AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Le destin de Laura U. (14)

Le passé ne reste jamais en arrière, il est toujours à nos côtés [...].
Commenter  J’apprécie          160
Dona Elvira n’était pas à proprement parler une femme laide. Elle avait les cheveux bouclés, toujours attachés sur la nuque, une bouche fine qui eût été jolie sans le rictus, d'une dureté de fer, qui donnait à sa lèvre supérieure l'expression d'un moralisme implacable. Elle était pieuse au point que Juana, se levant avant le jour pour traire les vaches, l'avait plus d'une fois trouvée agenouillée dans le noir sur son prie-Dieu, son rosaire entre les mains, avec ce regard absorbé qui ne peut être le signe que d'un début de troubles ovariens ou d'un fanatisme sombre et tragique.
Commenter  J’apprécie          140
- Les événements n'arrivent pas d'eux-mêmes, il y a toujours quelque chose qui les déclenche, un geste, une parole. On parle trop. On se met à parler, et les mots sortent tout seuls, presque sans qu'on le veuille, comme s'ils avaient leur vie propre, même ceux que nous avons retenus avec précaution pendant des années ; soudain, sans qu'on sache comment, ils sortent et parviennent aux oreilles de la seule personne qui ne devait pas les entendre.
Commenter  J’apprécie          112
Il répondit de façon plus détendue, cependant, lorsque sa belle-sœur l’interrogea sur Juana.
«Elle est toujours là», dit-il avec une inflexion involontaire de tendresse dans la voix à la pensée de son ancienne nourrice et des éternels chaussons de feutre dans lesquels elle trottinait discrètement d'un bout à l'autre de la maison. Jamais on ne la voyait nulle part, mais elle surgissait toujours dès qu'on avait besoin d'elle. «Toujours aussi silencieuse, juste un peu plus vieille. Elle commence à avoir des absences. Parfois, elle passe des heures à chercher son nécessaire de couture parce qu'elle ne sait plus où elle l'a mis. Mais il y a d'autres choses, en revanche, qu'elle n'oublie pas du tout.» Lorsque le docteur Ulloa parlait de Juana, il en parlait comme d'un être d'une nature différente, obéissant à d'autres lois, celles qui ont cours dans les chansons d'autrefois, dans les psalmodies des aveugles, dans les chapiteaux sculptés des cathédrales. Ils ne pouvait concevoir qu'elle ait jamais eu un âge, tant il était persuadé qu'elle faisait partie de l’essence même du temps.
Commenter  J’apprécie          110
Dès que la voiture eut quitté la place de la cathédrale, il demanda au chauffeur de faire demi-tour et de se rendre au quartier de l'Arsenal, où l'on entendait déjà des tambours, des rires, des airs d'accordéon. Ils se retrouvèrent soudain, au détour d'une rue, sur une place grouillante de marins, avec plusieurs cabarets aux fenêtres ouvertes. Il sentit son cœur battre plus fort, mais comme à distance. A l’intérieur, les mains sur les hanches, tournoyaient des mulâtresses, des Noires aux jupes relevées jusqu'aux cuisses, qui frappaient le sol de leur talons sur un rythme de guaracha, des blondes aux seins proéminents qui ôtaient leur soutien-gorge en échange d'un verre, et des hommes aux allures et aux carnations diverses, mais aux mains généralement enfouies dans un magma de seins ou de fesses. Il sentit s’éveiller entre ses jambes la chair à vif d'un animal hérissé et déambula en esquivant les ivrognes avec l'habilité d'un cocher, mais il se sentait perdu au milieu de ce tohu-bohu sans nom, jusqu'à ce qu'une danseuse jamaïcaine endiablée, à la robe rouge comme les flammes de l'enfer, vienne à sa rescousse et s'enferme avec lui dans une chambre. A peine eut-il le temps de sentir contre lui sa fébrilité transpirante qu'elle le fit retomber assis sur un grabat, lui défit sa ceinture et le chevaucha jusqu'à lui faire rendre l’âme, l’entraînant dans des profondeurs aux relents de crustacés, où il crut voir luire le regard jaune d'un chat.
Commenter  J’apprécie          90
