Voici un premier roman remarquable, fort,éblouissant , puissant,lu d'une traite....un cri, un appel...une réflexion intelligente, entre essai et fiction, un ouvrage sur "
l'oubli"ou plus exactement sur ce que l'on appelle "le devoir de mémoire".
L'héroïne, Alma,part en guerre contre la mémoire obsessive.
Cette mémoire, c'est celle de la Shoah.
Elle la ronge, la remplit à chaque instant, son cerveau est obnubilé,alimenté, nourri par toutes les pensées inachevées, violentées,envolées, exterminées que l'humanité a laissé en déshérence depuis la Shoah, elle sillonne Paris de nuit comme de jour, errant entre Oberkampf et Hauteville, de la nuit jusqu'à l'aube pour trouver l'innocence.
Une quête philosophique ou une femme d'aujourd'hui héritiére d'un passé trop lourd qui "veut oublier tout" puisque " oublier c'est tenter de vivre".
Quand elle cherche le sommeil, elle ne parvient pas à chasser de son esprit les images des déportés dans les chambres à gaz.
Pas facile d'oublier les quatre millions de morts sans sépulture, dont six millions de juifs, raflés, conduits en train vers les camps, pas facile d'oublier le mot allemand:",aussterben,"disparaître".
Et la géographie de la mort, à plat sur la carte de l'Europe où s'affichent tous les points noirs des camps maudits comme une constellation mortifére.
"Ma mémoire s'est retournée contre moi, elle a cessé d'absorber le temps".
"Mon imagination est un château- fort. Je suis toute puissante, personne n'est en capacité de me faire du tort".
"J'écoute de la musique: une superposition mentale de plusieurs mélodies, comme une superposition de corps dans une fosse, sans la saleté et la putréfaction que cela induit, mais dans le même désordre"....
Un ouvrage déroutant que l'on ne lâche pas, une réflexion moderne, un appel au secours? , une fascination face à la solitude des chiffres et des images- surtout des chiffres-.
Un travail litteraire qui déroule une réflexion qui transcende et élève avec des éclairs imaginaires éblouissants comme cette scéne où l'héroïne tue son chien et l'enterre en pensée dans la forêt de Compiégne puisque "pour renoncer à son enfance ,il faut d'abord éliminer son chien" dans un détachement poétique et irréel, un équilibre entre l'intime et l'universel, ou encore Wolgang,le cheval de course qu'aimait son grand- pére mort en chutant à Auteuil, qui n'a jamais arrêté de courir et de gagner sa course pour la gloire des disparus avec sa casaque rouge cinabre!
Une voix tout à fait singulière le travail de quête d'une écrivaine , étudiante en philosophie de 23 ans.
Mais cet ouvrage risque de ne pas plaire à tout le monde et ne laissera personne indifférent, car bourré de paradoxes!
Je n'en dirai pas plus....un livre émouvant de distance, de froideur ,certes, mais qui nous brûle, paradoxalement.
"Qui songe à oublier se souvient".On le referme secoué, on se replonge avec une angoisse indicible dans ces odieuses réminiscences de la folie hitlérienne, avec , en fond sonore" One more Time" deDaft Punk ou " les variations de Goldberg" jouées par
Glenn Gould ou encore la musique de Mahler.....
Nuit et barbarie....jour et brouillard... Malédiction du mal....
À suivre !