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Critique de Alfaric


Sorti par la porte de la collection Lunes d'Encre chez Denoël, Gilles Dumay revient par la fenêtre de la concurrence à la tête de la collection Albin Michel Imaginaire. Il nous dit qu'il connaît très mal la Fantasy : venant de quelqu'un qui à plusieurs casquettes a travaillé 20 ans dans les littératures de l'imaginaire c'est fort de café, mais si c'est vrai il aurait pu nous épargner durant toutes ces années ses diatribes haineuses contre le « rayon des archères elfes à grosse poitrine » (sic). Il nous explique aussi qu'il navigue à vue car il ne connaît pas ses propres chiffres de ventes : ou il ment et il est dans l'hypocrisie la plus complète, ou il dit vrai et la médiocrité des éditeurs français dépassent mon imagination qui est pourtant fort élevée… Toujours est-il que pour diverses raisons il a décidé d'éditer en 2 parties le roman anglais intitulé "Battle Mage" / "Mage de bataille" et on se retrouve une fois de plus avec un livre qui coûte 15 £ en Angleterre et qui coûte 50 € en France. Car en France les éditeurs sont schizophrènes : ils considèrent la littérature comme un Bel Art réservé à une élite sociale et culturelle, mais après ils se plaignent que rien ne se vend et inondent le pays de bouses yankees bon marché pour se refaire la cerise tout en critiquant les vils goûts de la plèbe censément composées de teubés décérébrés… YAM ! (y'en a marre !!!)

Je ne suis pas hostile à la Fantasy classique, même s'il faut toujours passer outre une phase de mise en place plus ou moins stéréotypée… Mais là c'est difficile tellement j'ai été assailli par les clichés car on est à la fois dans le Teen Movie et la Dystopie Young Adult ! Alors on a Falco Danté un anti-héros forcément adolescent et forcément orphelin (mais de noble voire héroïque ascendance), intello tourmenté au sombre passé, Malaki son pote populo et musculo qui le protège des autres et de lui-même, Bryna sa pote féministe qui se fait bolosser par les machos qui se veulent virilistes, le fresh air aristocratique qui joue le rôle du quaterback de lycée médiéval fantastique, et sa bande de caïds de cour de récré. C'était déjà cliché il y a une bonne vingtaine d'années, donc il n'y aucune raison que ne soit pas encore plus clichés aujourd'hui, et pour ne rien gâcher on veut donner dans le gentil peuple contre la vile aristocratie mais finalement c'est plutôt juste la petite aristocratie contre la grande aristocratie… Une fois passés tous les clichés Falco Danté se la joue Elric de Melniboné (asthme, pneumonie, tuberculose, mucoviscidose : on met sa maladie en avant pour ensuite l'oublier complètement) et sème involontairement la chaos et la désolation : une légion de l'enfer se rapproche de Caer Dour, le mage Darius Voltario invoque un dragon pour les combattre et les choses ne se passent pas très bien … On assiste alors à une remake de la fuite d'Edoras vers le Gouffre de Helm en suivant en parallèle un convoi de réfugiés poursuivis par l'armée ennemie (que l'élite comme d'habitude veut laisser à son sort pour sauver sa peau : une fois de plus les membres de la prétendue haute et bonne société fuient le navire comme les rats qu'ils ont toujours été), et un commando envoyé en avant chercher du renfort pourchassé par des démons ailés et donc le sort semble dès le départ scellé ! du sang et des larmes, c'est tragique et c'est épique, mais c'est surtout très bien fait malgré 1 ou 2 défauts (les chevaliers qui font comme dans les jeux vidéos des roulés-boulés en armure de plaques, ou l'inévitable sacrifice du mentor magicien qui ici nous gratifie d'un magistral « Vous ne passerez pas ! » plus gandalfien tu meurs)...