Ils passaient d'un sujet à un autre. Rebeca, qui était friande de toutes les nouvelles du pays, se laissait éblouir par les descriptions que faisait son beau-frère de ce monde regretté, si différent de celui des tropiques. Un monde de toits défoncés, de champs de maïs que survolaient des nuées de grues, qu'atteignaient parfois aussi les mouettes, le vent humide de la baie et son odeur de salpêtre. Elle l’écoutait parler de sa contrée natale comme si les mots avaient le pouvoir miraculeux de lui restituer, l'espace d'un instant, ce paysage de vignobles bien dessinés, ce bleu profond des contreforts de la montagne où la rivière traçait sa courbe argentée, ces coteaux où paissait le bétail, ces petites fermes que séparaient des murets de pierre; il lui semblait voir les lumières jaunes des maisons qui ponctuaient le ciel, les soirs d'hiver, sitôt le soleil couché; elle sentait presque l'odeur du fumier dans les étables, celle du bois verre qu'on brûlait dans les chemins entre les longs murs des enclos; elle croyait entendre les sabots des vaches, le grincement des charrettes sur les chemins pierreux et même, par moments, les voix des femmes qui évoquaient à voix basse sur la plazza del Crucero, leur broc de lait sur la tête, les étranges événements qui se produisaient, telle l'apparition, dans une cellule du couvent de Santa Clara, du corps dénudé d'une novice qui s’était pendue avec le cordon de son habit consacré le jour même.
Commenter  J’apprécie          80
On dit souvent que les pêchés des parents retombent sur les enfants, poursuivit juana, ceux des grands-parents sur les petits-enfants, ceux des arrières-grands-parents sur les arrières-petits-enfants, mais jusqu'où faire remonter toute cette chaine du péché ? Jusqu'à Caïn ?
Commenter  J’apprécie          30
Mais Rebecca Aldan était justement résolue à aller au fond des choses, moins par curiosité que parce qu’elle sentait qu’il ne pouvait en être autrement, comme si chaque histoire cachée attendait son heure pour se dévoiler et sortir au grand jour, même des années, des décennies plus tard, et qu’il n’y eût rien à faire contre l’imminence de cette révélation. Juana dut deviner aussi, malgré elle, avec ce sens paysan de la précision qui lui faisait reconnaître l’état de maturation de n’importe quel fruit, que le moment de vérité était venu.
Commenter  J’apprécie          20
Mais sa plus grande découverte fut le trésor de la bibliothèque familiale, plus de mille volumes, où elle prit l'habitude de s'immerger comme dans un fleuve d'un autre monde.
Commenter  J’apprécie          20
Les paquebots avaient toujours semblé à Juana des bêtes vivantes et carnassières, de grands cétacés aux ventres de métal, assouvissant une avidité en tous points semblable aux plaies bibliques, telle la baleine qui avait englouti Jonas. Elle voyait depuis qu'elle était enfant ces mastodontes badigeonnés d'huile et de goudron entrainer au bout du monde, avec le magnétisme tellurique des grands exodes collectifs, des pères, des frères, des fiancés. Lors de la grande famine de 1905, jusqu'à la moitié de la vallée du Salnés avait émigré. Et voici maintenant que , debout sur la jetée, au milieu de milliers d'hommes et de femmes, elle se trouvait de nouveau face à un paquebot. Jamais la vie ne lui avait donné une image aussi forte de la peur de la séparation que ces châteaux forts rongés par la rouille, aux cordages gorgés de salpêtre et aux immenses cheminées bleues, rouge et ocre d’où s’échappait, à chaque mugissement des chaudières, une longue et lugubre fumée. Les hommes d'équipage étaient pour elle des fourmis, en regard des ancres qui s’avançaient entre les fenêtres à guillotine de la première classe. Elle regarda dans la direction des cabines, agita depuis la jetée son mouchoir blanc dans l'espoir d'apercevoir la petite une dernière fois, mais c'est à cet instant que l’immense grue d'acier se mit à hisser les bagages, lui bouchant la vue. Lorsque le navire leva l'ancre au môle de Vigo, il tombait une pluie salée qu'elle ne distinguait pas des larmes qui lui embuaient les yeux.
Commenter  J’apprécie          10






    Lecteurs (24) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Littérature espagnole au cinéma

    Qui est le fameux Capitan Alatriste d'Arturo Pérez-Reverte, dans un film d'Agustín Díaz Yanes sorti en 2006?

    Vincent Perez
    Olivier Martinez
    Viggo Mortensen

    10 questions
    95 lecteurs ont répondu
    Thèmes : cinema , espagne , littérature espagnoleCréer un quiz sur ce livre

    {* *}