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EAN : 9782072568732
224 pages
Gallimard (03/09/2015)
3.96/5   39 notes
Résumé :
Nous ne sommes pas remplaçables. L’État de droit n’est rien sans l’irremplaçabilité des individus. L’individu, si décrié, s’est souvent vu défini comme le responsable de l’atomisation de la chose publique, comme le contempteur des valeurs et des principes de l’État de droit. Pourtant, la démocratie n’est rien sans le maintien des sujets libres, rien sans l’engagement des individus, sans leur détermination à protéger sa durabilité. Ce n’est pas la normalisation – ni ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
La vérité fait mal,
Surtout quand elle est bien (d)écrite.


Cynthia Fleury, psychanalyste et philosophe, avait déjà écrit “ Les Pathologies de la Démocratie” et “ La Fin du Courage”. Cette troisième oeuvre complète, sans doute, son engagement avec la problématique des dysfonctionnements démocratiques.

Ce troisième tome est beaucoup plus philosophique que politique, bien plus difficile à lire que les premiers. Cynthia situe l'origine de nos déboires dans cette habitude qu'a le citoyen de faire des modes de fonctionnement de la démocratie autant de passions. Ainsi la démocratie présuppose-t-elle des individus suffisamment équilibrés, informés et motivés pour en être les piliers. Non seulement des électeurs, mais des citoyens actifs. de ces 2 phrases, la passion n'a retenu que le mot “individu”, mot enflé pour remplir le vide laissé par l'absence des autres termes. L'on a vu ainsi l'émergence d'un individualisme forcené, qui coupe l'individu de ses semblables, l'incite à se développer seul - entreprise vouée à l'échec pour un être social - et le dresse contre ses concitoyens au nom d'une compétition érigée en idole. Mal éduqué à la vie en communauté, déstabilisé par le manque de relations et de repères, peu porté à la réflexion, fragilisé par la menace compétitive, l'individu oscille entre l'infatuation et la mésestime de soi. C'est qu'il s'agit d'une personne dont l'individuation - le développement de l'enfant vers la maturité citoyenne - est restée au stade de potentiel : l'individualiste est un individu non individué, immature, car non socialisé dans la société dont il devrait être citoyen. Il va sans dire que derrière ces processus d'aliénation se trouvent des intérêts : une élite qui estime avoir réussi le pari individualiste ( bien qu'en son sein la concurrence soit plus féroce encore qu'ailleurs) et des bras d'industrie qui produisent toutes sortes de consolations narcissiques.

Une démocratie ne peut se reposer sur de tels “pilliers”: elle doit se ressaisir ou s'effondrer. L'effondrement, si les choses en viennent là, prend souvent la forme d'un régime où l'individualité est entièrement gommée ou camouflée . Les individus mettent alors en avant un faux moi qui correspond à l'idéal prônée par l'élite : c'est la situation d'avant la modernité. Il n'y a, alors, ni individualisme ni individuation. Seul reste le conformisme, et les petites résistances que l'on peut se permettre pour avoir l'impression d'exister.

Cynthia Fleury parle du “secret du pouvoir”: son caractère usurpateur, sa violence et son arbitraire. Il est vrai qu'elle se sert d'analyses qui ont été prônées par des auteurs marxistes ou marxisants, mais il serait faux de voir en elle une marxiste : elle n'espère pas la dictature du prolétariat ! Il s'agit plutôt de l'usurpation d'un pouvoir qui devrait être celui des citoyens - qui devraient être en mesure de l'assumer ! - par une élite - quelle que soit sa couleur politique - élite qui utilise l'aliénation de l'électorat pour conquérir et garder ce pouvoir. Un jeu suicidaire où la démocratie s'auto-détruit. Songeons à ce qui se passe aux Etats-Unis.

Il s'agit ici d'un ouvrage de philosophie. Cynthia Fleury pose un diagnostic, mais elle n'offre pas de remèdes. En ce sens aussi, elle n'est pas marxiste : il n'y a pas à anticiper l'émergence de “bonnes” élites ou de structures salvatrices. L'Histoire ne pousse pas dans un sens ou dans l'autre. Ce sont les gens, l'ensemble des gens, qui vont se ressaisir. Ou pas.




