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Critique de Musa_aka_Cthulie


Ça aurait pu donner une nouvelle d'une cinquantaine de pages intéressante. Cette immersion d'un narrateur, qui, après le deuil de sa fille, survit plus qu'il ne vit, dans un quartier fantomatique, l'atmosphère qui se dégage du lieu, la transformation du quartier qui se scinde en deux, ville-haute et ville-basse, la rencontre avec deux personnages mystérieux aussi bien que tourmentés, la thématique de la disparition, la thèse de l'épidémie... Tout ça, c'était de la bonne matière.

Bon, pas de chance, une bonne partie de ces thèmes ont déjà été traités par d'autres auteurs, et, en particulier, de façon assez magistrale en bande dessinée dans le cycle des Cités obscures de Benoît Peeters et François Shuiten (la ville qui semble un artifice, la propagation d'un syndrome lié à la cité, , la perte d'identité, la ville scindée en deux, etc.) Il ne restait qu'à Philippe Forest de faire aussi bien, tout en proposant autre chose. Hum.

Et il en a fait autre chose, c'est certain. D'ailleurs, lui-même prétend jouer ici avec les codes du fantastique. Alors, je veux bien qu'il flirte de loin avec le genre, mais enfin, n'est pas Lovecraft qui veut et tout le monde n'est pas capable de le renouveler, ce genre. Malheureusement, ici, le fantastique se limite à une simple ambiance de fond, à un vague prétexte, qui s'efface vite au profit d'une métaphore grandeur nature un peu trop tape-à-l'oeil. L'apogée est atteinte lorsque la montée des eaux coïncide avec les larmes, jusque-là refoulées, du narrateur. Ce n'est pas que je sois sans coeur et insensible à la douleur des autres, mais je serais bien hypocrite de taire l'ennui qui m'a tenue pendant presque toute la lecture du roman, première partie exceptée.

Crue, c'est aussi un constat, prenant l'urbanisation pour support, sur les changements de la société. Mais de ce côté, ça regorge un tout petit peu de platitudes et de passages moralisateurs, le narrateur se défendant constamment, et à grand bruit, de porter un jugement moral sur la société. Or ce jugement, il le porte pourtant bel et bien. Pas forcément à tort (le sort des clochards, des travailleurs immigrés), mais ça ne va pas bien loin, vu qu'il a visiblement peur de s'engager sur cette voie-là. Et les saillies faciles sur l'art contemporain en milieu urbain ou autres sujets, là non plus pas forcément à côté de la plaque, mais qui sentent tout de même leur petit côté beauf et réac, je pense qu'on aurait pu s'en passer. Ça n'apporte strictement rien au sujet principal. Pire, ça l'appauvrit.

Un mot sur le style. Un rien pompeux, agaçant. Philippe Forest nous prend par la main pour nous faire comprendre que le langage est sournois et traître, et qu'il est difficile de mettre en mots la pensée. Que rien n'est dit qui ne puisse se dire différemment. D'où le recours incessant à un procédé fastidieux ; il écrit une phrase, qu'il fait suivre d'un "ou :", d'un "ou encore : ", d'un "ou bien :", d'un "je veux dire :", locution qui est elle-même suivie d'une autre phrase qui reformule la première. Par exemple (oh, mon Dieu, voilà que j'écris comme Philippe Forest !) : "Car telle était encore plus ou moins la physionomie de la ville quand je m'y suis installé. Ou plus exactement : elles étaient en train de changer." Bon, on a vite compris l'intention, donc l'émaillage constant du texte par cet artifice devient rapidement éprouvant.

Donc, nous voilà avec sur les bras un livre qui distille une ambiance brumeuse, ce qui est plutôt réussi, un livre sur le deuil, la perte, avec un propos que l'auteur tente de rendre universel - c'est dit avec beaucoup d'insistance - mais qui se compromet peut-être trop du côté de l'autofiction pour me toucher. Et un récit qui s'étire, qui s'étire, qui s'étire encore et encore, à tel point qu'il finit par se déliter complètement. Alors certes, cette utilisation de la désagrégation dans l'écriture est voulue, l'histoire tendant vers une conclusion qu'on voyait venir depuis le début : tout, tout le monde, disparaît. Philippe Forest prétend avoir capté une vérité. Oui, il ose.

Voilà, je sens que je vais me faire des amis chez Gallimard, moi...



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