Nicolas et Isabelle habitent quelque part en France, « au coeur du Bourbonnais », précise l'auteur. Ruralité, petits villages, qu'en dira-t-on, intégration, provincialisme… Nicolas et Isabelle s'intègrent toutefois bien dans le microcosme du village où ils ont atterri, loin des agglomérations impersonnelles. Cette intégration s'est faite en deux temps. D'abord au sein du village lui-même puis, au détour d'une randonnée, par l'achat et la remise en état « à mains nues » d'une maison abandonnée, «
Pierre noire », dans laquelle s'est joué des années plus tôt un drame au long cours. Au long cours parce qu'il a touché une femme tout au long de sa vie d'abord miséreuse puis triste parce qu'ayant sombré dans la folie jusqu'au suicide par pendaison (« c'est comme ça qu'on se suicide par chez nous »).
Nicolas est littéralement attiré par la maison abandonnée : isolée du village, sans vis-à-vis, elle représente pour lui tout ce qu'il a perdu à la mort de sa grand-mère, quand ses parents ont été contraints de vendre la maison familiale qui était pour lui un havre de paix et de bonheur. Il se jette à corps (et esprit) perdu dans la remise en état de la vieille bâtisse. Celle-ci devient pour lui son futur, sa raison d'être.
Isabelle, de son côté, ressent immédiatement un rejet de cette maison. La première fois qu'ils la visitent, elle est sombre, délabrée, poussiéreuse et remplie du drame qui y a eu lieu dans un passé pas si lointain. Malgré ce rejet et face à l'engouement de Nicolas pour son projet de réaménagement, Isabelle laissera faire son mari. Malgré quelques moments de bonheur fugitifs, cette maison est pour Isabelle un monument des drames du passé que toutes les bonnes volontés du monde n'effaceront jamais.
J'ai déjà eu l'occasion de chroniquer deux livres aux thèmes proches : « Menaces » et « La main de la nuit ». le premier s'en rapprochait dans la mesure où il se basait sur l'isolement de la maison et son caractère oppressant. le second s'en rapprochait dans la mesure où il se basait sur l'attirance d'un lieu (d'une maison) sur quelqu'un.
Là où «
Pierre noire » se démarque c'est en ce qu'il livre les deux versions de l'histoire au sein d'un couple : celle de Nicolas, enjouée, volubile, presque inconsciente, et celle d'Isabelle, sombre, étouffée, intériorisée à l'excès jusqu'à en être malade.
Chantal Forêt prend par ailleurs le parti de commencer par la fin et débute par le récit de l'incendie de «
Pierre noire » et la mort d'Isabelle et de Nicolas. A partir de là, Léa, l'ancienne voisine du couple dans le village, sorte de figure maternelle (tout comme Georges, son mari, fait figure de figure paternelle) pour Isabelle et Nicolas, raconte l'arrivée du couple au village, la découverte, l'achat et la remise en état de la vieille demeure, la fausse couche d'Isabelle, l'engouement de Nicolas, les craintes et les angoisses d'Isabelle…
Chantal Forêt rend très bien compte des côtés obsessionnels de Nicolas et d'Isabelle. L'un à tel point obnubilé par la maison qu'il n'en voit plus sa femme, en tout cas la dérive dépressive qu'elle subit, l'autre totalement bouffée psychologiquement par la maison et son lourd passé.
A lire dans une maison abandonnée, en pleine campagne, loin de tout et proche du feu de cheminée qui s'étiole et s'éteint doucement jusqu'à glacer l'atmosphère et le sang du lecteur pris dans la nasse d'une angoisse palpable et inéluctable. Une belle réussite, bien construite et bien écrite.
« Lui continuait à fréquenter l'endroit, malgré sa tristesse et sa propreté douteuse, malgré la présence revêche de la patronne, femme bizarre qui semblait myope jusqu'au fond de l'âme, tant ses petits yeux, derrière ses lunettes, reflétaient le vide. »
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