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EAN : 9782859406882
384 pages
Phébus (21/10/2000)
3.96/5   49 notes
Résumé :
Rome, 10 février 1600. A quelques jours de son supplice, Giordano Bruno, condamné par l'Inquisition pour avoir mal pensé, entreprend d'écrire son dernier livre : le roman de sa vie.
Soit la traversée aventureuse d'une Europe en proie aux beaux démons de la Renaissance. Les ennemis ne manqueront pas à Bruno, non plus que les amis, dont il évoque fiévreusement la mémoire : l'énigmatique Henri III de France, le seigneur Michel de Montaigne, un jeune acteur qui s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
On ne pouvait, déjà d'après Cicéron, marcher dans Rome sans y mettre le pied sur de l'Histoire.
Arpenter le Forum romain, le Colisée, le Panthéon, les piazzas Navona et di Spagna, les musées du Capitole ...
Se planter devant une pénétrante statue de bronze, au Campo de' Fiori, entre les camelots et les peintres qui s'y installent au petit matin.
C'est "l'homme incendié", Giordano Bruno, l'hérétique napolitain.
C'est le livre de Serge Filippini qu'il tient dans ses mains.
Le secret infini de l'âme humaine.
Car Filippini n'a peut-être pas écrit ce livre !
Peut-être n'a-t-il fait que remettre la main sur le dernier manuscrit de Giordano Bruno qui entremêle l'histoire de sa vie et la chronique de ses dernières heures.
Un manuscrit, caché par Orazio le geôlier et finalement confié au neveu du corrompu cardinal Deza ...
"L'homme incendié" est un livre paru, en 1990, aux éditions Phébus.
Il a bien été écrit par Serge Filippini.
C'est un livre original, puissant, qui repousse les limites de la biographie jusqu'à la philosophie.
C'est un livre dont on ne peut sortir que grandi ou perturbé.
"L'homme incendié" est l'histoire de ce sulfureux dominicain, Giordano Bruno de Nola, qui fut professeur de philosophie naturelle et de théologie sacrée, astronome et écrivain.
Le livre peint le personnage en plein, en esquisse tous les contours, en cerne toutes les ombres comme toutes ses illuminations.
Il éclaire un homme avec ses faiblesses, ses vices mais un homme transpercé d'un inlassable désir de connaissances, et du profond amour qu'il ressent pour un autre homme.
Giordano est un philosophe sans académie, un religieux sans église !
Le livre de Serge Filippini superpose l'homme et son oeuvre, qui seront finalement indissociables face au bûcher.
L'agonie de l'homme devenant l'aboutissement de l'idée.
L'Église manie l'épée, tranche des têtes et brûle des livres.
"Hérésie" veut dire "libre choix" !
Le mot vient du grec "hairesin didonai" : donner le choix.
Toujours et encore le verbe contre la violence physique ...
Né au royaume de Naples, en 1548, Philippe naquit dans une masure au flanc de la colline des cigales.
Il ne possédait ni livre, ni maître, ni ami.
Baptisé Giordan par les dominicains à son entrée au monastère de San Domenico Maggiore, il écrivit 40 traités et dialogues, il fût célèbre à Paris et à Londres, il devint professeur à la Sorbonne, l'ami d'un roi de France, l'hôte du prince Rodolfe et familier de Montaigne, une des plus belles âmes du royaume.
Cette rencontre en Dordogne est, à mon sens, un des sommets du livre Serge Filippini.
Giordano Bruno y livre même au débotté quelques premières impressions de lecture des "Essais" !
Et, finalement, il se dégage de "l'homme incendié" le même envoûtement pénétrant que celui ressenti devant la statue du Campo de' Fiori.
L'écrivain, peut-être, ayant terminé ce que le sculpteur avait entrepris ...


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L'homme incendié, c'est l'histoire du philosophe napolitain du XVIe siècle Giordano Bruno, dont la pensée contredisait les dogmes catholiques et protestants sur de nombreux points, et qui fut en butte avec ces structures tout au long de sa vie, jusqu'à en mourir, brûlé comme hérétique à Rome.

Serge Filippini a fait de nombreuses recherches sur le personnage, et il nous en présente une version romancée qui, d'après nos recherches (merci à mes copines de LC Fifrildi et Nadou38 😊) prend volontairement des libertés avec les sources historiques.

