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Critique de de


Damas nous tend aujourd'hui son miroir

L'histoire et ses bifurcations, la non linéarité des temps, Jean-Pierre Filiu propose des éléments au passé et au présent de cette région qui fût un des « centres » du monde. Récits et contrepoints pour la Syrie, notre histoire…

Comme le souligne l'auteur dans son introduction, « La descente aux enfers de la Syrie et de son peuple n'est ni un problème d'Arabes, ni le solde de querelles immémoriales. Elle est épouvantablement moderne, car les bourreaux de ce temps n'invoquent un glorieux passé que pour consolider leur pouvoir absolu ».

Voyage très subjectif dans le temps et l'espace.

Saint-Paul et la naissance/invention de la chrétienté, Alep, Damas, Antioche, Tarse, Iconium, Jérusalem, la bible et les évangiles, une Eglise naissante distinguant « les toujours-juifs des juste-chrétiens », géopolitique de l'évangélisation…

Le temps de l'écriture. Ici comme dans les autres religions, il fallut du temps et c'est à la fin du IIe siècle que fut constitué le « Nouveau Testament ». Ecrit par des hommes, toujours pour des raisons socio-historiques, ce qui n'exclut cependant pas les aspirations vers un monde meilleur. C'est sur ces territoires, aujourd'hui nommés Syrie que le « christianisme a commencé de s'émanciper du judaïsme comme culte religieux et pratique sociale ». L'auteur parle de la croissance d'une chrétienté « consciente d'elle-même au point de nourrir une ambition universelle ».

Jean-Pierre Filiu parle des schismes d'Orient, d'Antioche et d'Alexandrie comme pôles majeurs de cette chrétienté hellénisé, d'une autre chrétienté développée le long des routes caravanières, celle orientale dans ses rites et son art, de la conversion de Constantin au christianisme, des querelles sur la nature du Christ, des hérésies, de l'Eglise « jacobite » dénommée aussi syriaque-orthodoxe, de saint Simèon, du nestorianisme et du miaphysisme, de l'Eglise « maronite », de la « Vrai-Croix » et de ses avatars, de Maoula, des Grecs-Orthodoxes appelés en arabe Roum, les Eglises dites « autocéphales »… le monde divers des appréciations et des inspirations religieuses… Bien des territoires évoqués portent aujourd'hui les stigmates du « conflit syrien ».

Le prophète Mohammed, l'Oasis de la Mecque, Médine, l'annonciation de Bosra, les Qoraychites, les Omeyyades, le « Messager de Dieu », le chef de guerre, le « sabre de Dieu », les dimensions temporelles du pouvoir, les impitoyables « guerres d'apostasie », les Byzantins, l'ère de la Discorde, la Fitna, la guerre civile, les kharijites, la victoire des Omeyades et la sorte de l'islam hors d'Arabie…

La dissidence de Hussein, les califats, la tragédie de Karbala, l'émergence tardive du sunnisme et du chiisme, les recueils monumentaux de hadiths au IXe siècle et le travail normatif, « La Révélation divine est ainsi complétée par les faits et gestes de celui qui en fut le Messager », les dimensions apocalyptiques, la figure du faux Prophète, le Livre des discordes, les dissidences dont celle de la communauté ismaélienne, la mobilisation messianique, ceux nommés « Druzes », les Nosaïris appelés aujourd'hui Alaouites, les persécutions collectives, les croisades et l'orgie de sang, Saladin, les mystiques souffis, la réécritures des croisades au XIXe siècle « en manifestation précoce de l'impérialisme européen », la terreur venue des steppes, les mamelouks, les Mongols, les Baybars, un khan converti à l'islam, takfir et jihad, Tamerlan, Ibn Khaldoun, l'empire ottoman, les échanges en méditerrané orientale, les alliances et les établissements consulaires, les églises orthodoxes et les dissidences catholiques, Alep et le commerce, le monde…

Napoléon et l'Egypte, Lamartine et laSyrie, les communautés juives, l'émir Abdelkader, l'Anatolie, la fin de l'empire ottoman, le génocide des arméniens (je souligne les très belles pages sur ce sujet), les « accords Sykes-Picot », le partage franco-anglais, la déclaration de Balfour, la rage de diviser, les résistances à l'occupation, les annexions turques, les politiques françaises…

Passé récent et présent, Jean-Pierre Filiu analyse, entre autres, les politiques menées par le régime syrien (de Hafez al-Assad à Bachar al-Assad), l'antisémitisme du régime Assad et la protection accordée à d'anciens nazis, les discours sur les « minorités », la Syrie au Liban, la proclamation de l'« Etat islamique en Irak et en Syrie » (Daesh), les rebelles de l'Armée syrienne libre (ASL), les jihadistes du front Al-Nosra (branche syrienne d'Al-Qaida), les bombardements aux armes chimiques, l'impunité garantie au régime syrien, le camp palestinien de Yarmouk, les faisceaux d'alliances, les alliances Hafez al-Assad-« République islamique » ou Bachar al-Assad-milice libanaise du Hezbollah-Russie de Poutine-mollarchie iranienne, la propagande apocalyptique de Daech, comment « jihadistes et pro-iraniens s'accordent pour nier la réalité de la Syrie, de son peuple et de sa révolution », les insurgés contre Daech, l'exode des populations, le retour de la faim…

En complément possible sur ces sujets, Gilbert Achcar : le peuple veut. Un exploration radicale du soulèvement arabe et Symptômes morbides.
Le titre de cette note est une phrase tirée de l'introduction de l'auteur. Cet ouvrage fournit de multiples éclairages, des mises en histoire, « L'Histoire ne se répète pas à Alep, elle se consume sous nos yeux », de la consistance contre les simplismes orientalistes ou les essentialisations culturalistes, de l'épaisseur aux rapports sociaux loin des clichés confessionnels.

Jean-Pierre Filiu critique, entre autres, la valorisation du régime « comme seule alternative au chaos », la phraséologie des crimes contre l'humanité sans criminels désignés, « L'abjection n'est fondamentalement qu'abjecte, et c'est déjà plier l'échine que de la parer d'atours légendaires », l'euphémisation de la violence.. « le miroir de Damas nous renvoie bel et bien l'image de qui nous sommes… »
Lien : https://entreleslignesentrel..
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