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Historien de formation, j'ai peu l'habitude (voire jamais, en fait) de lire des ouvrages écrits par des philosophes. Exceptionnellement, j'ai été très fortement attiré par la récente sortie de Récidive 1938, où le philosophe Michaël Foessel plonge dans la presse de 1938 et s'interroge, en philosophe et citoyen, sur le degré de démocratie que proposait la fin de la IIIe République en France.

Plongée dans la sphère médiatique de 1938
Michaël Foessel attaque sa « petite » enquête presque en naïf. On sent bien qu'il écrit en philosophe, mais il aborde cette période sans a priori particulier, n'étant pas un historien, encore moins spécialiste des années 1930. Tout simplement, il se met à lire un par un des journaux emblématiques de cette époque : Paris-Soir qui n'est pas le plus reluisant, Le Figaro soutien de la droite, L'Action Française soutien des royalistes et des antisémites, L'Humanité soutien des socialistes, etc. Il compare, il liste les expressions-clés qui reviennent le plus souvent, il juxtapose les différentes versions d'un même événement ; l'auteur se mue donc en chercheur en histoire des médias afin de comprendre qu'elle pouvait bien être l'ambiance de l'année 1938. Or, il s'en passe des choses d'importance cette année-là dans et hors de France : outre les conséquences durables du krach boursier de 1929 avec la dette, le déficit et le chômage chroniques, le Front Populaire est cassé par la défection d'Édouard Daladier en faveur d'une politique bien plus à droite ; les terribles accords de Munich sont ratifiés en fin d'année alors que l'Allemagne a proclamé l'annexion de l'Autriche en mars (Anschluss) ; la guerre d'Espagne se poursuit, toujours aussi violente ; les Nouvelles Galeries à Marseille subissent un violent incendie. Ces quatre événements qui peuvent sembler sans lien direct prennent tout leur sens quand on décortique la presse française, car ils renforcent la volonté des dirigeants français de basculer toujours un peu plus dans le capitalisme forcené, ce dernier s'accommodant toujours très bien d'États autoritaires.

La longue montée du fascisme français
En effet, il ne faut pas voir la fin de la IIIe République comme un simple basculement entre un avant et un après Philippe Pétain, ce serait dédouaner tous ceux qui ont alimenté et renforcé les aspirations xénophobes de la France ; or, Michaël Foessel montre parfaitement que les idées xénophobes, voire antisémites, sont plus que jamais prépondérantes dans les médias dominants dans les années 1930. Certes, l'image du Front Populaire adoucit notre vision de cette période, car on pense de suite aux congés payés et à quelques moments de répit accordés aux classes populaires face au patronat, mais cela s'est conquis de haute lutte ; il ne faut donc pas négliger tous les contrefeux allumés pour détourner les masses de ces revendications qui auraient pu aller bien plus loin. La presse la plus lue en 1938 se fait largement le porte-voix des mouvements politiques au pouvoir, partisans d'un État plus autoritaire, qui contrôlerait davantage les allées et venues, en prenant le prétexte des migrants venus d'Espagne pour lancer un tour de vis sécuritaire, ainsi qu'en prenant appui sur le chômage de masse non pas pour accabler le patronat qui organise cette armée de réserve du capital, mais plutôt pour accabler le prolétariat de ne pas être assez volontaire et les migrants de vouloir venir voler le travail des prolétaires. Les ressorts sont connus et pourtant ils sont tellement huilés que la dynamique ne se grippe toujours qu'au prix d'intenses sacrifices de la part des partisans de politiques plus humanistes, plus internationalistes et moins inégalitaires. L'auteur conduit une réflexion efficace et termine son propos en soulignant bien les différences fondamentales de contexte qui existent entre 1938 et 2018, mais insiste sur le fait que c'est le même capitalisme débridé qui est à la manoeuvre.

Récidive 1938 est donc clairement à lire, c'est court et intense et cela éclaire de façon bienvenue une situation politique bien tendue actuellement, où quantité de thèmes se percutent, sans logique apparente mais pourtant symptomatiques d'un système capitaliste à bout de souffle.