Alors, ne boudons pas notre plaisir, j'ai réellement apprécié le roman. L'écriture est très belle et traduit bien les émotions des personnages, malgré une trop grande présence, à mon goût, de ce qui se rapproche de la pornographie. Giordano Bruno apparaît comme un philosophe qui sort clairement des sentiers battus, souscrivant à l'idée d'héliocentrisme proposée du bout des lèvres par Copernic, mais allant beaucoup plus loin en imaginant un univers infini contenant d'innombrables systèmes solaires, où Dieu serait présent dans la plus petite et la plus grande partie. J'ai du mal à le considérer comme un scientifique cependant, car ses arguments sont essentiellement philosophiques – comme l'implication considérant que, Dieu disposant d'un pouvoir infini, son oeuvre ne peut qu'être infini – ; son modèle d'univers essaie d'en « maximiser l'élégance » (excusez cette expression, déformation professionnelle, lol). Dans le roman, Giordano considère avec un certain dédain les mathématiciens qui, selon lui, ne voient pas plus loin que le bout de leurs chiffres. A cette lecture, je ne suis pas convaincu qu'il soit cartésien avant l'heure, c'est-à-dire qu'il s'autorise à penser que son modèle est améliorable, qu'on peut en discuter.

Car le Giordano Bruno qui éclot sous la plume de Serge Filipinni est imbuvable. Il faut de la patience pour le prendre en sympathie, tellement il s'estime supérieur, traite ses ennemis d'ânes et frappe ses disciples. A sa décharge, où qu'il aille (et il voyage beaucoup, entre Italie, France, Angleterre, Allemagne et Bohême), il se heurte violemment à l'orthodoxie locale, catholique ou protestante, qui est clairement incapable ni d'abstraction ni de s'éloigner de la Bible et d'Aristote. Son mauvais caractère n'arrange rien. Mais il est fier dans sa résistance, et même la torture ne le fera pas plier.
Pour une raison inconnue, il semble épargner son courroux aux personnages célèbres rencontrés ici ou là : Montaigne, Kepler par exemple. On sent aussi son caractère s'infléchir vers la lassitude au fil de ses années de combat et de fuite.

La difficulté principale de ce roman, pour qui s'intéresse aux faits historiques, est de démêler ce qui s'est réellement passé de ce qui est inventé. L'auteur ne fournit aucune information à ce sujet, et il faut fouiner pour éclaircir un peu (encore merci mes copines de LC). Et on s'aperçoit que la réalité a tellement été altérée qu'on se demande ce en quoi on peut croire. Sûrement les grandes étapes de ses voyages, ainsi que sa philosophie et son procès. Serge Filippini a modifié volontairement la vérité historique mais il s'est vraiment informé en détail.
Une chose m'a tout de même fait faire des bonds. L'auteur fait dire à plusieurs reprise que Henri III est responsable de la Saint-Barthélemy, alors qu'il n'était même pas roi de France à l'époque (c'était son frérot Charles IX). Je n'ai jamais lu qu'il ait pris une quelconque part aux exactions de l'époque. Mais une autre Babéliote mieux informée que moi (merci @myrtigal) m'a suggéré que Giordano avait peut-être adhéré à des fake news balancées par certains auteurs, entre autres Italiens. Admettons, mais il n'empêche qu'écrire cela dans un roman historique sans les précautions d'usage me paraît hors sol.

Bon je voulais faire court, c'est râpé. Qu'il reste de ma longue prose le fait que j'ai beaucoup aimé ce roman, bien que (ou à cause de) il m'ait bousculé et qu'il faille prendre les détails de l'Histoire avec des pincettes.
Qu'il reste aussi qu'il s'agit d'un manifeste anti-intolérance, surtout intolérance venue des croyances religieuses trop prises au pied de la lettre. Et le message est plus que jamais d'actualité.
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Le roman ‘L'ami de Galilée ‘ d'Isaia Iannaccone débutait par le procès et la condamnation au bûcher en 1610 d'un disciple de Giordano Bruno. C'est ainsi que le roman de Serge Filippini est tombé dans ma pàl, j'avais envie d'en apprendre davantage sur ce philosophe napolitain.

J'ai eu la chance de le lire en compagnie de Nadou38 & BazaR. C'est toujours un plaisir de papoter et d'échanger autour d'une lecture même si celle-ci n'est pas très joyeuse.

