Faucher, occire, estourbir, faire passer de vie à trépas, exécuter, tuer sur ordre de justice, tel est le sombre métier d'Exécuteur des Hautes et Basses Oeuvres de la lignée des Pibrac, bourrèles de père en fils depuis 1683.
Avec "
Dieu et nous seuls pouvons",
Michel Folco - écrivain qui m'a déjà régalée avec sa prose joyeuse dans "
Un loup est un loup" - signait là son premier roman. Et quelle maitrise déjà dans la vieille langue françoise !
Même si légèrement moins chantante que dans le roman suivant (Un loup...), son écriture aisée et imagée nous plonge directement dans la France seigneuriale du 17ème siècle, dans un petit village Aveyronnais, Bellerocaille, où un infanticide vient d'être commis d'une atroce façon par le sieur Galine, maitre-queux de son état.
Devant l'abomination de ce crime - et il l'est, croyez-moi ! si vous ne me croyez pas, lisez le livre... et si vous me croyez, lisez le livre aussi, pour avoir des détails... - le juge condamne Galine à être roué à mort en publique. une pratique courante à l'époque, mais pas à Bellerocaille, où il n'y a pas de bourreau officiel. Seul le sieur Beaulouis, surnommé le verrou-humain, tourmenteur patenté et geôlier du bourg, ferait éventuellement l'affaire... Seulement le bougre ne veut pas ! Car être bourrèle une fois c'est être bourrèle toujours... cela signifie que plus personne ne vous regardera comme avant, on s'écartera sur votre passage, plus personne ne voudra être vu en votre compagnie. Être bourrèle, c'est être banni du bourg. C'est devenir un paria à vie.
Et personne ne veut l'être, même pour une prime de 100 livres. Et le temps presse, il faut exécuter ce Galine, la peuple devient nerveux, et veut le voir mourir. Et cette exécution, c'est du pain béni pour le village ! Quelle affluence !
Alors Beaulouis le geôlier a une idée : ce sera Justinien Pibrac, ce jeune vagabond arrêté quelques temps plus tôt, et qui devait partir aux galères, il ferait bien l'affaire, il est cultivé et assez vif. D'ailleurs le verrou-humain le garde prisonnier, l'ayant fait échappé aux galères en lui cassant la jambe, car il lui sert d'écrivain pour ses travaux d'écritures.
Justinien Trouvé, se faisant appeler Pibrac, est un orphelin, un enfant abandonné devant les portes du monastère du Saint-Prépuce, avec le nez arraché. Il a été confié aux bons soins d'une nourrice et de son mari ancien marin. Il devra son éducation aux religieux et à son père nourricier, qu'il remerciera bien ingratement de sa gentillesse. Mais son revers de fortune le punira bien, et il se retrouvera donc à devoir négocier sa grâce contre le travail de bourreau.
Justinien donc, transformé en Exécuteur des Hautes Oeuvres par Beaulouis le tourmenteur, réussit sa prestation. Il est donc gracié, mais n'ira pas bien loin. Un concours de circonstances l'amènera à devoir accepter la charge de bourrèle officiel et permanent de Bellerocaille, où il fondera la grande lignée des Pibrac. Justinien 1er est né. Suivront Justinien le 2ème, le 3ème, etc jusqu'au 7ème...
Début du 20ème siècle, Hyppolyte Pibrac 1er, semble être aussi le dernier de sa lignée à vouloir perpétuer le métier. Il y a déjà le nouveau gouvernement qui a supprimé les exécutions en province, mettant tous les bourreaux au chômage, et maintenant, les deux fils d'Hyppolyte qui ne veulent pas que la tradition continue de vivre...
L'un de ses fils, Léon, est devenu boulanger allant même jusqu'à vouloir renier son nom de famille si lourd à porter.
L'autre fils a voulu rejoindre de la famille en Californie, et en chemin, juste au départ, sa famille et lui se sont fait assassiner par une bande de voleurs. Seul Saturnin le petit fils d'Hyppolyte est en vie. Recueilli par son oncle, il montre plus d'affection pour son grand-père et son mode de vie particulier.
Il sera la relève tant attendue de la lignée Pibrac. Il ira même faire son apprentissage à Paris chez le dernier bourreau en activité. Puis reviendra s'occuper du domaine Pibrac, transformé en musée national par Hyppolyte.
Cette histoire atypique d'une généalogie hors-norme, ces personnages hauts en couleurs et forts en verbes, ces bons vivants qui côtoient la mort sans morbidité, et ce récit si plein de vie, avec
L Histoire en filigrane, c'est
Michel Folco, c'est intelligent, drôle et passionnant. Et c'est bon !
Et moi je dis : encore ! Alors en avant pour "
En avant comme avant !"...