Fils d'un acteur et chef de troupe napolitain important, Eduardo de Filippo monte sur les planches dès le plus jeune âge. Il va fonder à son tour une compagnie avec son frère, qui va jouer surtout le théâtre italien contemporain, déjà celui d'Eduardo de Filippo qui s'est très vite lancé dans l'écriture, mais également d'autres auteurs, Pirandello leur a d'ailleurs confié quelques pièces. Les deux frères se séparent en 1944, Eduardo continue avec une nouvelle troupe. A la fois acteur, metteur, en scène, auteur, c'est l'homme de théâtre par excellence. Très célèbre dans son pays, traduit et joué dans de nombreux pays par des interprètes prestigieux (par exemple Laurence Olivier), évoqué pour le Nobel, il demeure encore peu connu et joué en France. La grande magie, créée en 1948, souvent présentée comme sa meilleure pièce, est une des rares à avoir connu quelques productions.
Nous sommes dans un hôtel, les potins vont bon train. C'est un jeune couple qui au centre de l'attention, Calogero et Marta. le mari est désagréable avec tout le monde, et très jaloux de sa femme qu'il surveille de très près. Elle a un soupirant, Mariano, qui n'arrive pas à conclure compte tenu de la garde très rapprochée du mari. Il profite de la venue d'un magicien, devant donner un spectacle dans l'hôtel : contre une petite somme, Otto le magicien, doit permettre au couple de s'enfuir, sous prétexte de faire participer Marta à un numéro, au cours de lequel elle est censée disparaître. Au mari qui réclame le retour de son épouse, Otto donne une petite boîte, en affirmant qu'elle est à l'intérieur. le mari peut l'ouvrir pour la récupérer, mais attention, s'il lui est arrivé de douter d'elle, elle ne reviendra jamais. le mari jaloux n'ose ouvrir la boîte. Il relance le magicien, envoie même la police chez lui, mais toujours pas d'épouse, et le magicien lui fait douter de la réalité du monde : ce que vit Calogero est-ce bien la vérité, où est-il toujours dans un numéro de magie, qui lui donne la sensation de vivre plusieurs années, alors qu'il ne s'agit que de quelques instants, et que le monde tel qu'il est va reprendre son cours. Et l'épouse fugueuse finit par avoir envie de revenir…
Une pièce extraordinairement bien construite et pensée, très cohérente, et qui dessine des personnages très attachants et complexes, surtout Calogero. Très antipathique au début de la pièce, le départ de Marta fait vaciller son monde, il comprend très bien que c'est son comportement à lui qui a provoqué la catastrophe, et qu'il est l'artisan de son malheur. du manipulé il devient moteur, il plonge dans le monde d'illusions crée par Otto d'une façon qui met celui-ci presque sur la touche, on a la sensation que Calogero finit par lui faire peur, en s'engageant d'une façon extrême dans cette sorte d'univers parallèle, dont il finit par être le véritable démiurge. D'une certaine manière, Marta lui appartient encore plus dans la petite boîte que lorsqu'il l'avait en chair et os devant lui. Toute une galerie de personnages entoure les deux rôles principaux, donnant lieu à des scènes drôles ou plus touchantes.
Vraiment une excellente pièce, l'aspect théâtre dans le théâtre, fait un peu penser à Pirandello, mais c'est beaucoup plus sensible, moins théorique, nous sommes devant des vraies personnes avec des vraies histoires de vie, ce qui permet de beaucoup plus s'identifier et s'attacher.
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Ravi de plonger dans l'univers magique de la dramaturgie d'Edouardo de Fillipo, auteur que j'avais zappé bien malgré moi. J'ai d'abord lu "Sik-Sik", pièce courte de jeunesse, tranchante et caustique, sur les dérives du système économico-culturel, qui déjà placarde certaines pratiques comme l'illusion au "sous-produit" culturel. Ce n'est pas pour cela que le microcosme humain ne se comporte pas comme chez les "grands". Ce dispositif est déployé de manière bien plus ample, dans "La Grande Magie". le vaudeville s'y invite de manière doucereuse, snob et décomplexée. La magie, l'illusion, l'hypnose, vient projeter le projeter bien au-delà, tout en sondant la souffrance humaine, la liberté, la libération, l'amour éconduit, le consentement, quelque part. C'est très juste, enjoué, drôle et prenant. du beau théâtre à lire et à voir, cela doit être quelque chose !
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Chaque jeu se déroule suivant ses propres règles. Il existe des jeux d'illusion qui durent depuis des milliers et des milliers d'années et qui sont loin d'être achevés...
Tu crois que le temps passe ? Ce n’est pas vrai. Le temps est une convention. Le temps, c’est toi.
Calogero : Je ne snobe personne, surtout pas les gens qui me sont antipathiques.
Entretien avec HUGUETTE HATEM, grande traductrice vers le français, notamment du dramaturge italien Eduardo De Filippo, et grande spécialiste française du théâtre italien, réalisé par Michele Canonica pour le site L'Italie en direct. Mars 2013.
Vidéo postée sur le site L'Italie en direct.