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Critique de Colchik


Étrange roman, assez bancal - selon moi - dans sa composition. Lilia, une veuve d'une trentaine d'années, perçue comme sotte et incontrôlable par sa belle-famille, a été incitée à faire le voyage en Italie en compagnie de la fille du pasteur de Swaston, Caroline Abbott. Bon débarras pour sa belle-mère, la rigide et autoritaire Mrs Herriton, et pour sa belle-soeur, la bigote et bornée Harriet. Ainsi, elles auront le champ libre pour formater l'éducation d'Irma, âgée de neuf ans, la fille de Lilia. Philippe, le fils cadet de Mrs Herriton, est le seul à envier le voyage de Lilia car il a gardé beaucoup de nostalgie de sa découverte de l'Italie.
La première partie (ch 1) du récit de Forster s'ouvre sur le départ de Lilia, qui a l'air d'une écervelée, et nous permet de faire connaissance avec la redoutable Mrs Herriton et sa façon de manipuler son entourage. Elle amorce immédiatement l'intrigue en évoquant le télégramme de Caroline Abbott sur les fiançailles de Lilia avec un Italien et le départ précipité de Philippe pour Monteriano dans le but d'éviter le scandaleux mariage et une mésalliance qui ternirait la réputation des Herriton.
le séjour de Philippe à Monteriano tourne à la catastrophe : Lilia est déjà mariée. Son goût de l'Italie est gâché les manières du jeune Gino qui a habilement manoeuvré pour épouser une riche Anglaise plus âgée que lui. En fait, Philippe et Gino sont très proches en âge - le premier a vingt-deux ans et le second vingt et un ans - mais à l'insouciance et l'insolence de l'un répond le sérieux et le conformisme de l'autre. Lilia exulte d'avoir échappé au carcan où l'avait emprisonnée sa belle-famille qui, en retour, coupe les liens avec elle. de retour en Angleterre, Philippe revoie Miss Abbott et comprend le rôle ambigu qu'elle a joué dans l'histoire en incitant Lilia à enfin vivre selon son bon plaisir.
À Monteriano, Lilia déchante vite devant les moeurs italiennes qui la cloîtrent à la maison. Gino veut affirmer sa puissance d'époux, sort avec des amis, la trompe et veut un enfant pour assurer sa descendance. Ce délaissement cruel après l'exaltation des premiers temps mine Lilia qui n'a pas la force de caractère pour reprendre en main son existence : elle meurt en mettant au monde un fils.
La nouvelle parvient en Angleterre et, pour Mrs Herriton, il faut cacher à Irma et la mort de sa mère et la naissance d'un petit frère. le stratagème est éventé quand Irma reçoit une carte postale évoquant le bébé. Caroline Abbott apprend la nouvelle et devant la volonté de Mrs Herriton d'ignorer l'enfant, décide de mener une opération de sauvetage du bébé. Contre-offensive immédiate de la redoutable Mrs Herriton qui expédie Philippe et Harriet à Monteriano pour s'emparer avant elle de l'enfant de crainte du qu'en-dira-t-on à Sawston.
L'expédition à Monteriano tourne à la catastrophe : Philippe sympathise avec Gino, Caroline comprend qu'il existe un véritable lien entre Gino et son fils et renonce à son projet, Harriet devient obsédée par la mission que lui a confiée sa mère et harcèle tout le monde. Une étrange relation se noue entre Philippe et Caroline, faite de sincérité, de confiance et d'admiration. Au moment de quitter la ville la nuit, sous un orage violent, la voiture des Herriton percute celle de Caroline, se renverse et le bébé qu'a volé Harriet est tué tandis que Philippe est blessé. Il estime de son devoir d'annoncer la nouvelle à Gino qui - fou de douleur - s'acharne sur le blessé. Il faut l'intervention de Caroline pour mettre fin à la violence déchaîné de Gino. Les Anglais quittent Monteriano après l'enquête des gendarmes. Philippe s'apprête à déclarer son amour à Caroline quand il comprend que l'homme dont elle est tombée amoureuse est Gino.
L'humour, la causticité des remarques de Forster ne parviennent pas à ôter son caractère très noir à ce roman. le personnage central qui se dévoile peu à peu est Caroline Abbott. Elle n'a pas la légèreté, l'inconséquence de Lilia. Bien qu'elle soit fille de pasteur et attachée à des principes moraux très fermes, elle est sensible, capable d'humanité ( elle sera la seule sincèrement touchée par la souffrance de Lilia devant l'échec de son mariage), d'élan, de joie. Son exact opposé est Harriet, bigote, vindicative, bornée. Caroline a les yeux ouverts sur le monde, ce qui lui permet de voir l'hypocrisie de la bonne société de Swaston, la beauté de l'Italie, l'appétit de vivre de ses habitants et de détecter chez Gino autre chose qu'un être mu par l'appât du gain. Elle est dotée de la force qui manque à Philippe qui se réfugie sans cesse derrière son scepticisme en la nature humaine et l'humour qui lui permet de tenir à distance événements et êtres humains. Caroline aurait pu "sauver" son compatriote par sa capacité à parler vrai, mais elle n'est pas tombée amoureuse de lui car il lui manque la spontanéité qui permet le " lâcher prise".
Forster joue beaucoup sur les clichés (l'Italie vue par ses compatriotes est très normée : les monuments et pas les hommes) et sur les représentations des uns et des autres. Caroline reproche à Gino d'envisager une nouvelle union qui ne sera pas un mariage d'amour. Il réfléchit et dit qu'il s'agit bien d'un mariage d'amour puisque sa promise l'aime. Les hommes italiens ne comprennent pas les envies de sortie des femmes anglaises, les Anglais voient les Italiens comme des créatures paresseuses (Gino ne travaille pas et s'en porte très bien), frivoles (toujours au café ou à l'opéra), intéressées par l'argent et peu sentimentales. Philippe est celui qui corrige sans cesse ces idées reçues en revenant sur ses propres préjugés : il adore la compagnie de Gino, reçoit des leçons d'honnêteté de l'idiot du village et reconnaît le plaisir que lui procure la convivialité des gens qu'il rencontre. le portrait à charge des Italiens dessine un portrait en creux des Anglais : suspicieux, méprisants, autoritaires, dénués de scrupules. Harriet vole le fils de Gino, provoque indirectement sa mort et accuse ensuite la fatalité qui a conduit à l'accident. Elle n'éprouve aucun remords, aucune compassion pour Gino qui aurait pu l'accuser de kidnapping. D'une manière ou d'une autre, elle a accompli la mission que lui avait confiée sa mère et le problème est réglé pour les Herriton.
La lecture de ce roman laisse un malaise persistant : dans ce portrait d'une certaine élite du dix-neuvième siècle, on pourrait retrouver celui de quelques uns de nos contemporains en Afrique ou en Asie.
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