L'homme incendié', suit la vie tumultueuse de Giordano Bruno. L'histoire commence sept jours avant son exécution en 1600. Bruno écrit l'histoire de sa vie. Né à Nola (Royaume de Naples) en 1548, Bruno est dès le départ un "beau parleur", éduqué par l'Église comme penseur plutôt que comme prêtre pratiquant. Son homosexualité et la remise en cause des règles de l'univers provoquent la colère de l'Église pour son insistance sur la liberté de choix en matière intellectuelle et religieuse.

Bien qu'excommunié et qualifié d'hérétique, il reste libre de voyager (Italie, France, Angleterre et Allemagne), d'enseigner et d'écrire. Arrêté à Venise en 1592 il subira de longues années d'incarcération et plusieurs procès avant d'être condamné au bûcher pour hérésie.

J'ai adoré l'écriture de Filippini. Dans une interview, j'ai appris qu'il s'était intéressé au personnage pendant 15 ans. « Mais bien qu'il repose sur une recherche approfondie, ‘L'homme incendié' est avant tout une oeuvre de création... » L'auteur a pris beaucoup de liberté, sa façon de rendre hommage à « un philosophe de l'imagination ».

On peut raconter la vie de quelqu'un sans que ce soit nécessaire de détailler de manière très crue sa vie sexuelle (d'autant plus si elle est imaginée). J'ai trouvé que l'auteur avait aussi un peu trop insisté sur son dégoût des femmes.

Le roman est néanmoins une plongée dans L Histoire et l'ambiance inquisitoriale de cette fin de 16e siècle. Effrayant.

Giordano Bruno a croisé la route de personnages historiques très connus comme Henri III, Elizabeth I ou Montaigne (pour ce dernier, plausible mais improbable selon J.-F. Chassay).

Contrairement à Galilée, il est toujours rejeté par l'Église de Rome sous le prétexte que sa pensée n'a jamais été catholique. Il reste cependant un martyr de la libre pensée.



Challenge temps modernes 2023
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Quand BazaR nous a proposé la lecture commune de « L'homme incendié », je dois dire que le titre m'enthousiasmait peu. L'étiquette « roman historique » et surtout le plaisir de partager une lecture avec mes amis Fifrildi, Srafina et BazaR m'a décidée, et j'ai bien fait.

« L'homme incendié » est une biographie romancée de la vie de Giordano Bruno.

Honte à moi, je ne connaissais pas ce personnage de l'Histoire, et rien que pour ça, merci BazaR de me l'avoir fait découvrir avec ce livre.
Pour ceux qui comme moi ne le connaissent pas, Giordano Bruno est un dominicain napolitain du XVIème siècle qui est principalement connu pour avoir soutenu la théorie copernicienne de l'héliocentrisme et pour avoir ajouté que l'univers était infini et peuplé d'innombrables mondes (Je résume grossièrement, hein !). Foncièrement croyant, il contestait cependant, sous les casquettes de la philosophie et de la poésie, certains aspects de l'Eglise. Pour ses publications « dérangeantes », l'Inquisition l'a fait condamné à mort pour hérésie, brulé vif à Rome en 1600.

Dans son roman, Serge Filippini donne la parole à Bruno. Ce dernier, enfermé et interrogé depuis plusieurs années dans les geôles du Saint-Office à Rome et ayant eu connaissance de sa condamnation, profite de ses derniers jours pour écrire ses mémoires.

On découvre à travers ce récit son parcours durant 50 années, ses fuites et errances dans les différentes villes d'Europe, les grands noms qu'il a pu croisés, les courants religieux auxquels il a été confrontés - avec les mêmes obstacles toujours liés à la peur et à l'intolérance - et évidemment les idées qu'il défendait. Une doctrine à lui tout seul il faut dire, mais qui peut faire rêver car il revendiquait finalement une certaine liberté de penser.

« Hérésie veut dire libre choix, Votre Majesté. le mot vient du grec. Haïrésin didónai : donner le choix. Que chacun pratique la religion qu'il aime, sans nuire à autrui… »

Toute sa vie fut animée par la volonté de clamer ses opinions, de débattre sur ses idées ; mais nécessité fut pour lui de fuir à chaque fois les puissances religieuses effrayées par les remises en question qu'induisaient ses théories. Il fera face à la fin et assumera sa condamnation pour immortaliser ses textes et ses idées.

« Le libre exercice de la raison doit se moquer des dogmes religieux, car ils offrent à la pensée un cadre trop étroit. »

J'ai mesuré avec ce roman à quel point ce n'est pas la foi qui mène à l'obscurantisme mais bien les dogmes religieux institués par des hommes pour en contrôler d'autres.

