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Critique de motspourmots


Ce texte puissamment intelligent méritait mieux que ce titre réducteur. Je m'attendais à lire un plaidoyer contre l'élevage industriel et un sermon sur la nécessité impérative de changer nos habitudes alimentaires, je me suis retrouvée face à une puissante et mordante réflexion sur le coeur même de la nature humaine. Une réflexion qui fait écho à la question posée - entre autres - par Richard Powers dans L'Arbre-Monde : d'où vient notre faculté à tourner le dos aux évidences et notre propension au déni, malgré les preuves scientifiques qui s'accumulent ? Quelqu'un parviendra-t-il à raconter "la bonne histoire" de telle sorte qu'elle incite les citoyens à enfin s'impliquer et prendre en mains le destin de leur maison ?

Pour cela, Jonathan Safran Foer n'hésite pas à aller chercher au coeur de notre histoire récente des comparaisons avec des situations tout aussi impossibles à croire. Comme ces témoins qui ont tenté, en 1943 d'alerter les nations sur ce qu'il se passait vraiment dans les camps de l'Allemagne nazie. Ce qu'ils racontaient était simplement impossible à croire. Passage qui fait douloureusement écho à ce qu'écrit Santiago Amigorena dans le Ghetto interieur : " Peut-on penser l'impensable ? Peut-on comprendre l'incompréhensible ? Peut-on imaginer ce que personne n'a jamais vu, ce que personne n'a jamais cru que l'homme serait capable de faire ? Il y a des événements, de temps en temps, qui renouvellent ce que nous sommes capables d'imaginer, qui amplifient le domaine du possible jusqu'à des limites que personne auparavant n'avait supposé qu'on pourrait atteindre". On ne peut pas croire, non. L'auteur fait également référence à l'engagement et aux sacrifices demandés au peuple américain pendant la seconde guerre mondiale, alors même qu'ils étaient éloignés des champs de bataille mais sans lesquels le reste n'aurait sans doute pas pu être accompli. L'effort de tous. Il ne suffit donc pas de savoir, il faut croire et agir tous ensemble.

Les éléments scientifiques ne sont pas absents du livre, l'auteur leur consacre sa deuxième partie, livrant simplement quelques conclusions tirées des multiples études et publications des dernières décennies dont on retrouve les références en fin d'ouvrage au cas où le besoin d'approfondir se ferait sentir. On retiendra quelques items très simples : "Les humains représentent 0,01% de la vie sur terre" et "Les quatre choses ayant le plus grand impact qu'un individu peut faire pour s'attaquer au dérèglement climatique sont les suivantes : adopter un régime à base de plantes, éviter l'avion, vivre sans voiture et avoir moins d'enfants". C'est donc à partir de là que cela se complique, forcément.

Car, comment décréter la mobilisation générale, demander des sacrifices que certains pourront trouver injustes, pour combattre un ennemi qui n'est autre que soi-même ? Son propre plaisir, parfois petit plaisir dans un quotidien compliqué. Ce bon steak du midi, seule éclaircie d'une journée harassante au boulot ? le plaisir de conduire ou de s'échapper pour un week-end dans une ville à 2 ou 3 heures de vol ? Pourtant, la Terre est notre maison, la préserver devrait être notre priorité. Collectivement. Ce que développe brillamment Safran Foer montre néanmoins que toutes les conditions sont réunies pour que nous foncions droit dans le mur : "Nous sommes en train de nous éliminer parce que choisir la mort est plus facile que de choisir la vie". Renoncer est toujours plus facile qu'agir. Tout comme fuir, d'ailleurs. Démonstration qui trouve son apogée dans une hallucinante "Discussion avec l'âme" où apparaissent toutes les peurs, les tentations du déni, les "à quoi bon ?" ou encore les "je ferai quand les autres auront commencé". Quel poids a chaque individu ? Énorme, s'il n'est pas tout seul. "Les entreprises produisent ce que nous achetons, les agriculteurs font pousser ce que nous mangeons. C'est en notre nom qu'ils commettent leurs crimes (...). Accuser les méchants ce n'est pas plus efficace que manifester avec les bons".

Ce qu'essaye de faire Safran Foer c'est de montrer à quel point chaque individu est un maillon essentiel dans la mise en place d'un vrai changement. A condition de se faire violence, de concentrer ses efforts dans le bon sens, d'être moteur et non pas spectateur incrédule ou défaitiste. Cela n'a rien de facile, la naïveté est totalement absente de ce livre. le fait de commencer par son assiette n'est pas anodin : c'est au consommateur d'utiliser son pouvoir. Chacun de nous, et tous ensemble.

"Personne d'autre que nous ne va détruire la Terre, et personne d'autre que nous ne va la sauver (...). Nous sommes le Déluge et nous sommes l'arche".
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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