques d'un Solé,...

Renversant et addictif...
Lien : http://lavieerrante.over-blo..
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