Ce fut pour moi une lecture passionnante et instructive, et j'ai apprécié la plume de l'auteur. J'ai aussi apprécié la grande histoire d'amour avec le sombre Cécil, même si totalement fictive, elle est touchante.

J'ai beaucoup moins apprécié en revanche la misogynie extrême et pas forcément véridique du personnage (les articles divergent sur ce sujet). Certains passages sont vraiment haineux et méprisables, je n'en ai pas saisi l'intérêt.
Autre bémol, la non traduction des nombreuses citations latines qui égrainent les pages. J'ai renoncé rapidement à couper ma lecture pour les chercher. C'est dommage.

Même si cette lecture me parut difficile à certains moments, elle en vaut tout de même largement la peine pour la richesse de son contenu.

Merci à mes chers co-lecteurs pour les échanges, c'est toujours un plaisir de lire en leur compagnie. :)
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Elpino : Comment est-il possible que l'univers soit infini ?
Filoteo : Comment est-il possible que l'univers soit fini ?
(L'infinito, universo, e mondi (De l'infini, de l'univers et des mondes) - Giordano Bruno)

Serge Filippini réussit avec maestria le pari de nous faire revivre sous une forme romancée, les 6 derniers jours, avant le bûcher de Giordano Bruno.
Du jeudi 10 février 1600 au mercredi 10 fevrier 1600, passées les premières réactions suite à décision du tribunal de l'inquisition, Giordano Bruno se voit remettre de l'encre et du papier pour résumer sa vie.

Alors voilà 6 bonnes raisons de livre ce livre :

- l'introduction de Franck Bouysse, qui exprime sa rencontre avec ce livre et avec Giordano Bruno:
"Même derrière des barreaux et sous une voûte de pierres noircies de crasse, Giordano Bruno demeura citoyen de l'univers, d'un grand Tout, sans murs ni cloisons, un grand Tout fait d'amour, d'art et de beauté. Telle fut sa vérité. « Une vérité qui ne rejoint pas la beauté est une vérité fausse. »"

- Pour l'écriture de l'auteur érudite, sublime, qui sait se faire savante ou émouvante, selon les moments de la vie de Giordano Bruno, qu'elle évoque :
" Pour la première fois j'ai écrit aujourd'hui sans volonté de rien construire. Les mots voués à l'oubli qu'a tracés ma misérable plume ressemblent à des pierres soulevées le long d'un chemin, et dont chacune cachait sa brassée d'accidents, de circonstances, de hasards et de visages – et Dieu que je les aime, ces circonstances ! Qu'ils me sont chers, ce soir, ces visages ! Est-ce la proximité de la mort qui aiguillonne ainsi la réminiscence ? À la fin de ma vie, ma vie se manifeste et fait entendre une clameur, une noise que je ne puis endiguer. Et je sais que le sommeil, s'il vient, ne me sera d'aucun réconfort – car en lui l'univers continue de tramer ses mystères."

- pour ces traces indélébiles que l'écriture laissent en nous, les descriptions que fait Serge Filippini de la ferveur intellectuelle de Bruno sont saisissantes. La recherche d'une langue vraie pour dire l'univers est vigoureusement mise en scène dans le monastère de San Domenico Maggiore, où le héros quitte le prénom de Filippo pour celui de Giordano
et enfile la robe brune que recélait peut-être son patronyme.

- Pour le caractère même du live : sont-ce des mémoires apocryphes ? Est-ce un roman historique ? Est-ce une biographie historique ? Voire les 3 à la fois ? A chaque lecteur de se faire sa propre opinion..