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Ce livre vaut vraiment la peine d'être lu pour qui aime l'histoire, la politique et plus généralement est intéressé par la vie politique française et européenne. En 2018, l'auteur s'interroge sur l'année 1938 ; grâce à des sites (Retronews et Gallica) il lit la presse de cette année-là, s'imprègne totalement de cette époque et, tout au long de son enquête, il y voit des analogies avec la période actuelle. Il ne cherche pas absolument à faire un parallèle entre les deux périodes, mais à établir des liens entre une langue identique, des comportements identiques, des inquiétudes, des renoncements et des trahisons de la classe politique etc ... Mon édition était complétée par une postface de 2020.
Très éclairant pour notre monde actuel !
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Je ne sais plus dans quelle émission j'ai découvert il y a quelques semaines le philosophe Michaël Foessel, mais j'ai tout de suite été attiré par le projet sur lequel il s'était appuyé pour écrire son dernier livre : Récidive. 1938.

Cette démarche peut se résumer en quelques mots : relire, en 2018, la presse française de 1938 : la dernière année avant la guerre, l'année des accords de Munich, peut-être l'année de la dernière chance des démocraties face aux régimes fascistes.

" « Populisme », « néolibéralisme », « nationalisme » : les mots se bousculent et pourtant l'insatisfaction demeure. Pour décrire ce qui nous arrive, nous ne manquons pas de savoirs. La crise de la démocratie fait l'objet de diagnostics récurrents. Mais c'est la stupeur qui domine, comme si la nouveauté du présent contribuait encore à accroître l'inquiétude. Et si cette nouveauté tant de fois mise en avant était un obstacle à la compréhension ?

Ce livre décrit la rencontre entre un philosophe inquiet du présent politique et l'année 1938. Tombé presque par hasard sur la presse française de 1938, l'auteur est allé de surprise en surprise. Au-delà de ce qui est bien connu (les accords de Munich et la supposée « faiblesse des démocraties »), il a découvert des faits, mais aussi une langue, une logique et des obsessions étrangement parallèles à ce que nous vivons. L'abandon de la politique de Front populaire, une demande insatiable d'autorité, les appels de plus en plus incantatoires à la démocratie contre la montée des nationalismes, une immense fatigue à l'égard du droit et de la justice : l'auteur a vu dans ce passé une image de notre présent.

Ce livre ne raconte pas l'histoire de l'avant-guerre, il n'entonne pas non plus le couplet attendu du « retour des années 30 ». Il fait le récit d'un trouble : pourquoi 1938 nous éclaire-t-il tant sur 2018 ? Non sur les événements, bien sûr, mais sur une manière de les interpréter systématiquement dans le sens du pire. « Récidive », c'est le nom d'une errance dans un passé que l'auteur croyait clôt. C'est aussi le risque d'une nouvelle défaite. "

Dans son introduction, Michaël Foessel explique tout d'abord sa “rencontre” avec l'année 1938, ce qui l'a motivé ensuite à éplucher la presse française de 1938, sur tout le spectre de l'échiquier politique, de L'Humanité à Je suis partout, sans oublier la presse dite populaire et locale. Il y a notamment ce passage qui explique très bien, me semble-t-il, pourquoi l'auteur a estimé utile l'écriture de ce livre :

" J'ai rencontré 1938, je n'en ai pas fait l'étude. La rencontre suppose une surprise, elle est tout le contraire d'une confirmation. En l'occurrence, la confirmation de mon savoir scolaire sur la période aurait consisté dans la découverte d'un pays amoindri par des querelles intérieures, idéaliste sur les chances du maintien de la paix européenne et soucieux de préserver des règles démocratiques dans un environnement continental de plus en plus hostile. La surprise est venue de ce que je n'ai rien découvert de tout cela. En 1938, j'ai rencontré des logiques, des discours, des urgences économiques ou des pratiques institutionnelles qui m'ont d'abord instruit sur ce que nous vivons aujourd'hui. […]


