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Critique de jyrille


Le roman graphique du jour est un one-shot de 170 planches en noir et blanc. Sa première édition remonte à 1979 dans la collection « Les romans (A suivre) » de Casterman. Elle a été prépubliée dans les numéros 1 à 12 de la revue (A suivre) entre février 1978 et janvier 1979. le dessin et l'encrage sont le fait de Jacques Tardi tandis que le scénario est de Jean-Claude Forest.

Notre promenade aura parfois le goût de la chasse au trésor (ou du geocaching), certaines parties de l'intrigue seront donc forcément dévoilées.

La France, terre de contrastes, terre de fantasmes, propose un tel choix de destinations pittoresques que vous vous retrouvez un peu par hasard dans le Pays Clos, un endroit dont vous n'aviez jamais entendu parler jusqu'à présent, une bourgade coupée du monde sur le sol français. Après quelques minutes de navigation sur un vaporetto rappelant Venise, vous voici accueilli par un guide tout aussi pittoresque. le type, grand, mince, portant un chapeau melon et un costume froissé, un long bâton de bois terminé par un panier posé négligemment sur l'épaule, ne descend pas de son mur duquel il vous contemple.

- Bonjour à toutes et à tous, je me présente, Arthur Même, propriétaire et guide de ces lieux ! Je suis ici pour vous faire le tour du Pays Clos, vous relater son historique, ses habitants, sa situation unique ! Si vous voulez bien vous donner la peine de monter …

Avec vos camarades de bateau, vous vous exécutez, et à votre grande surprise, vous marchez sur cet étroit mur en toute assurance. La visite commence et votre guide se retourne vers le groupe qui marche en file derrière lui.

- Vous vous trouvez actuellement sur ma propriété, celle des Même, et tout ce que vous pouvez voir autour et dans ces murs également. Malheureusement, par une suite de circonstances que seule l'administration française peut générer, toutes les habitations ainsi que les terrains compris entre ces murs ne sont plus miens… Pour tout vous dire, je suis en procès avec la totalité de la population pour les récupérer ! En attendant, ils ne peuvent aller et venir sans mon consentement, c'est pourquoi je fais payer un droit d'ouverture à chaque entrée et sortie. C'est la raison d'être de mon escarcelle, dit-il en désignant son panier.

Autour de vous, vous voyez de belles propriétés, plutôt bourgeoises, totalement entourées de murs, formant un labyrinthe de plusieurs kilomètres carrés. Des chiens jappent et aboient au loin, tandis que vous vous rapprochez d'une sorte de cagibi construit sur le mur lui-même.

- Voici ma demeure, que nous allons traverser. Merci de ne pas faire attention au désordre.

Ridiculement petite, la demeure d'Arthur Même semble pourtant très confortable et effectivement très encombrée. Une pile de tracts, présentée par un panneau SERVEZ-VOUS, trône juste à la sortie. Vous en prenez un et commencez à lire.

"Dans la préface de ICI MÊME, nous apprenons que la collaboration entre les deux auteurs fut plus floue qu'un simple partage des tâches : les personnages et leurs caractéristiques viennent de Tardi, tout comme la mise en page, et très peu d'échanges furent tenus pendant la livraison de ces planches : une symbiose presque parfaite a donc mené cette oeuvre déroutante.

N'étant pas un grand spécialiste de Tardi, ni même un bon client de cet auteur, cette bande dessinée a pourtant toujours été présente dans mon inconscient et je regrette de ne pas avoir pu la posséder dans la collection originale, un grand format souple identique aux Corto Maltese de Hugo Pratt. Avec une patine et un nombre de pages identiques, elle fait partie des livres uniques en leur genre, générés par la créativité des années 70, tenant autant des fumetti que des films de Bertrand Blier ou de Claude Chabrol.

Nous faisons ainsi connaissance avec un panel de personnages hauts en couleurs : il y a Julie, jeune fille nymphomane extravertie et libérée, le gamin du Bout très attaché à ses numéros de Mickey, l'épicier qui vient régulièrement par bateau approvisionner Arthur, le Président du Conseil (l'histoire semble se passer dans les années folles), et tout un tas de familles dysfonctionnelles, méchantes comme les Monstres de Dino Risi.

Arthur chasse les papiers monnaie et ceux qui lui rendront sa propriété, avec l'aide d'avocats proches du pouvoir en place. Forest en profite pour introduire une faune politique dépravée, nous transportant soudainement à Paris, et laisse libre cours à sa plume pour produire des discours pompeux, trop protocolaires, sournois comme une législation obscure et annotée de toute part.

En discutant avec l'épicier, il développe un humour absurde, et laisse de larges parts de non-sens dans les images fantasmées par Même du haut de ses murs. Il faut dire que les onze chapitres de ICI MÊME ont été prépubliés sans filet. Les auteurs n'avaient pas de deuxième chance, ce qui existait ne pouvait être défait.

Il arrive donc que quelques longueurs et digressions rendent le tout un peu indigeste, l'histoire n'avançant pas énormément, les personnages paraissant par moments un peu coincés dans leur décor irréel. J'y vois les prémices de Marc-Antoine Mathieu et de son Julius Corentin Acquefacques, la cité étant remplacée par un très petit état souverain moyen-âgeux.
Il est sans doute préférable de lire ICI MÊME chapitre par chapitre, afin de retrouver l'univers à petites doses. le noir et blanc de Tardi n'a rien de flou ou de stylisé, il est dans la tradition de la ligne claire, mais dose parfaitement les ombres et inverse parfois les tons, les constructions ou la végétation formées en noir écrasant. Il a son trait caractéristique, plus gras déjà mais pas très éloigné de celui Adèle Blanc-Sec, et sa caractérisation des visages fait des merveilles visuelles : par moments, on y décèle des images qui pourraient directement provenir d'un épisode du Monty Python's Flying Circus."

Vous entendez une cloche tinter. C'est Arthur Même qui a terminé la visite, pendant que vous étiez perdu dans son tract.

- N'oubliez pas le guide messieurs dames ! Et n'hésitez pas à revenir ! Qui sait, la prochaine fois, je pourrai peut-être vous faire visiter toutes ces demeures…
Lien : http://www.brucetringale.com
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