Adolescente, j'ai lu et aimé salammbô. Je n'en ai gardé que des souvenirs très vagues, ceux d'une lecture riche, d'un style foisonnant, de magnifiques tournures de phrases et d'une belle héroïne au destin tragique.
Suite à la superbe critique de Berni_29 que je remercie infiniment, j'ai eu envie de le relire.
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L'histoire commence au IIIe siècle avant J.C., après la première guerre punique, au moment où les riches marchands de Carthage, plus soucieux de leurs richesses que de la ville, refusent de payer ce qu'ils doivent à l'armée de mercenaires qui a vaillamment combattu Rome auprès d'Hamilcar, le plus grand général carthaginois. Ils décident alors de se révolter et d'attaquer la ville.
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"salammbô", c'est au départ Carthage qui nous apparaît dans toute sa magnificence, son opulence.
Gustave Flaubert commence son récit par de magnifiques descriptions de la ville. Sous les mots de l'auteur, elle se pare de majesté, de luxe et d'une surabondance de richesses.
"salammbô", c'est aussi le récit de cet incroyable siège que vont entamer les barbares, bien décidés à profiter des récompenses promises. Mais le plus beau joyau de Carthage, ne serait-il pas la magnifique salammbô, objet de toutes les convoitises ?
Car salammbô, c'est avant tout le nom d'une grande prêtresse de la déesse Tanit et la fille du grand
Hamilcar Barca.
Mathô, un des chefs barbares, va en tomber follement amoureux.
« Sa chevelure, poudrée d'un sable violet, et réunie en forme de tour selon la mode des vierges chananéennes, la faisait paraître plus grande. Des tresses de perles attachées à ses tempes descendaient jusqu'aux coins de sa bouche, rose comme une grenade entrouverte. Il y avait sur sa poitrine un assemblage de pierres lumineuses, imitant par leur bigarrure les écailles d'une murène. Ses bras, garnis de diamants, sortaient nus de sa tunique sans manches, étoilée de fleurs rouges sur un fond tout noir. Elle portait entre les chevilles une chaînette d'or pour régler sa marche, et son grand manteau de pourpre sombre, taillé dans une étoffe inconnue, traînait derrière elle, faisant à chacun de ses pas comme une large vague qui la suivait. »
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Ce que je retiens avant tout de cette histoire, c'est le style inimitable de
Gustave Flaubert. Je me suis laissée porter par le rythme, la mélodie, les mots qu'impose le texte.
Dans une prose poétique et musicale soutenue par de longues phrases, l'auteur décrit le conflit avec un luxuriance de détails. Son écriture très visuelle, très sensorielle capte les couleurs, les odeurs, les mouvements, les bruits, créant une ambiance écrasante tout au long du récit.
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Mais c'est aussi une oeuvre où domine la cruauté, la barbarie, la sauvagerie.
La délicatesse, le raffinement et la beauté flamboyante de Carthage ne sont qu'apparence. Sous la couche de vernis, se cache un peuple dur, impassible, menaçant, féroce, monstrueux.
« Cent pas plus loin ils en virent deux autres ; puis, tout à coup, parut une longue file de croix supportant des lions. Les uns étaient morts depuis si longtemps qu'il ne restait plus contre le bois que les débris de leurs squelettes ; d'autres à moitié rongés tordaient la gueule en faisant une horrible grimace ; il y en avait d'énormes ; l'arbre de la croix pliait sous eux ; et ils se balançaient au vent, tandis que sur leur tête des bandes de corbeaux tournoyaient dans l'air, sans jamais s'arrêter. Ainsi se vengeaient les paysans carthaginois quand ils avaient pris quelque bête féroce ; ils espéraient par cet exemple terrifier les autres. Les Barbares, cessant de rire, tombèrent dans un long étonnement. « Quel est ce peuple, – pensaient-ils, – qui s'amuse à crucifier des lions ! » »
Le lecteur est confronté à un très fort contraste entre la beauté exotique de Carthage, de salammbô et les horreurs de la guerre où les hommes s'entretuent dans des combats au corps à corps.
M'apparaissent plusieurs tableaux effrayants et écoeurants dans lesquels des lions agonisants sont crucifiés ; où des corps, soldats et animaux enchevêtrés, s'entassent et se fondent dans des mares de sang et de viscères ; où des entrailles humaines font comme des guirlandes autour des défenses des éléphants mutilés, dressés à tuer ; où des corbeaux festinent de cadavres humains en décomposition ; où des hommes mourant de faim se nourrissent de la chair de leurs camarades morts ; où des enfants sont offerts aux Dieux pour obtenir leur clémence.
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Ce récit m'a beaucoup plu, mais j'ai tout de même quelques petits regrets qui n'entachent en rien la qualité du récit. J'espère par mes aveux, ne pas m'attirer les foudres des passionnés de
Gustave Flaubert.
Mon premier regret est que j'aurais aimé que la psychologie de salammbô soit davantage approfondie. On la sent cachée entre les lignes, délicieuse, obsédante, mais sa présence est voilée par les affres d'une guerre impitoyable.
L'amour entre salammbô et Mathô est présenté de manière passionnelle, tout en gardant beaucoup de pudeur et de retenue. Les deux amants sont déchirés par des émotions contradictoires, amour et haine, attirance et dégoût, détachement et convoitise. Les mots choisis par l'auteur magnifient cette relation par un jeu de symbolisme et de silences dans la narration.
« salammbô était envahie par une mollesse où elle perdait toute conscience d'elle-même. Quelque chose à la fois d'intime et de supérieur, un ordre des Dieux la forçait à s'y abandonner ; des nuages la soulevaient ; en défaillant, elle se renversa sur le lit dans les poils du lion. Mâtho lui saisit les talons, la chaînette d'or éclata, et les deux bouts, en s'envolant, frappèrent la toile comme deux vipères rebondissantes. »
Gustave Flaubert n'a pas son pareil pour nous décrire cet amour qu'ils se vouent, tout en nuances, mais et c'est mon second regret, je trouve que la relation amoureuse prend une place relativement minime au regard des scènes de guerre.
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Pour conclure, ce roman est une épopée historique triomphante de cruauté et de violence, mais également une belle histoire d'amour vouée à l'échec. Tout au long du récit, le lecteur peut voir, dans la multitude de détails et de références à la mythologie, l'énorme travail de recherche effectué par
Flaubert.
"salammbô" vaut la peine d'être lu pour la grandeur de Carthage, la beauté tragique de la jeune femme qui obsède Mathô, l'amour passionnée des deux amants, le récit épique des combats, mais surtout pour l'écriture fulgurante et lyrique de
Gustave Flaubert.