Fiction, n°155

Les lecteurs de "Fiction" se plaignent des récentes illustrations de couverture de la revue.
De détestables peintures abstraites y ont remplacé les dessins de Forest, l'art figuratif de Lob, de Gébé ou de Topor.
Le courrier des lecteurs bruisse du gâchis provoqué par d'abominables barbouilleurs !
En octobre 1966, la revue a déjà quatorze ans.
Son 155ème numéro arbore donc une couverture qui ne demande qu'à rester dans les kiosques, à ne pas être aperçue chez aucun bon amateur de SF qui se respecte, et finalement à finir au pilon !
Dans ce 155ème numéro, pas de revue, ni des livres, ni des films, aucun morceau de cette si passionnante chronique d'Ici on désintègre.
Le fascicule contient un demi-roman de Damon Knight : "l'arbre tu temps", trois nouvelles : "l'homme sur la plage", "le grand parking", "la belette" et "pffuit !"
Que Dieu me savonne et qu'Alain Dorémieux me pardonne !
Il ne semblait pas y avoir là matière à chercher un crayon pour souscrire au fameux abonnement couplé à Fiction et à Galaxie.
Mais c'était sans compter sur Francis Lacassin.
Ce 155ème numéro qui était promis à l'oubli et à l'indifférence des générations futures, grâce à un peu moins d'une dizaine de ses pages, va devenir un "indispensable", un numéro recherché, un de ceux que l'on échange sous le manteau en murmurant : "je l'ai, je l'ai mais chut, on nous écoute" ...
"Gustave le Rouge ou le naufragé de la SF" est une chronique littéraire de Francis Lacassin.
Vous y saurez tout, ou presque tout de ce que l'on sait aujourd'hui sur Gustave le Rouge.
Depuis, on a longtemps attendu, mais en vain, une biographie annoncée par Henri Bordillon.
Gustave le Rouge fût l'un des grands pionniers de la SF.
Mais ses éditeurs avaient disparu dans le bouleversement de la première guerre mondiale.
De leurs brochures à bon marché, il ne restait rien, et les héritiers de l'auteur avaient disparu dans les années 50 sans renouveler le mandat de représentation de la Société des Gens de Lettres.
Parmi les rares titres de le Rouge conservés à la Bibliothèque Nationale, certains ont été omis au catalogue, d'autres ont disparu des rayons et le reste n'est pas communiqué.
Il semblerait qu'usé par des années de "chiens écrasés" au "Petit Parisien" et lassé par la confection de dizaines de petits romans "lacrymogènes", Gustave le Rouge avait perdu toute confiance en son talent ...
Mais rétablissant l'équilibre de la balance littéraire, dans cinquante pages de "l'homme foudroyé", Blaise Cendrars va rendre un hommage fraternel à celui qu'André Salmon* avait surnommé "le jules Verne des midinettes".
La vie comme l'oeuvre de Gustave le Rouge est originale, atypique, insaisissable.
Il maniait le fouet, piquait et décolorait des lys au moyen d'une seringue.
Il a pris part au mouvement symboliste, a appris avec Verlaine à boire l'absinthe.
Blaise Cendrars lui a attribué trois cent douze ouvrages alors que la liste la plus complète qui ait été réunie totalise cent douze volumes ...
Dans ce numéro de "Fiction", Francis Lacassin nous livre une part de la légende, lève un pan du rideau sur le mystère "Gustave le Rouge".
Francis Lacassin, en une dizaine de pages, a rédigé ici une courte mais assez complète biographie de l'écrivain valognais, et a fait une synthèse, assez élogieuse mais sans complaisance, de l'oeuvre de le Rouge.
Aucun doute n'est plus maintenant permis, Gustave le Rouge est bien un naufragé de la science-Fiction ...

*"souvenirs sans fin"