Arrivé à ce moment-là, j'étais à fond de dedans et plein d'espérances quant à la suite du roman… Mais on retombe ensuite directement dans les stéréotypes pour rester gentil. Alors on nous explique à retardement un worldbuilding fonctionnel à la David Eddings avec une méchante puissance orientale appelée Férocie (sic) avec son Sauron de circonstance nommé Marquis de la Douleur (sic) et ses lieutenants ressemblant beaucoup trop à des Balrogs pour êtres honnêtes (et qui sont porteurs de critiques contre le totalitarisme et le terrorisme donc c’est assez bizarre à lire tellement c’est pompier), des puissances centrales scandinaves et germaniques tombées à l'ennemi, un pseudo-France sur le point de succomber à son tour, des Latins qui s'en lavent les mains (Espagnols ou Italiens ? Il aurait été tellement plus intéressant de point du doigt les atermoiements hautement coupables de la puissance américaine autoproclamée leader du Monde Libre), et une pseudo Grèce paralysée entre clergé et royauté, donc tout repose sur les épaules d'une pseudo Angleterre dirigée par une reine (Elisabeth Ière ou Elisabeth II ?) qui elle-même se repose sur son principal conseiller (John Hawkins ou Winston Churchill ?). Comme l'auteur semble francophile on évite le french bashing, mais pour le reste on est au royaume des clichés. Niveau personnages, on passe de l'Angleterre aux États-Unis avec une Fantasy militaire qui ne dit pas son nom : les adolescents sont pris en mains par une académie de guerre / école de bataille supérieure à la Westpoint pour devenirs des hommes/femmes, et Falco doit devenir mage, Malaki officier chevalier, et Bryna officier archère… Sans parler des anachronismes conceptuels, on retrouve absolument tous les passages obligés des récits d'apprentissages militaires, et cela ne serait absolument pas un défaut s'il n'y avait pas un os dans le potage : on nous explique en long, en large et en travers que le Royaume d'Ire est le bastion du Monde Libre qui doit former les officiers chargés de dirigés et d'entraîner les forces du Monde Libre mais tout se fait dans un système élitiste détestable à souhait qui n'a aucun sens (on veut former des formateurs qui vont démocratiser toutes les techniques militaires permettant d'emporter la victoire sur l'Axe du Mal, mais dans quel but vu qu'on ne sélectionne que des nobles pourris gâtés qui en ont rien à foutre du reste de la société ? Pensée unique ou 2e degré critiquant tout ce bordel institutionnalisé ???). On a aussi niveau complots et intrigues de circonstances un simili conflit État / Église, puisque les alchimiste héréditaires veulent remplacer les mages héréditaires, alors qu'on nous explique moult fois que les premiers mettent des heures voire des jours à lancer les sortilèges que les secondes lancent immédiatement ou presque (ah l'innée et l'acquis, débat de la Fantasy et de la SFFF, de la société et de l'humanité : je vous laisse deviner ce que l'auteur et les médias prestitués ont privilégié)… Et qu'est-ce que c'est que ce naming qui fait que la Fantasy gît parfois lamentablement à nos pieds : Sébastien Cabal, Dominic Ginola, Marshal Breton, Patrick Vockler… Oh Secours !!!

J'ai l'impression d'un auteur qui a voulu marier les héritages du tolkienisme à l'américaine à ceux d'Ursula le Guin et Anne McCaffrey, mais qui anglais oblige n'a pas pu s'empêcher de piocher dans le grimdark de la franchise Warhammer… Ça nous donne évidemment un auteur anglais qui écrit à l'américaine (argh c'est quoi ces histoires de « mémoire raciale » !), donc à mi-intrigue on ne sait toujours pas d'où viennent les démons et les dragons au centre de l'intrigue... Ce n'est ni mal écrit, ni mal construit, ni mal traduit, mais on voit bien les limitations de l'auto-édition quand elle n'est pas accompagnée d'un minimum d'introspection (car oui ici la comparaison avec un Michael J. Sullivan fait assez pour ne pas dire très mal)… On aurait pu virer les personnages clichés pour construire une dualité entre Falco écrasé par le souvenir d’un père trop absent appartenant à un camp et Meredith écrasé par le souvenir d’un père trop présent appartenant à l’autre camp : putain qu’est-ce que cela aurait été trop bien dans cette configuration ! (on aurait même pu aller vers un romance lgbt et cela aurait été carrément révolutionnaire !)
Je suis sans doute sévère et sans doute que les easy readers fantasy y trouveront agréablement leur compte (et c'est tant mieux hein, je ne veux pas pourrir leur grove), mais dans mon parcours de lecteur je privilégie désormais l'efficacité sur le fond et sur la forme donc je n'ai plus guère de pitié pour les gros pavés farcis de clichés ! Toutefois, j'espère de tout cœur que la 2e partie me fera mentir en étant plus réussi et plus emballante ^^


Challenge défis de l'imaginaire (SFFF) 2019
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