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L'État de droit n'est rien sans l'irremplaçabilité des individus contrairement aux dictatures politiques ou religieuses dans lesquelles l'homme n'est qu'un rouage dans un système qui le dépasse. L'individuation, qui s'oppose à l'individualisme car il prend en compte la vie collective, permet à l'individu de sortir de l'état de minorité pour devenir un sujet dans un État de droit, ce qui est la condition du bon fonctionnement d'une démocratie. L'éducation doit jouer un grand rôle de transmission, assurant la continuité des générations et la pérennité de la société. Mais elle nécessite discipline et autorité pour permettre l'accès à l'autonomie et à la pensée critique.

Ce processus a besoin de temps et de la reconnaissance d'une autorité liée à un savoir. Or il est menacé par notre société de loisirs forcés, de spectacle permanent, d'omniprésence des écrans auxquels nous nous soumettons, de distraction, qui détruit notre capacité à devenir des sujets agissants, capables de faire des expériences, de transmettre un savoir, au risque de sombrer dans l'asservissement volontaire. Sans limites et sans discipline on aboutit à la tyrannie.

Cynthia Fleury nous livre une analyse très intéressante bien que parfois un peu ardue. Elle nous invite à nous réapproprier le temps et également le langage, à oser penser, à réfléchir sur ce que devrait être l'enseignement, et à prendre conscience des tendances nouvelles du monde du travail, qui par les notions d'évaluation, de mesures, de statistiques, font disparaitre le sens du travail et le caractère unique du travailleur au prix de sa réification…et de son interchangeabilité. Une belle leçon de philosophie à méditer. « Philosopher ce sera toujours destituer le simulacre ».

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Cynthia Fleury s'interroge dans cet essai sur le moyen de sauver la démocratie en favorisant l'individuation des citoyens et leur sortie de l'état de "minorité" qui les transforme en travailleurs et consommateurs soumis et frustrés. Nul n'est "remplaçable", c'est-à-dire que chacun a la charge incontournable et unique de s'accomplir soi-même (de "s'individuer") en créant des liens réciproques, transmissionnels et empathiques avec autrui. Bien plus, nul ne peut parvenir à pleine maturité sans l'exercice de ce lien tourné vers l'extérieur, indispensable non seulement à la société mais à la constitution du sujet lui-même.

La finalité n'est pas d'évacuer l'autorité, nécessaire au fonctionnement social mais d'éviter que cette autorité ne devienne "pouvoir" c'est-à-dire que celui qui l'exerce "surplombe" ceux sur qui elle est exercée en confondant sa personne et son rôle : le roi, l'empereur, le président doivent rester conscients de n'exercer qu'une fonction, faute de quoi l'autorité légitime se transforme en "pouvoir" qui pèse sur les individus, empêche leur réflexion et finit par asphyxier tout le corps social, menant à terme à sa destruction.

Dominants et dominés ont chacun leur part de responsabilité dans la transformation de l'autorité en pouvoir : les uns par l'arrogance, le mépris, la mégalomanie, l'appropriation des richesses et le mensonge, les autres par la passivité, la rouerie, l'hypocrisie, le chapardage, le développement de stratégies d'évitement, et un mélange de haine et d'adulation qui finit par produire un clivage de leur personnalité.

J'ai noté un très beau chapitre sur la famille et la transmission entre générations, ce que l'auteure appelle "faire famille".

La lecture de cet ouvrage est moyennement aisée pour un néophyte en philosophie mais cependant abordable ; de nombreuses citations l' enrichissent et l'ouvrent sur la pensée du 20 ème siècle (Bourdieu, Anders, Jankelevitch, Foucault).
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Par le premier regard que le nouveau-né échange avec sa mère, l'être humain en devenir fonde son individuation, sa solitude née de l'échange et son irremplaçabilité. L'essai de Cynthia Fleury va à l'encontre du chemin pris par la société de consommation qui jette et remplace en un ordre absurde et aliénant. Partant du coeur de l'individu irremplaçable parce qu'il est humain, conscient de sa finitude qu'il dépasse par le lien avec l'autre, le temps et l'avenir, Cynthia Fleury nous emmène au coeur de la société à la démocratie menacée lorsqu'elle robotise l'individu, lorsqu'elle veut ériger une idée en un système figé qui nie la mobilité de l'humain. L'essai "les irremplaçables" invite à l'exploration de soi ; il invite à nouer avec l'autre un lien authentique, à se projeter dans l'avenir, à faire de l'éducation un projet essentiel qui démarre dans la famille et se poursuit avec exigence dans la société .
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Bonjour,

Je ne l'ai pas tout-à-fait terminé et je crois devoir le relire pour me prononcer définitivement.