On devrait donc s'attendre à voir la France passer sans transition de la lumière à l'ombre : d'un régime parlementaire, peut-être faible, mais attaché à ses principes, à un système autoritaire imposé par l'occupant. Or, je n'ai pas vu dans la France de 1938 un pays que son respect des règles parlementaires rendait vulnérable à l'ennemi fasciste. Justement parce que j'étais animé par des inquiétudes sur la démocratie en 2018, j'ai décelé dans la France de 1938 une société qui, sans rien savoir de ce qui l'attendait, avait déjà abdiqué sur l'essentiel. "

Plutôt qu'un récit chronologique, l'auteur s'attache à suivre un plan thématique, il nous parle ainsi tour à tour de questions économiques, sociales, institutionnelles, morales, etc. La lecture et l'analyse de la presse de 1938 par Michaël Foessel montre la nature des débats qui agitaient alors le pays : la politique étrange de la France (apaisement ou confrontation avec l'Allemagne), les relations avec l'URSS, les alliances politiques entre radicaux et les socialistes et communistes ou au contraire avec la droite, la mise en place sans cesse différée d'une retraite pour les “vieux”, la remise en cause des acquis du Front Populaire, et le procès médiatique fait à cette période de progrès social. 1936 est dénoncée en 1938 comme la cause de tous les maux, oubliant au passage les effets de la crise économique de 1929, comme Mai 68 ou les 35 heures sont encore régulièrement posés en bouc-émissaire dans nos débats contemporains, oubliant les crises économiques et financières successives depuis la fin des Trente Glorieuses.

Pourtant, l'auteur ne veut pas se contenter de l'équation 1938 = 2018, attendue et trop simpliste. Ainsi, il ne parle jamais directement, ouvertement, des événements et des personnalités de 2018, laissant le lecteur face à sa propre réflexion à travers des citations de discours et d'articles de 1938. Il est souvent troublant de retrouver dans ces textes de 1938 des préoccupations omniprésentes dans le discours public actuel, ainsi qu'un vocabulaire dont l'usage nous semble pourtant récent. Là où j'ai été plus gêné, c'est quand l'auteur, heureusement en de très rares occasions, paraphrase les écrits et les déclarations de 1938 avec des mots d'aujourd'hui, pour renforcer artificiellement la similitude entre les deux époques.

La thèse proposée par Michaël Foessel et que le lecteur pourra ou non s'approprier, est que la France de 1938 n'était pas la démocratie faible et impuissante face à des régimes autoritaires, telle qu'on l'a longtemps décrite dans nos manuels d'Histoire. Pour l'auteur, cette vision est même trompeuse : serait-ce la démocratie, soupçonnée d'être par nature lente et inefficace, qui serait la cause de la défaite de 1940 ? Au contraire, l'auteur tend à montrer qu'en 1938, la République Française avait déjà commencé le tragique chemin qui l'amenait à n'avoir plus de République que le nom. Selon lui, la dérive autoritaire était déjà en route, et c'est en reniant ses valeurs, en acceptant les termes du débat portés par ses ennemis, que la Troisième République agonisante préparait le terrain du régime de Vichy. Michael Foessel reprend ainsi le terme de « pré-fascisme » employé dans la revue Esprit en 1938, pour qualifier le régime et l'atmosphère politiques de la France de la fin des années 30.

Dans sa conclusion, l'auteur Michaël Foessel prend garde à ne pas tomber dans la facilité : il réfute l'idée que l'histoire se répète, que les années qui ont suivi 1938 préfigurent les années à venir pour nous. Il reconnait toutefois des similitudes entre 1938 et notre époque. Il parle d'analogie, sans laquelle ce livre serait finalement sans objet.

" Une analogie n'est pas une simple ressemblance, mais une égalité des proportions. Elle n'affirme pas que A = B (1938 = 2018), mais que A/B = C/D : il s'agit d'une identité de rapports entre des réalités hétérogènes.

En l'occurrence, l'hypothèse finale de ce livre est que la politique Daladier, faite d'assouplissement économique et de reprise en main autoritaire, est aux régimes totalitaires qu'elle combat ce que les politiques néolibérales menées depuis plus d'une décennie sont au nationalisme autoritaire qui menace de venir dans nombre de pays européens.

