Par exemple, lorsqu'un voyage dans la Caroline du Nord lui fait traverser une région de défrichement où la forêt naturelle se trouve abominablement massacrée pour faire place aux misérables enclos des colons, James se reproche son premier sentiment de répulsion à ce désolant spectacle : il s'accuse de n'avoir pas su d'emblée deviner, par un élan d'imagination sympathique, tout ce que ces choses, si dépouillées de beauté à son point de vue de touriste, représentent pour leurs propriétaires de labeur obstiné et de vicissitudes traversées, de sécurité gagnée à la sueur de leur front pour eux et leur famille, de victoires remportées sur l'élément...
Cette même fibre d'artiste, cette délicatesse de sentiment, grâce à laquelle James, tout en analysant ses états intérieurs, savait respecter le cachet et
l'irréductible singularité de chacun, lui permit également de plonger dans la conscience d'autrui bien mieux que la plupart des psychologues n'y réussissent d'ordinaire. Par une sorte de divination immédiate ou d'intuition sympathique vraiment admirable, il pénétrait, sans les déflorer, dans les âmes les plus différentes de la sienne, pour y éprouver presque directement leur façon spéciale de vibrer au contact des choses.
Artiste, William James le fut par le don de l'expression, par ces qualités et cette originalité de style qui l'ont mis au rang des plus brillants écrivains de son pays. Mais il le fut surtout par son sentiment extraordinairement vif et délicat des réalités concrètes, sa vision pénétrante des choses individuelles, son aptitude à saisir en chacune ce qu'elle a d'intime, d'unique, d'irréductible.