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Critique de Eric75


Caroline Fourest, avec ce titre que certains trouveront peut-être provocateur, fait du « Caroline Fourest », après tout, c'est exactement ce que l'on attend d'elle. le blasphème n'est plus un délit en France, tout le monde le sait, depuis la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, elle-même inspirée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Heureusement pour nous, la Révolution française et ses idéaux humanistes étaient déjà passés par là. Dans le même temps, cette loi encadre la liberté d'expression et d'opinion, en posant par exemple les limites de la diffamation et de la provocation, limites parfaitement connues de Charlie Hebdo.

Après les attentats de janvier, et l'énorme émotion qui a suivi, jetant quatre millions de Français dans la rue lors des marches républicaines, une double lecture des événements a pu être constatée, ce qui continue d'être surprenant à mes yeux. Attention, je vais devoir mettre beaucoup de guillemets dans ce qui va suivre. Il ya ceux qui « sont Charlie », et ceux qui « ne sont pas Charlie ». Certains – des « jeunes de banlieue », mais aussi des « intellectuels » – n'hésitent pas à dire ou à suggérer : « après tout, ils l'avaient bien cherché ».

Les victimes des attentats seraient donc les véritables responsables de tout ce merdier ? Cherchez l'erreur. Mais qui « n'est pas Charlie » ? Eh bien justement, avec son écriture ciselée, avec son style sans complaisance, avec sa connaissance approfondie des causes qu'elle défend depuis des années, droite dans ses bottes, Caroline Fourest nous l'explique dans cet essai. Et cette clarification n'est pas seulement utile, elle est aujourd'hui devenue indispensable.

Ceux qui ne sont pas Charlie sont clairement désignés. En fait, ils se sont eux-mêmes signalés par leurs propos ou leurs publications post-attentats et surtout post-manifestation du 11 janvier. On trouve pêle-mêle : le FN, les prédicateurs intégristes, les faux antiracistes, les communautaristes, les « artistes sans humour ni courage », les « intellectuels qui confondent Kouachi et Dreyfus », et j'en passe… des noms de personnalités ou d'associations sont cités, nous ne sommes plus dans le flou artistique ou dans l'allusion. Caroline Fourest dénonce sans concession ni nuance. Au passage, elle en profite sans doute pour régler quelques contentieux personnels. Mais comment la blâmer, après toutes les attaques qu'elle subit, et pas seulement lors de joutes verbales sur les plateaux télé ? Caroline Fourest a la peau dure, ses ennemis ne lui font pas de cadeaux, mais ses convictions sont intactes, et les causes qu'elle défend sont nobles…

Ici, il s'agit surtout d'antiracisme et de liberté d'expression. On ne le répètera jamais assez, Charlie Hebdo n'est pas un journal « islamophobe ». Pourtant, cette idée a du mal à s'imposer chez certains. Charlie est un journal satirique qui s'est attaqué à tous les intégrismes religieux, quels qu'ils soient. Charlie ridiculise les idéologies mortifères et les terroristes, et respecte les croyants tout comme les athées, au nom de la laïcité. Charlie se range du côté des musulmans lorsqu'il s'agit de dénoncer les amalgames. Mais le travail des journalistes et des caricaturistes a souvent été dénaturé pour en pervertir le sens.

Après un prologue très émouvant et très personnel revenant sur les carnages de janvier, Caroline Fourest structure sont essai en cinq parties : 1. Ils ne sont pas Charlie ; 2. La véritable affaire des caricatures ; 3. Les cibles du mot « islamophobie » ; 4. Autocensure à l'anglo-saxonne ; 5. le blasphème n'est pas la haine. Les titres parlent d'eux-mêmes. Chacune des parties apporte son lot de révélations (en ce qui me concerne, n'étant pas un spécialiste de ces sujets) et chaque argument est frappé au coin d'un bon sens « républicain » qui devrait s'imposer à tous. Et pourtant…

Pourtant, Caroline Fourest continue de subir de nombreux reproches, de la part de chroniqueurs ou d'essayistes en mal de popularité, lors de débats télévisés tournant au traquenard (cf. l'affaire Aymeric Caron) ou dans de récentes publications (la dernière en date : Les pompiers pyromanes, de Pascal Boniface). On reproche à Caroline Fourest de faire de l'exploitation de sujets sensibles un fonds de commerce (comme si son militantisme et son engagement n'étaient pas sincères), de créer des épouvantails pour justifier ses thèses ou régler des comptes personnels (alors qu'elle ne fait qu'organiser sa défense face à ses détracteurs, souvent peu recommandables), d'être à contre-courant de la vision anglo-saxonne et communautariste (la laïcité à la française serait donc un combat perdu d'avance, ou qui ne mérite pas d'être défendu ?), de jeter de l'huile sur le feu et de mentir par omission (quand elle tente d'évacuer l'accessoire pour recentrer le débat sur les causes qu'elle défend). Concernant les reproches de certains « intellectuels » sur les méthodes utilisées, c'est souvent, trop souvent, l'Hôpital qui se moque de la Charité. Ces mêmes intellectuels qui soufflent sur les braises devraient admettre qu'ils sont, eux aussi parfois, des pompiers pyromanes.

Dans cet essai, Caroline Fourest expose son point de vue, désigne clairement ses ennemis, ne mâche pas ses mots. Dans sa conclusion, elle rappelle qu'il n'y a pas de « oui mais » possible pour faire face à l'intégrisme et à l'obscurantisme : « Il n'existe pas d'autre choix. Ce sera le courage ou la lâcheté. Ceux qui pensent que la lâcheté permet d'éviter la guerre se trompent. La guerre a déjà commencé. Seul le courage peut ramener la paix. » le courage ou la lâcheté, je vous laisse deviner quel camp Caroline Fourest a choisi.
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