A et C sont adoptées comme des politiques alternatives à ce dont elles risquent en réalité de faciliter l'advenue par toute une série de mesures et d'associations d'idées.

Le fait, par exemple, d'avoir introduit dans le « grand débat » la question de l'immigration absente des revendications initiales des « Gilets jaunes » est hautement symbolique. En 1938, déjà, les décrets-lois sur la police des étrangers apparaissaient au milieu d'une avalanche de mesures économiques. Cela crée artificiellement un lien entre les problèmes sociaux et les angoisses identitaires dans le but de flatter une opinion publique supposée intrinsèquement xénophobe. […]

Ce qui ne diffère pas, en revanche, c'est la tentation de déplacer le centre de gravité du conflit : de social et démocratique, il devient identitaire et culturel. Comme le débat sur la politique économique est borné par des a priori gestionnaires, on engage la discussion sur l'insécurité culturelle et l'identité nationale. Des sujets qui présentent l'avantage de n'impliquer aucune ligne budgétaire, mais qui donnent par avance raison aux adversaires de la démocratie que l'on entend combattre. "

Michaël Foessel évoque notamment l'idée dangereuse de combattre les adversaires de la démocratie avec des armes qui, d'abord, ne font que les renforcer, et ensuite, pourront leur servir s'ils parviennent au pouvoir :

" L'analogie entre 1938 et 2018 présente aussi l'intérêt de mettre en garde contre des mesures prises pour défendre la démocratie et qui, dans les faits, risquent de la mettre à terre. […]

Quelles que soient les précautions que l'on peut avoir à l'égard des leçons de l'Histoire, il est utile de se souvenir que, parvenus au pouvoir, les adversaires acharnés de la République se sont appuyés sur l'héritage d'une République délestée de ses défenses démocratiques. "

Je pourrai disserter encore des heures, ou des pages, sur ce livre passionnant et vous livrer les nombreux passages que j'y ai surinés pendant ma lecture. Je vais me contenter de citer la conclusion, parfaite à mes yeux :

" En 1938, rien n'était inéluctable. La lassitude à l'égard de la démocratie s'est transformée en ressentiment seulement lorsque l'on s'est convaincu que cette forme de société était à l'origine du malheur français.

Aujourd'hui, tout est à reprendre. Conquis de haute lutte après la Seconde Guerre mondiale, le consensus européen autour de la démocratie est largement effrité. Certains présentent comme une fête au coût exorbitant un amour pour la liberté et une passion égalitaire qui, en réalité, ont triomphé au cours d'un combat sans merci.

Rien n'oblige, pour autant, à emprunter une nouvelle fois le chemin d'une longue et vaine pénitence pour redonner vie à ces sentiments. "
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C'est à un petit voyage dans la France de 1938 que nous invite Michaël Foessel avec ce livre paru aux Presses universitaires de France en mars dernier. Philosophe de formation, l'auteur ne prétend aucunement proposer une analyse historique de cette époque. Il s'agit plutôt de nous raconter sa propre découverte de l'année 1938, dont il a été frappé par le grand nombre de similitudes qu'elle partage avec ce que nous vivons actuellement en France. L'auteur met les choses au clair dès le début : il ne s'agit pas d'affirmer ou de démontrer que nous sommes actuellement en train de revivre les années 1930, ni que ce qui s'est passé à l'époque nous pend au nez. le but est plutôt de tenter de comprendre les phénomènes qui rendent possible que, à quatre-vingt ans d'intervalle, ces deux situations aient autant en commun. Bref, si pour l'auteur 1938 n'équivaut pas à 2018, l'analogie entre les deux époques est frappante (« L'analogie est une manière de mettre en garde contre la récidive, tout en gardant raison. »).

