Dix ans après le « printemps arabe » du Caire, ces deux romans témoignent de la vitalité – et du désespoir – d’une littérature.
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N’oublie pas que ma mère est la vraie Égyptienne de l’histoire ; c’est une fille de Shoubra. Tant que cela concernait le Costa Rica ou le Lesotho, elle me laissait me débrouiller. Mais lorsque le sujet commence à toucher son pays, elle a un avis. Elle m’a dit : “Quels puits vous allez creuser ? Tu penses que l’Égypte manque de trous ? Allez plutôt combler tous les trous dans lesquels sont engloutis les gens.” Et lorsque j’ai demandé à ma mère comment j’allais combler les trous de la corruption, elle m’a répondu que ce sont les gens du pays qui sont capables de le faire car ils connaissent le pays mieux que les autres mais ils n’ont ni la capacité ni l’espoir pour pouvoir les combler, par conséquent tout ce que peuvent faire les étrangers comme moi c’était de leur donner l’espoir et la capacité. Ma mère, la fleuriste, venait de résumer en deux lignes la doctrine de la coopération internationale avec la société civile. Ses paroles étaient très claires et convaincantes. J’ai immédiatement compris son point de vue et elle m’a convaincue. Une semaine après, j’ai trouvé un poste dans l’une des fondations qui travaillent dans le domaine du renforcement des organisations de la société civile.
Une nationalité est faite pour t’attribuer des droits ; celle-ci est faite pour t’attribuer des malheurs.
— Quelle horreur !
— Réfléchis un peu : cette nationalité est ce qui se rapproche le plus d’un instrument d’esclavage. Le simple fait de l’avoir t’inflige des devoirs infinis et elle ne te donne pas un seul droit. Si tu avais été américaine d’origine colombienne, est-ce que tu aurais eu toutes les malédictions que tu as rencontrées lors du procès ? Est-ce que quelqu’un t’aurait accusée de trahison ? Est-ce qu’on t’aurait accusée d’être une pute ? Du tout. Personne n’aurait fait attention à toi. Mais le simple fait que tu détiennes la nationalité égyptienne donne le droit à quatre-vingt-dix millions de citoyens qui ne savent rien de toi de te juger selon des normes qui ne s’appliquent qu’à des Égyptiens, et te condamnent en conséquence. Même le fait de rentrer en Égypte et d’y résider est plus simple pour les étrangers : à l’aéroport, personne ne t’arrête ou te soupçonne de quoi que ce soit.
C’est à cette heure-ci que tu rentres ? Tu bois de l’alcool ? Tu ne pries pas ? Tu n’as pas appris l’arabe ? Pourquoi tu danses comme ça ? Tu as des relations sexuelles ? Ainsi de suite… Un torrent d’ingérences, de restrictions et de culpabilisation permanentes. J’ai toujours eu l’impression d’être une personne bienveillante, aimable, sympa, et les gens me traitaient ainsi. Jamais de ma vie je ne me suis sentie sale, impure, ni ne me suis considérée comme une pute, une femme déshonorée ni une mauvaise personne, il n’y a que les Arabes et les musulmans, ici et aux États-Unis, qui m’ont fait ressentir cela.
— Alors pourquoi es-tu restée ?
— Parce que, d’un seul coup, tout a changé. Une révolution a eu lieu. 2011 était l’inverse des années précédentes ; c’étaient les meilleurs moments de ma vie. Soudainement, ma nationalité n’avait plus aucune importance. J’étais égyptienne car le monde entier était égyptien. Et j’étais américaine et pourtant aimée des Égyptiens qui ne me parlaient pas du soutien américain à Israël, ni de l’invasion de l’Irak comme si j’en étais responsable. C’était une année durant laquelle j’ai vu les gens optimistes, aimants et bons, et j’ai senti une force et un pouvoir que je n’avais jamais ressentis auparavant. Puis l’année s’est achevée et comme tu le sais cela a viré au cauchemar : de nouveau, ma nationalité et ma religion étaient redevenues des sujets de tension. Je sais bien plus que toi le fardeau que représentent pour moi cette nationalité et cette religion. Mais la stupidité des gens ne doit pas m’obliger à abandonner mes droits.
La plupart des gens me considéraient comme une Arabe alors que je ne me voyais pas ainsi. Je savais que j’avais des origines égyptiennes, tout comme mes parents, mais pour moi j’étais américaine. Je ne parle pas l’arabe, et je ne me retrouve pas dans les anecdotes fréquentes chez les enfants d’immigrés : je ne suis jamais allée à l’école du dimanche pour apprendre l’arabe, je n’ai pas passé d’après-midi avec ma famille à regarder de vieux films arabes tristes, et je n’ai pas vraiment de souvenirs d’Égypte à part de courtes vacances, avec à la fois leur lot d’hospitalité et de complications.
Elle penche la tête pendant qu’il enfouit la sienne dans ses seins. Il sent sur son visage leur souplesse et leur fermeté ainsi que le sillon entre eux. Alors il y plonge son visage davantage, et elle l’enserre. Ils fusionnent. Il lève la tête d’entre ses seins et voit ses lèvres. Leurs lèvres se répandent en baisers, jusqu’à en perdre haleine. Elle se redresse pour reprendre sa respiration. Pour la première fois, il sourit, et l’enlace, assise sur ses genoux. Ses mains flânent de ses cheveux à son dos, sur ses seins et sur sa taille, de ses mollets jusqu’à ses pieds. Il en soulève un et se penche pour l’embrasser, puis fait de même avec le second. Il lui laisse sa place sur la chaise et, désormais recroquevillé sur le sol, il lui embrasse les pieds, puis les mollets ; les genoux et les cuisses, puis cet endroit qui nous ferait mettre en prison, simplement pour l’avoir nommé, puis son ventre et ses seins.