- Parce que Giordano Bruno ? Qui le connaît ? Méconnu, Giordano Bruno, philosophe et cosmologue italien, c'est pourtant lui qui dépassa la révolution philosophique et scientifique amorcée par Nicolas Copernic et paya de sa vie en osant penser l'infini…
Souhaitant étancher cette soif de connaissances et se former à l'art de l'éloquence, il décida de prendre l'habit, les monastères représentant alors les lieux de culture par excellence. Il se forgea ainsi une double culture, humaniste en se confrontant aux textes des Anciens (philosophes grecs et romains) et religieuse en entrant au couvant des Dominicains de San Domenico Maggiore,
Ordonné prêtre, il devient docteur en théologie. Ces études au sein du monastère lui permirent d'étancher sa curiosité et de se familiariser avec une notion qui l'intriguait, celle d'illimité ou d'infini qu'il avait trouvé chez Nicolas de Cusa, cardinal et évêque allemand du XVème siècle épris de philosophie, de mathématiques et d'astronomie, mais aussi auprès de Nicolas Copernic.
Mais pour échapper à ce carcan austère, à des premières accusations d'hérésie commence une vie de "fuites" ou "d'errances".
Ce sera Rome, Chambéry puis à Genève, la calviniste, Toulouse, Paris, l'Angleterre, l'Allemagne luthérienne, Prague, Francfort et enfin Venise. Où il sera séquestré par celui qui l'avait fait venir, qui déposa même à l'inquisition vénitienne une dénonciation dont voici la lettre :
"Je, Zuan Mocenigo, fils du Seigneur Marco Antonio Mocenigo, demeurant près San Samuele, déclare, sous le commandement de ma conscience & sur ordre de mon confesseur, avoir entendu dire par Giordano Bruno Nolano, tandis que nous nous entretenions chez moi de philosophie & de théologie : que c'est grand blasphème de la part des catholiques de prétendre qu'il y a transsubstantiation du pain en chair ; qu'il est, lui, l'ennemi de la Messe ; qu'aucune religion ne lui plaît ; qu'il attend de l'actuel roi de France qu'il réforme enfin les religions ; que notre Foi catholique est pleine de blasphèmes contre la Majesté de Dieu ; que nous ne possédons aucune preuve que notre Foi est celle voulue par Dieu ; qu'il faut interdire aux frères les disputes car elles rendent les gens idiots ; que les frères sont tous des ânes ; que nos opinions sont doctrines d'ânes ; qu'il s'étonne que Dieu continue d'endurer les hérésies des catholiques ; que saint Thomas & autres docteurs ne savent rien ; que lui sait tout & qu'il leur clouera le bec.
Il a dit aussi : que Christ Notre-Seigneur était un triste sire ; qu'au lieu de séduire le peuple avec Ses fourberies, Il eût mieux fait de prévoir qu'Il serait pendu ; qu'il n'existe pas en Dieu de distinction de personnes, car ce serait là imperfection de Dieu ; que les miracles de Christ étaient illusions & Lui un mage ; que Christ point ne fut heureux de mourir ; qu'Il eût échappé à ce sort s'Il avait pu le faire ; qu'il est impossible que la Vierge ait enfanté, car point n'enfante une vierge.
Il a dit : que pour bien vivre il suffit de ne point faire aux autres ce que vous ne voulez pas qu'ils vous fassent ; qu'il se moque de tous les autres péchés ; que d'ailleurs point ne seront punis les péchés ; que les âmes créées par la nature passent d'un animal à l'autre ; que le monde est éternel & qu'il y a une infinité de mondes ; que Dieu en crée chaque jour de nouveaux car il Lui plaît d'agir ainsi ; qu'il connaît & pratique l'art divinatoire ; qu'il a été en Allemagne chef de secte ; qu'il aime les garçons ; qu'il ne sera pas toujours pauvre car il aime aussi les richesses, auxquelles il a goûté en pays hérétiques.
Il m'a dit enfin avoir eu affaire à l'Inquisition à Naples pour hérésie, à Rome à cause d'un prêtre qu'il a expédié près le Tibre, & à Toulouse à cause de sa doctrine ; qu'il ne craint pas l'Inquisition, car ce sont des ânes ; qu'il leur clouera le bec à eux aussi ; que la Sérénissime est une République libre & sage ; qu'elle le protège comme grand philosophe.
Que faisait cet homme-là chez vous ? me demandera-t-on. Je l'ai accueilli dans ma maison pour qu'il m'enseigne les prétendues merveilles de sa philosophie. J'ignorais alors qu'il fût un aussi méchant personnage. Aujourd'hui je le tiens pour enragé & possédé du démon. Que le Très Révérend Père Inquisiteur me permette de lui adresser également trois livres imprimés par ledit Bruno. Dans l'un d'eux, il est question de magie & de certaines choses qui m'échappent pour le moment, mais qui sûrement…"

