Je viens de terminer la lecture de salammbô, de
Gustave Flaubert et c'est pour moi un véritable coup de coeur littéraire. Je pense que le qualificatif de chef d'oeuvre n'est pas exagéré. Ah ! Quand je pense que ce roman était là dans ma bibliothèque à m'attendre depuis des lustres ! Je m'en veux...
Dès l'incipit, le ton est donné. Il est à la fois d'une simplicité désarmante, d'une poésie inouïe et d'un exotisme flamboyant. Écoutez un peu, car
Flaubert, cest aussi le bonheur de le lire à haute voix : « C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar. »
Cela ressemble au début d'une fable, avec cette phrase sonore et harmonieuse qui sonne comme un haïku et qui invite à dérouler les pages...
Je vous pose rapidement l'intrigue. Nous sommes au IIIème siècle avant J.-C., la première guerre punique vient de se terminer, qui opposa Carthage à Rome. Roman historique ? Pas tout à fait, même si
Flaubert s'est beaucoup documenté, a même
voyagé sur les pourtours de la Méditerranée pour s'imprégner des paysages, des sensations, des odeurs, de l'espace, de la topographie, imaginer comment planter le décor, déverser des armées et des cohortes d'éléphants dans les pages de son récit, poser l'intrigue amoureuse et ce personnage totalement sorti de son imaginaire, salammbô. Voilà aussi un nom teinté d'exotisme envoûtant !
Dans cette expérience orientaliste,
Flaubert avoue même dans sa Correspondance avoir ramené de son premier voyage en Méditerranée un herpès génital, sans savoir laquelle des deux femmes, « la Turque ou la Chrétienne » ce sont ses mots, rencontrées la même nuit et invitées toutes les deux dans la chambre qu'il partageait avec
Maxime du Camp son compagnon de voyage, lui avait offert ce souvenir désagréable dont on dit qu'il le poursuivra jusqu'à sa mort et en fut peut-être la cause de celle-ci...
Le récit démarre par la scène d'un festin, scène démente, outrancière qui donne le ton, les mercenaires, qui ont contribué par leur nombre et leur bravoure à la victoire, fêtent à Carthage la fin de la guerre, au sein même des jardins du suffète Hamilcar, général en chef des forces carthaginoises qui conduisit cette guerre et qui n'est pas encore revenu. Les mercenaires ont franchi les portes de Carthage et dans ce jardin sont venus réclamer leur dû auprès du général Hamilcar, absent. Les aristocrates de Carthage refusent de les payer, invoquant les finances mises à mal à cause de la guerre. Se sentant victimes d'une injustice, vexés, les redoutables mercenaires dévastent la propriété d'Hamilcar sous les yeux de salammbô, la fille du général mais aussi prêtresse de Tanit déesse de la Lune, qui tente de les calmer. C'est le carnage à Carthage. Un homme, le chef des mercenaires, le libyen Mâtho tombe alors éperdument amoureux de cette vierge divine.
Plus tard, il aura l'affront de voler le zaïmph, le voile sacré et vénéré de la déesse Tanit, dans le temple qui lui est dédié et sous les yeux de salammbô.
De cette rencontre va naître une liaison fatale, qui va précipiter tout le monde dans la guerre, une guerre sans merci, conquête du pouvoir, conquête de Carthage, conquête de salammbô...
À partir de cet instant, salammbô n'aura pas d'autre choix, imposé par son père sous la pression des prêtres de Carthage qui dictent le pouvoir politique et religieux, que d'aller elle-même récupérer le voile sacré, c'est elle qui doit laver l'outrage, salammbô est envoyée au sacrifice par la justice des hommes et des Dieux...
" Il était à genoux, par terre, devant elle ; et il lui entourait la taille de ses deux bras, la tête en arrière, les mains errantes ; les disques d'or suspendus à ses oreilles luisaient sur son cou bronzé ; de grosses larmes roulaient dans ses yeux pareils à des globes d'argent ; il soupirait d'une façon caressante, et murmurait de vagues paroles, plus légères qu'une brise et suaves comme un baiser.
salammbô était envahie par une mollesse où elle perdait toute conscience d'elle-même. Quelque chose à la fois d'intime et de supérieur, un ordre des Dieux la forçait à s'y abandonner ; des nuages la soulevaient, et, en défaillant, elle se renversa sur le lit dans les poils du lion. Mâtho lui saisit les talons, la chaînette d'or éclata, et les deux bouts, en s'envolant, frappèrent la toile comme deux vipères rebondissantes. le zaïmph tomba, l'enveloppait ; elle aperçut la figure de Mâtho se courbant sur sa poitrine. "
Après cela, toutes les scènes d'amour que vous rencontrerez dans les autres romans vous paraîtront bien fades...
Alors, ce sera un déferlement de violences inouïes, de massacres. C'est un récit d'une très grande férocité, les scènes décrites sont horribles. Les mots de
Flaubert dans leur justesse sont là aussi pour dire l'innommable.
Le malheur humain est sans limite, il y a une violence de l'Histoire,
Flaubert nous montre la capacité de violence de cette Histoire
J'y ai vu un pamphlet contre les guerres, salammbô montre, dénonce en quelque sorte cette capacité de l'humanité de produire des massacres de masse. Ils seront nombreux, hélas, après
Flaubert, après l'écriture de son récit. Les mots de l'écrivain auront été vains...
J'y ai vu aussi un autre pamphlet contre les religions qui sèment ces guerres. Ici
Flaubert montre la folie humaine capable d'inventer des dieux qui vont exiger des hommes jusqu'à leur propre destruction. Ici ce qui m'a saisi c'est jusqu'à quel point les hommes peuvent se saisir des dieux qu'ils vénèrent pour justifier leurs actes. Cela ne vous évoque rien ?
Dans ce désastre et cette folie, salammbô n'incarne pas que la passion amoureuse, c'est une femme fatale, damnée, comme celles des récits de la mythologie qui ont causé des guerres, précipité la chute d'empires par leur beauté et leur mystère. Comment ne pas penser alors à Hélène, à la guerre de Troie, à l'Iliade... ? C'est le roman d'une tentative d'émancipation, d'une femme qui cherche à transgresser les lois des hommes et des prêtres.
C'est un roman énorme comme les éléphants qui traversent les pages, détruisent tout sur leur passage.
L'imaginaire de
Flaubert est ici à son comble. C'est un tourbillon d'images. C'est un déferlement de sensations, d'émotions, de passion amoureuse...
Il y a une justesse de l'écriture, c'est comme un chant lyrique, une sorte d'opéra, c'est un péplum en prose poétique, ce sont des mots teintés d'odeurs et de couleurs, pour dire l'horreur, les guerres, la folie humaine.
La beauté fluide de l'écriture de salammbô est intemporelle. Elle est envoûtante et dévastatrice comme les armées qui s'affrontent sous le soleil de Carthage pour salammbô. Comme le vertige des mots de
Flaubert et leurs mirages. C'est juste beau.