Oui, cet ouvrage doit être lu ... Par ceux qui peuvent le lire.

Cet ouvrage dénonce les mécanismes chez l'individu et dans son environnement, qui vont tout simplement l'empêcher d'exister, c'est à dire de vivre en homme individué, contributeur positif d'une société qui s'invente, se construit, se réinvente et se reconstruit en permanence.

Il s'agit d'un essai, c'est-à-dire que l'auteure effectue une démonstration de savoir-faire et de savoir tout court. Son exposé parvient à concilier les concepts issus de la psychanalyse et de la philosophie. Il y a de très belles pages, mais cette démonstration s'adresse somme toute à un public averti et peut-être pas à celui qui en aurait le plus besoin : les victimes des mécanismes dénoncés, qui peinent à penser, à se penser et à exister dans une société qui les met tout en bas de hiérarchies artificielles par des procédés d'évaluation précisément dénoncés dans cet ouvrage ; et à les confiner à la fonction consommatrice.

L'auteure cite les Evangiles notamment le passage relatif aux enfants qu'il ne convient pas de blesser, car leurs anges voient la face de Dieu, par quoi elle rappelle la nécessité des soins qu'on leur doit. Elle parle de l'amour aussi, et fort heureusement. Mais l'ouvrage me fait aussi penser à un morceau de concours destiné à séduire le jury de ses pairs (au nom des pairs) et je ne doute pas que dans les loges maçonniques certains se réjouiront de pouvoir se nourrir d'une pensée qui construit un système sans Dieu (?), en tous cas sans Eglise (?).

Je vous le dis Mme FLEURY, si votre discours croît s'affranchir de Dieu, du Dieu que je connais, qui m'a sauvé quand je confinais au néant, alors je le trouve un peu désespérant, comme ces modes d'emploi de bricolages sophistiqués. Sur les photos tout semble simple et beau, mais je n'ai jamais assez d'argent pour acheter tous les outils et quand je vois mon ouvrage, je m'aperçois que le modèle a été réalisé par un professionnel.
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critiques presse (1)
Liberation
07 septembre 2015
Philosophe et psychanalyste, l’auteure de la Fin du courage prend le problème par les deux bouts, étatique et subjectif, (...) celui de la régulation démocratique et de la «régulation» individuelle.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Quelques incontournables, ou irremplacables :

La souveraineté n'est jamais la vraie nature du pouvoir. "Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit, et l'obéissance en devoir" (Rousseau) La part des dominés dans la domination est donc structurelle, en co-fabriquant avec les dominants leur assentiment. Agissent-ils ainsi par peur, prudence lâcheté, conviction de leur propre insuffisance ? Agissent-ils parce qu'ils l'ont fait trop longtemps ... ? Sans nul doute. Les réveils nés de longs sommeils sont plus difficiles à opérer.
(p.151)

Les années '70 ont vu le phénomène shizophrénique prendre de l'ampleur, les années actuelles lui préfèrent le bipolarisme et l'hyperactivisme...Néanmoins les troubles du comportement sans antécédent pathologique se démultiplient... Un individu assiégé, tant par par son infatuation que par sa mésestime, chacune s'alimentant de l'autre.
(p.171)

Le désoeuvrement parental n'est d'ailleurs que le nom particulier d'un désoeuvrement plus général, qui touche tous les acteurs de la société, dans l'appréhension de leur responsabilité ( jusqu'où cette vie qui est la leur les concerne-t-elle ?)... L'éducation, si intime soit-elle, reste l'entreprise publique majeure, non parce qu'elle doit être confiée aux seules institutions publiques, mais parce qu'elle consolide la qualité du projet politique en tant que projet de la raison humaine.
(pp.177-179)

L'irremplacabilité se définit comme une responsabilité construite avec l'autre et destiné à assumer le déploiement de la personnalité propre. C'est le contraire d'une tout-puissance, illusionnée par sa dimension orpheline.
(p.190)