Difficile effectivement, en se penchant d'un peu plus près sur cette époque, de ne pas être frappé par les similitudes entre 1938 et 2018, que ce soit dans le domaine de la politique, de l'économie ou du social. L'auteur résume cela parfaitement dans sa conclusion : c'est un peu comme si l'année 1938 condensait en quelques mois seulement les évolutions que nous voyons actuellement à l'oeuvre depuis plus d'une décennie : « radicalisation conservatrice camouflée par une idéologie post partisane ; triomphe des solutions libérales en pleine crise du libéralisme ; perception des procédures démocratiques comme un obstacle à la mise en oeuvre d'une politique efficace ; renforcement du pouvoir exécutif ; multiplications des lois sécuritaires ; restrictions dans la politique d'accueil des réfugiés ; stigmatisation d'une minorité religieuse à la faveur d'une « guerre » officiellement déclarée contre ses membres les plus fanatiques. » L'état de la IIIe République des années 30 semble être approximativement le même que celui de notre Ve République, toutes deux prétendant défendre la démocratie contre ses ennemis en empruntant justement leurs armes… et en se montrant du coup de moins en moins démocratiques.

Si l'ouvrage n'est pas historique, il s'attache néanmoins à nous dépeindre les principaux événements de l'époque, certains plus célèbres que d'autres : l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne (mars), le remplacement de Léon Blum par Daladier (avril), la conférence d'Evian (juillet), les accords de Munich (septembre), le vote des pleins pouvoirs à Daladier (octobre)… Tous ces événements, c'est par le biais de la presse de l'époque et de l'analyse qu'elle en propose que l'auteur les découvre et nous les fait découvrir. Grâce aux archives en ligne, Michaël Foessel épluche aussi bien les journaux d'extrême-droite que ceux des modérés (la droite de l'époque), des radicaux (centre gauche ou droite en fonction des périodes) ou des communistes (une partie de la gauche). Certains sont aujourd'hui encore très connus (Marianne, Le Figaro, L'Humanité), tandis que d'autres ont disparu ou ont été oubliés, parfois pour le meilleur (Le Temps, le Petit Parisien, et bien sûr le nauséabond Je suis partout). Là encore, il est frappant de constater à quel point 1938 fait échos à ce que nous vivons aujourd'hui, notamment dans le domaine du langage et des thèmes traités par la presse et les politiques : il est question de « remettre la France au travail », de lutter contre les « fausses informations » qu'on attribue à des puissances étrangères, ou encore de la nécessité de « flexibiliser » le monde du travail.

L'auteur opte pour une construction thématique plutôt que chronologique, ce qui lui permet de mettre clairement en lumière la succession de renoncements qui se sont opérés au cours de cette année 1938. La défaite de Blum, d'abord, qui se voit refuser par le sénat les moyens pour mettre en place sa politique de sortie du libéralisme. La défaite des partis, ensuite, avec l'effondrement du Front populaire et la radicalisation des autres mouvements (à commencer par les radicaux qui se rapprochent définitivement de la droite). La défaite sociale, aussi, avec la liquidation des acquis de 1936 et la mise en place d'une politique encore plus libérale (alors que le libéralisme est justement en pleine crise). La défaite de la République, encore, avec la montée de l'autoritarisme, le renforcement du pouvoir exécutif (Daladier ne gouverne presque plus que par décret-loi, l'équivalent des ordonnances d'aujourd'hui : l'assemblée n'a plus aucun pouvoir), et surtout la diffusion d'une vision de la démocratie parlementaire comme d'un obstacle à la mise en place d'une politique efficace (trop de lenteur, trop de débats…). Une défaite morale, enfin, avec un durcissement de la politique d'accueil des réfugiés et la promulgation de toute une série de lois sécuritaires qui participent à instaurer un climat hostile et à inciter l'opinion publique à rapprocher problèmes sociaux et angoisses identitaires.

