Mais ces sophistes ne s’attachent pas à prévoir les orages futurs, ils ne voient le Mouvement social qu’en sens rétrograde, et ne s’occupent que du passé et du présent. Aujourd’hui que l’Esprit mercantile est dominant, ils décideront, selon leur usage, que l’état actuel des choses est le perfectionnement de la raison. Ils se borneront à pérorer sur ce qu’ils voient, sans présumer que l’Ordre civilisé puisse prendre de nouvelles formes.
Il y a ici une intuition juste du fait que les hommes de culture en arrivent souvent à ne plus réfléchir que pour résoudre des contradictions pensées. Loin d'approfondir les problèmes essentiels, il y a un mouvement de l'esprit qui complique indéfiniment les formes. Il n'a que mépris pour les subtilités des philosophes qui vivent en spectateurs.
Il faut que la jalousie tant excitée par le système conjugal n'ait que de faibles racines chez les civilisés, car on voit à chaque instant quelque passion neutraliser, absorber l'esprit jaloux, témoin l'intérêt si puissant sur ce point que beaucoup de gens perdent tout à coup leur jalousie quand l'intérêt vient la balancer.
Moi seul, j'aurai confondu vingt siècles d'imbécillité politique et c'est à moi seul que les générations présentes et futures devront l'initiative de leur immense bonheur. Avant moi, l'humanité a perdu plusieurs mille ans à lutter follement contre la Nature. Moi, le premier, j'ai fléchi devant elle en étudiant l'attraction, organe de ses décrets ; elle a daigné sourire au seul mortel qui l'eût encensée ; elle m'a livré tous ses trésors. Possesseur du livre des Destins, je viens dissiper les ténèbres politiques et morales, et sur les ruines des sciences incertaines, j'élève la théorie de l’Harmonie universelle.
C'est une plaisante idée de la part des civilisés et barbares que d'avoir attaché le grade de sainteté à des pratiques inutiles au genre humain, à des prières et austérités qui ne font le bien de personne, pas même de celui qui s'y voue. Il semble que les civilisés qui se vantent de perfection auraient dû, sur ce point, se distinguer des Barbares ; ils ont au contraire enchéri d'absurdités et l'on peut défier à l'esprit humain (sic) d'inventer rien de plus inutile que la conduite des saints de l'âge moderne. Si l'antiquité civilisée eut ses ridicules, elle fut du moins exempte de celui-là.
Simone Debout, née en 1919, reçoit Mediapart chez elle, à Paris (XIVe), pour évoquer Charles Fourier (1772-1837), comparé à Sade, à l'occasion de la publication (chez Claire Paulhan) d'un ouvrage remarquable : « Simone Debout & André Breton – Correspondance 1958-1966 ».
Entretien réalisé par Antoine Perraud (décembre 2019)