- et enfin car Giordano, c'est avant tout l'histoire d'un précurseur et, comme tous les précurseurs, d'un incompris. tout se résume dans ses mots, écrits dans un de ses ouvrages, prémonitoires ?
"Ce ne seront point, ô Filoteo, les rumeurs de la foule, l'indignation du vulgaire, les protestations des idiots, le mépris de tel ou tel satrape, la stupidité des insensés, l'idiotie des cuistres, les affirmations des menteurs, les plaintes des méchants et la détraction des envieux qui me priveront de ta noble vue et me soustrairont à ta divine conversation. Persévère, cher Filoteo, persévère ; ne te décourage pas et ne recule pas sous prétexte qu'avec le secours de multiples machinations et artifices le grand et solennel sénat de la sotte ignorance menace et tente de détruire ta divine entreprise et ton grandiose travail. Et sois assuré qu'à la fin ils verront tous ce que je vois."
(L'infinito, universo, e mondi (De l'infini, de l'univers et des mondes) - Giordano Bruno)
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Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
- Vous ? Vous n'êtes pas païen ! Je vous ai bien écouté : vous voulez détruire le ciel d'Aristote pour le remplacer par celui de Copernic ! Raccommoder le toit du monde, en somme, et le monde lui-même ! La belle affaire ! Croyez-vous que l'homme deviendra meilleur parce que vous lui aurait bâti une nouvelle maison, plus extravagante encore que celle dont il disposait ? ...
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Je laisse derrière moi quarante traités et dialogues en lesquels scintillent, comme autant d’étoiles inaccessibles, les feux de la conscience ; mais le cri de douleur du poète ? Mais ses soupirs et ses joies ? Que serait la doctrine de Platon sans les affections, les combats, le jugement, la condamnation et la mort de Socrate ? Au coucher du soleil, le serviteur des Onze broie une once de poison dans une coupe ; et l’humble geste du bourreau est le dernier mot du divin savoir. La matière mouvante, je l’ai moi aussi transformée en pensée, en amour, en orgueil, en courage. Aujourd’hui mes idées, mes sentiments et mes vertus me corrompent et anéantissent mon corps. Cette destruction de mon être est-elle étrangère à mon œuvre ? Voici ce que fut ma vie, telle qu’à moi-même je la raconte. Voici mon dernier acte, mon dernier labeur, mes dernières souffrances. Voici mes dernières pages.
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— Tes vues rencontrent une audience toujours plus grande ! Ils m'ont parlé de certain astronome de Padoue, un nommé Galilée...
— Connais pas.
— Lui te connaît. Il partage ton point de vue : l'univers n'a pas de centre, et il est infini. Ces gens savants m'ont affirmé qu'il a mis au point un télescope pour mieux observer les étoiles...
— Pas besoin de télescope ! C'est ridicule ! La sagesse divine est à portée du regard. Encore un de ces mathématiciens prétentieux, inventeurs d'artifices...
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- tu auras besoin d'une bibliothèque, dit Marchese, d'une imprimerie, de collègues partageant ta foi ...
- J'ai peur que ma foi appartienne à une espèce trop singulière pour être partagée, répliquai-je ...
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– Pourquoi un esprit aussi séduisant que le tien n’enseigne-t-il pas en Sorbonne ? Peut-on le savoir ?
– Sire, la charge de lecteur ordinaire implique d’assister aux offices. Or je ne fréquente plus l’Église. En outre, je suis excommunié…
– L’Église ne peut-elle revenir sur une excommunication ?
– Elle refuse. Et, si Votre Majesté le permet, je ne m’en porte pas plus mal…
Henri s’assombrit et fronça les sourcils.
– Comment peut-on vivre sans Dieu ?
– Croyez-vous que Dieu se soucie de nos religions ?
– Précisément : tu as grandi à Naples dans l’ordre dominicain. Puis on t’a vu protestant à Genève, et de nouveau catholique à Toulouse. Finalement, quelle est ta religion ?
– Elle n’existe pas encore, Sire. Mais si elle voit jamais le jour, elle ne ressemblera à aucune de celles qui s’efforcent aujourd’hui de manier l’épée, de trancher des têtes et de brûler les livres…
– Et que fais-tu de l’hérésie, Brunus ? N’est-elle pas la plaie de ce siècle ? Une peste qui infecte les esprits ? Quand cette maladie se répand dans une ville, les autorités n’ont-elles pas raison de lui déclarer la guerre ?
– Hérésie veut dire libre choix, Votre Majesté. Le mot vient du grec. Haìresin didónai : donner le choix. Que chacun pratique la religion qu’il aime, sans nuire à autrui…
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