Mis à part dans son avant-propos et sa conclusion, l'auteur s'en tient aux années 1930 et ne parle jamais de la situation politique et économique actuelle : il n'en a pas besoin. Les similitudes entre les deux époques sont tellement criantes qu'évoquer les événements de 1938 suffit à ce que le lecteur fasse immédiatement le lien avec aujourd'hui. Encore une fois, le but n'est pas de dire que l'histoire est amenée à se répéter et que les choses vont se passer de la même manière : ce n'est pas du tout le message de l'auteur. le propos de l'ouvrage consiste simplement à nous faire remarquer que les deux situations présentent une analogie troublante et qu'il serait intéressant de se pencher sur les phénomènes qui ont rendu ce rapprochement possible à quatre-vingt ans d'écart.
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Une plongée dans cette année 1938 durant laquelle la France a peu à peu cédé face à la montée des régimes autoritaires fondés sur la haine de l autre et de l étranger. Les mesures économiques et sociales plus axées sur le travail et son exploitation que sur la redistribution des richesses et l intervention de l Etat, la représsion des mouvements contestataires ou encore la stigmatisation de l étranger ont peu à peu flatté cet ennemi intérieur prompt a réapparaître lors de chaque crise économique et sociale majeure et qui en se soumettant au pire, ajoutera la honte à l humiliation de la défaite. Toute ressemblance avec une autre époque plus récente serait fortuite et surtout à proscrire afin d infirmer la formule voulant que l histoire est un éternel recommencement
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Je ne sais plus à quelle occasion j'ai découvert cette lecture. Tout ce que je peux dire c'est qu'elle m'a vraiment captivité de bout en bout.
Ça m'a permis de mieux comprendre cette période d'avant guerre que fut l'année 1938.
J'avais peur que la comparaison avec 2018 ne soit trop mise en avant, mais Michael Foessel est plus subtil que ça.
Il utilise la presse écrite de l'époque, glanée sur Gallica ou Retronews, pour témoigner des divers courants de pensée qui animaient la scène politique d'alors. Il est toujours assez troublant de constater que les thématiques qui opposent les diverses aspirations politiques en 1938
nous parlent encore aujourd'hui.
Le contexte a évidemment changé, Michael Foessel s'emploie à rappeler que l'histoire ne se répète pas, pourtant les solutions des libéraux face à une crise économique, les thèses nationalistes devant les migrants, les luttes des défenseurs de la démocratie face à l'autoritarisme, les soulèvements populaires et leurs violentes répressions, nous semblent familiers.
Cependant Michael Foessel nous invite davantage à nous interroger sur la récurrence de la rhétorique politicienne .
S'il peut y avoir une analogie à faire entre les deux périodes elle se tient essentiellement dans les discours tenus.
C'est en effet dans la "langue des évènements" , plus que dans les évènements eux mêmes, que les correspondances peuvent s'établir.
Très intéressante immersion dans le langage politique d'hier pour peut-être mieux déchiffrer celui d'aujourd'hui.

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L'auteur nous emmène avec lui, un peu de manière naïve, regarder ce que la presse de 1938 disait, comment les gens qui la lisaient pensaient le monde. Il nous guide à travers ces abandons de la démocratie, ces abandons des quelques acquis sociaux que le Front Populaire venait de conclure grâce aux milliers de gens qui étaient entrés en lutte.
Il souligne avec raison les parallèles et les différences qui nous séparent de ces années-là. Nous pouvons être inquiets, mais nous savons aussi ce qu'il faut défendre: les droits et les conditions de vie des populations (émigrés, travailleurs précaires ou pas, retraités...) et contre qui (dogmes financiers, gestions déshumanisées, autoritarisme, racistes, antisémites...). Ce n'est pas en ménageant les opinions "molles" qui tendent toujours vers l'exclusion des plus pauvres et des plus fragiles que l'on évitera le renforcement des inégalités, la précarité, l'exclusion, l'autoritarisme.
Lien : https://www.franceculture.fr..
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Ce livre part d'une idée assez originale et intéressante. Revisiter 1938, deux ans avant l'invasion de la France par l'Allemagne. Il essaye de ne pas tenir compte ni qu'il se trouve dans l'année 2018, dans la vraie vie, ni qu'il connaît la suite des événements. Pour cela, il lit la presse de l'époque, dans l'ordre chronologique.