La modernité est le monde de l'individualisme qui fait le malin quand l'individuation demeure fébrile. Cet individualisme à qui on n'en conte pas, qui sait qu'il ne peut rien espérer d'autrui mais qui se met en quête d'une reconnaissance sociale des plus aliénantes, parce que précisément inséparable de l'irrespect qu'elle porte aux autres. Voilà les malins si peu malins, qui pensent qu'il est possible d'articuler le non-respect d'autrui avec le maintien du respect pour eux-mêmes.
(p.204)

Si l'individualisme a tant prospéré, c'est qu'il a été, certes, porté par les élites, mais qu'il a été l'objet d'un traffic phantasmatique entre les élites et le peuple. Plus le fossé des inégalités sociales se creusait entre elles et lui, plus l'idéal de l'individualisme masquait la supercherie et invitait ledit peuple...à ne désirer que l'individualisme.
(p.208)
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Les formes modernes de l'absence de pensée.

Tel est le nouvel âge du décervelage: la société de consommation et des "loisirs forcés"; la tutelle des puissances de divertissement. Derrière cette forme de "loisir", il n'y a pas de scholé, pas de lieu propre pour l'homme pour construire son processus d'individuation. "La majorité de ceux qui mènent une vie absurde ne sont pas encore conscients de ce malheur. C'est la vie qu'on les contraint à mener qui les empêche de percevoir qu'elle est absurde. Voilà pourquoi ils ne font rien contre elle. Mieux: même ce qu'ils font à côté de cette vie absurde est quelque chose qu'on fait à leur place, quelque chose qu'on leur livre. [...] puisqu'on les prive de leur autonomie, de la chance de devenir autonomes, ils restent aussi non autonomes pendant leur temps libre. Ils s'acquittent de leur plaisir servilement, tout aussi servilement qu'ils s'acquittent de leur job."
(p.52/53, éd. Gallimard)
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Certes, il y a le passé, le tribunal intérieur traquant les erreurs, pris au piège de l'amertume et de la nostalgie. Mais la vérité reste d'abord une histoire d'avenir qui sert à projeter. Elle est un socle pour construire et non pour réparer. Il y a l'incurable , et il y a la dimension instrinsèque de la vérité, celle du bâtir.

(p.12)
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Certes, l'individu ne risque pas sa vie. Mais il refuse, du moins, de délivrer son consentement. Il participe à la théatralisation de la domination, au risque de perdre le chemin vers sa désaliénation, mais nul ne peut le prédire. L'enjeu ; laisser croire au dominant que l'on est ignorant du secret du pouvoir, à savoir son usurpation, sa violence, l'arbitraire de sa force. Par sa duplicité, il faut prolonger le mythe encore.

(p.119)
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Le sentiment d'absurdité de la vie n'est pas le symptôme d'une pathologie, mais une disposition à la vérité, non altérée par l' illusion que les notions mêmes de "sens", de "finalité" peuvent provoquer. (...) L'absurdité est le chemin même offert à l'homme, comme matière à sublimation. "Les psychothérapeutes qui osent refiler une volonté de sens aux millions d'hommes qui traînent leur existence dans des bureaux, ou des usines, ou, en tant que chômeurs devant les écrans de télévision ne valent pas mieux que les hommes d'Etat recommandant aux affamés une volonté d'être rassasiés et leur faisant croire que cette volonté constitue déjà une moitié de pain avec laquelle, s'ils le voulaient vraiment, ils pourraient se rassasier sur le champ."
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Videos de Cynthia Fleury (84) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Cynthia Fleury
En lien avec l'exposition «La France sous leurs yeux. 200 regards de photographes sur les années 2020», une table ronde réunit quatre auteurs qui échangent sur les nouvelles représentations de la France contemporaine.
Quatre auteurs ont été invités à regarder les travaux produits par les 200 photographes de la grande commande nationale pour le photojournalisme et à rédiger quatre essais dédiés chacun à une notion de la devise nationale, convoquant journalisme (Liberté par Pierre Haski, journaliste), philosophie (Fraternité par Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste), histoire (Égalité par Judith Rainhorn, historienne, et Potentialités par Pierre Charbonnier, philosophe). Ils échangeront sur les nouvelles représentations de la France contemporaine.
Table ronde animée par Sonia Devillers, France Inter, membre du jury de la grande commande pour le photojournalisme
Plus d'informations sur l'exposition «La France sous leurs yeux. 200 regards de photographes sur les années 2020» : https://www.bnf.fr/fr/agenda/la-france-sous-leurs-yeux
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