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Critique de Nastasia-B


Vingt ans après Madame Bovary, Gustave Flaubert reprend sa pièce maîtresse sous un autre angle et nous la montre par le petit bout de la lorgnette. En effet, la Félicité qu'il nous dépeint ici ressemble à s'y méprendre à la domestique d'Emma Bovary qui s'appelait… Félicité !

On retrouvera donc ici tout le parfum normand de Madame Bovary mais totalement aseptisé de ses vapeurs de soufre. L'auteur a vieilli et ne s'intéresse plus autant au scandale que par le passé, une envie, sans doute de revenir à des choses moins superficielles, prosaïques, assurément moins brillantes mais peut-être plus ancrées en lui…

Flaubert a su faire de l'écriture un point de broderie. C'est vrai ailleurs dans son oeuvre, et c'est vrai évidemment ici dans Un Coeur Simple. Un ouvrage de facture pointilleuse, métrée, cadencée, contournée, imbriquée, complexe derrière une apparente simplicité, foisonnante sous ses airs de sobriété.

Une écriture un peu trop précieuse et artificielle à mon goût car l'on n'y sent jamais aucune spontanéité (contrairement à ce qu'il faisait dans sa correspondance), aucun élan incontrôlé comme chez Hugo, aucune pointe malséante, aucun crachat de l'esprit comme chez Balzac. Une forme certes épurée et recherchée mais qui n'atteint pas selon moi l'élégance ou l'harmonie de celle d'un Stendhal.

Tout est maîtrisé, tout est sous contrôle ce qui nuit, je pense, à l'émotion que peut dégager cette écriture. Tout est trop net, trop épousseté, trop repassé, trop astiqué, trop apprêté, trop ordonné comme en ces appartements somptueux, où toute vie a disparu et dont toute faille humaine a déserté.

J'aime pourtant Un Coeur Simple ; mais d'un amour froid, admiratif, non contagieux comme en ces expositions de dentelles d'Alençon, toutes plus belles, toutes plus incroyables, dont on se dit : « Quelle minutie ! Quel travail ! Comme ça a dû être laborieux ! Combien patientes et dextres ont dû être ces dentelières ! »

Un Coeur Simple, probablement plus nouvelle que conte, bien que son auteur en ait décidé autrement, est intéressante à divers égards. Intéressante car Gustave Flaubert nous plonge à nouveau mais très différemment dans son univers " à la Madame Bovary ". Intéressante aussi parce qu'elle fait figure de passage de témoin entre Flaubert et Maupassant. Parue peu avant la disparition de papa Flaubert, à un moment où Guy de Maupassant, dans un registre un peu similaire entrait en piste... la filiation est tentante.

Pourtant, j'avoue avoir toujours un certain mal à percevoir cette filiation " naturelle ". Bien sûr, Maupassant est normand, comme lui, bien sûr ils se connaissaient et s'appréciaient mutuellement, bien sûr ils ont fait l'un et l'autre dans le régionalisme et dans la psychologie intimiste, bien sûr ils ont su tous deux remuer la nostalgie et les émotions mais il s'en faut de beaucoup, tout de même, pour faire De Maupassant un Flaubert et de Flaubert un Maupassant. Retirez le Trois Contes, et Un Coeur Simple en particulier, de la production de Flaubert et vous ne verrez plus forcément énormément de liens entre les deux oeuvres.

J'aime le Pays d'Auge et certains sur Babelio savent même que j'y ai vu le jour, à deux pas des pâturages mêmes que décrit Flaubert. J'ai donc un attachement tout particulier à cette nouvelle. Je puis même ajouter qu'il m'est arrivé de rencontrer de vieilles filles normandes qui répondent trait pour trait au portrait de Félicité (mais on en trouve beaucoup également chez Maupassant et avec un côté " terroir " peut-être encore mieux rendu).

Qu'est-ce qui nous touche dans Un Coeur Simple (ou du moins, qu'est-ce qui me touche, moi) ? Tout d'abord un sentiment de gâchis : une femme dévouée, simple, timide et humble, trop humble pour oser aller chercher son bonheur là où il est, pour avoir un mari et des enfants à elle, pour se créer sa propre vie. Et donc, faute d'avoir une vie à soi, elle goûte les miettes de la vie des autres en faisant montre d'un dévouement quasi surhumain et pour lequel elle ne recueille, bien souvent, que des marques de mépris.

Ce qui me touche aussi dans cette nouvelle, c'est le sentiment de nostalgie que sait faire naître l'auteur, notamment au travers du culte des objets dérisoires que Félicité élève au statut de reliques inestimables, faibles vestiges des quelques émotions qui lui tiennent lieu de souvenirs.

Ce que j'aime enfin dans Un Coeur Simple, c'est ce sentiment de douce pitié, de commisération que nous suscite Gustave Flaubert en nous dévoilant sur le tard, la principale, peut-être même la seule véritable histoire d'amour qu'ait connu cette petite femme dans sa vie, cette tendresse, cette communion, cet attachement entre elle et son perroquet Loulou.

Combien encore de nos jours — surtout de nos jours —, n'ont, pour seule compagnie et marqueur d'affection, qu'un chien, qu'un chat, qu'un hamster, qu'un lapin nain, un python (voir Gros-Câlin de Gary) ou... qu'un perroquet ? En cela, elle est belle cette histoire, belle et touchante, tout en subtilité, tout en caresse, mais bien sûr, ce n'est là que l'avis d'un coeur simple, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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