L'année commence en en avril 1938 avec la défaite de Léon Blum et l'ascension de Daladier. Un basculement de la gauche vers la droite qui remet en cause les acquis sociaux et remet dans le devant de la scène. Il faut les considérer juste comme un portrait à un moment donné : l'antisémitisme, le rejet de l'étranger (immigration), la réduction du nombre de fonctionnaires, la France au travail (travailler plus...), la menace au niveau international (à l'époque c'était Hitler), ...

En même temps, on apprends beaucoup sur la presse de l'époque, leurs tendances et surtout la probable domination des titres de droite voir extrême-droite. Fait intéressante est la diffusion de l'hebdomadaire antisémite le plus radical et le plus important de l'époque, le "Je suis partout" où Robert Brasillach déversait sa haine des Juifs - passée de 40.000 en 1939 à 250.000 en 1942 (information trouvé dans Wikipédia).

Dans le postface l'auteur commente un article d'un grand hebdomadaire consacré aux "Nouveaux fanatiques" - "indigénistes", "gauche racialiste", "déboulonneurs de statues", "écriture inclusive" : Cette liste n'évoque, pour l'auteur, aucun des adversaires de la démocratie qu'il a croisé en 1938. Par contre, l'auteur s'intéresse au profil des insurgés du Capitole (janvier 2021). A mon avis personnel, tous ces fanatiques, par leur radicalisation derrière un meneur ou une idéologie, certains dangereux et d'autres moins ou pas, constituent toujours une source d'instabilité et de conflit dans la société.

L'inspiration que j'ai de ce retour en arrière est, en plus du récit de ce livre, est l'actualité brûlante du moment (février/mars 2022). En 1938 l'Allemagne d'Hitler a annexé partie de la Tchécoslovaquie (les Sudètes), sous l'argument des Allemands que la y vivaient. Avec la participation de la France, ces territoires ont été consentis aux Allemands par les Accords de Munich, le 30 septembre 1938. En ce moment, Putin a envahi l'Ukraine pour, soit disant, la protection des pro Russes vivant dans le Donbass.

C'est la première fois que je lis un livre de cet auteur. Et ça me fait plaisir puisqu'il écrit dans un style agréable et accessible aux non-philosophes comme moi. Son idée de revenir dans le temps de façon très méthodique m'a semblé originale. La narration faite dans la première personne (je) m'a semblé très approprié, c'est un conte, et pas égocentrique comme j'ai vu dans d'autres textes.


Lien : http://lecture.jose-marcio.o..
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1938-2018, même combat ? La comparaison, en histoire, est toujours tentante et toujours dangereuse. Michaël Foessel, qui n'est pas historien, s'y jette, mais avec précaution : il ne s'agit pas de proposer un parallélisme grossier entre deux années dont il est facile de voir qu'elles différent beaucoup. de quoi s'agit-il alors ? de lire les journaux de 1938, activité devenue facile en 2018, pour se plonger dans l'actualité de cette année sans être trop perturbé par ce qui la suit, parce que le piège, bien sûr, ce n'est pas 1938, c'est 1939. 1939-2019, même combat ? Aucune réponse ici. Michaël Foessel se contente, durant la plus grande partie du livre, de décrire cette année 1938, où il voit, en France, s'accumuler les défaites et s'affirmer le retour à l'ordre après la parenthèse du front populaire, accusée de tous les maux. 1938, ce sont les élites qui prennent peur et qui resserrent la vis. 2018, même combat ? Michaël Foessel semble penser un peu qu'en effet… La fête est finie, affirmait-on en 1938. La défête est-elle encore aujourd'hui une fatalité ? Peut-être faut-il empêcher que ce soit aux élites de répondre.
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Curieuse idée de comparer 1938 à aujourd'hui.En 1938, il n' y avait pas d' islamistes en France et même très peu de musulmans dans la métropole.Les Juifs étaient encore un peuple sans Etat et la 2de guerre mondiale approchait à grands pas.Donc pasgrand chose à rapporter à notre époque à part la crise de la démocratie à laquelle la France a été confrontée à différentes époques.Le régime de Victor Orban ne peut pas être comparé à une dictature fasciste.Les Français sont plus métissés et mons racistes quedans les années 1930.Comparaison n' est pas raison
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